lundi 14 mars 2011

PORTES ET PORTAILS



La vie moderne se déroule dans un environnement d'outils techniques variés. Mais un éléments est rencontré à chaque instant : la porte et ses variétés comme le portail ou le portillon. Nous ouvrons et fermons les portes de nos chambre, de nos maisons, de nos placards, frigos et voitures et passons tous les jours différents portails. Nous composons des codes à l'entrée des immeubles ou sur le réseau internet.
On peut se demander si petit à petit les portes ne deviennent pas plus nombreuses, plus impersonnelles et si elles ne transforment pas notre monde en un labyrinthe. Il faut donc nous interroger sur le sens que possède les portes, sur le type d'expérience qu'elles induisent, pour éviter de les transformer en outil ternes, rigoureusement fonctionnels. L'évolution des portes, de notre manière de découper l'espace, fait partie intégrante de l'évolution de la société.

La porte est avant tout un élément architectural symbolique. D'après Jean Cousin, les premières portes manufacturées sont, à la préhistoire, des trous creusés dans la roche où l'on fait passer les infirmes pour les guérir (L'espace vivant). Les portes triomphales, comme l'arc de triomphe, transforment l'entrée d'une une ville en un seuil magique. La Sublime Porte est le nom de la porte d'honneur monumentale du grand vizirat à Constantinople, siège du gouvernement du sultan de l'Empire ottoman. On trouve des portes monumentales à l'entrée des églises ou des banques aujourd'hui.
La porte permet une articulation de l'espace et le passage d'un monde profane à un domaine sacré. Porta signifie passage en latin. C'est un passage physique mais aussi symbolique. "Un seuil est une chose sacrée" écrit Porphyre. Car on traverse des espaces ayant des valeurs différentes. Le seuil de l'église, de l'école, de la demeure, induisent un changement d'état profond. Dans le japon traditionnel, mais au fond dans de nombreuses cultures également, le franchissement d'un seuil suppose parfois des rites complexes, et induisent une succession d'états d'âmes. Pour la cérémonie du thé, si le thé est servi dans une maison du thé séparée, plutôt que dans la chambre du thé, les invités attendront dans un jardin couvert jusqu’au moment où ils seront appelés par l'hôte. Ils se purifient alors rituellement en se lavant les mains et en se rinçant la bouche dans un petit bassin en pierre contenant de l’eau. Ils se dirigent alors vers le « tokonoma », ou alcôve, où ils admirent les parchemins et/ou les autres déclarations. Puis, ils s'assoient dans la position seiza sur le tatami, par ordre de prestige. On peut citer en France la tradition de porter la mariée lors du franchissement du seuil de la maison qui avait pour but de laisser les mauvais esprits sur le pas de la porte.
La porte propose l'expérience d'un espace-temps. Elle s'ouvre à tel ou tel moment. Elle régule l'accès selon les heures d'ouverture et de fermeture. La porte est psychologiquement le lieu et le moment de l'appréhension de l'avenir. C'est le "lieu géométrique des arrivées et des départs" écrit Michel Barrault (Dominicale). On redoute d'entrer quelque part, ou l'on se réjouit de franchir enfin la sortie. Le portail parfois porte une inscription de plus ou moins bonne augure. A Auschwitz, il y est inscrit "le travail rend libre". A l'entrée de l'académie de Platon, on pouvait lire "nul n'entre ici s'il n'est géomètre". La porte est un lieu de régulation, d'enfermement, de contrôle social. Les péages sont des portes avec des barrières. Le réseau internet peut ainsi être conçu comme un territoire virtuel, avec des portails et des sites accessibles gratuitement ou non.
Une porte désigne aussi bien l'encadrement qu'un panneau mobile, dont les deux faces deviennent intérieures ou extérieures lorsqu'elles viennent limiter un espace clos. La dimension symbolique de la porte s'affirme vis-à-vis de l'extérieur comme vitrine, afin de signifier au passant quelque chose comme une permission d'entrer (entrée libre) ou une interdiction (attention chien méchant). La porte est aussi un miroir dans ce cas. Elle sert à donner aux autres et à soi-même une image gratifiante, parfois pleine d'orgueil. La porte exprime son goût, son identité, ce que l'on est ou désirerait être. Elle constitue également une barrière de sécurité contre les intrusions physiques ou visuelles. On peut chercher à dissimuler ses biens pour éviter d'éveiller la convoitise. Ou bien, et parfois en même temps, on tente de laisser paraître notre prestige avec celui de notre maison. Il peut s'agir simplement d'un leurre lorsque la beauté du portail dépasse celle-de la maison. En tout cas, le portail protège l'intimité, comme un vêtement, qui parfois s'ouvre à l'encolure, aux avant bras, et laisse passer un bout de chair, qui apparait par une ouverture ou par transparence.
La porte et les portails évoluent en fonction des modes qui reposent sur certains principes. Jean Gabriel Tarde, sociologue du XIX, propose deux notions pour expliquer les mouvements sociaux : l'imitation et l'invention. Chacun imite ce qu'il admire, ce qu'il juge bon et capable de lui servir de modèle, mais agence, de manière originale, par des mélanges, les imitations choisies à plusieurs sources. Ainsi l'Histoire se présente comme une succession de flux imitatifs différents, une succession de modèles aptes à susciter une imitation par un grand nombre d’individus. Tarde conçoit les individus comme un grand ensemble de reflets (il reprend l'idée des monades de Leibniz), c'est-à-dire que chacun voit ses semblables et en eux se retrouve lui-même. C'est un jeu de miroir qui est au cœur de la vie en société, dans le sens où chaque fois on est juge et jugé. Pour Georges Simmel, la mode crée une uniformité des apparences extérieures et en même temps une distinction sociale. La distinction concerne une ligne de démarcation symbolique face aux autres classes. Autrement dit, on s'efforce d'imiter les autres en les surpassant.
Nous éprouvons un besoin d'intimité pour qu'un endroit nous soit familier. "Trop d'espace nous étouffe, beaucoup plus que s'il n'y en avait pas assez" écrit Jules Supervielle (Gravitation). L'homme, comme l'animal, hiérarchise son territoire qui est une extension de son corps, comme le remarque E. T. Hall. Tout comme il maintient une certaine distance physique avec les autres et supporte mal que l'on pénètre dans sa sphère personnelle, il dresse des barrières autour de son habitat. L'homme, expliquent Gaston Bachelard ou Abraham Moles, est entouré de différentes coquilles qui partent du corps propre, s'étendent à la chambre, la maison, le quartier, la région etc. Pour Rousseau, notre manière d'enclore des espaces privés est à l'origine de la guerre, puisqu'elle fait en sorte que la nature (la terre, l'air, l'eau) ne soit plus un bien universel mais une propriété qu'il faut défendre contre les envieux. Si les valeurs véhiculées par l'extérieur de la porte sont la protection contre l'intrus et l'étranger, celles de l'intérieur sont plutôt l'appropriation, la personnalisation, l'identité.

Le monde moderne se caractérise par un développement de l'individualisme. La demeure devient un refuge contre le monde extérieur à la différence des sociétés traditionnelles où l'on allait et venait entre l'espace privé et l'espace public. Comme le montre l'historien Philippe Aries dans son Histoire de la vie privée, la modernité se caractérise par la fonctionnalisation des espaces, non seulement à l'extérieur (espace de travail ou de loisir), mais à l'intérieur : la chambre à coucher, la salle de bain, les toilettes, la cuisine deviennent des espaces distincts à partir du XVIIIe siècle. La demeure s'embourgeoise avec la société de consommation. Elle devient l'endroit ou l'on protège et consomme ses biens matériels et immatériels.
La notion d'environnement est aujourd'hui associée au terme de crise. Il y a une crise de l'environnement d'abord pour des raisons écologiques. La pollution industrielle et domestique induit une détérioration des ressources. Mais ce constat touche aussi l'aspect esthétique de l'environnement : le paysage. Le bétonnage des sites tend à leur faire perdre leur aspect naturel et l'on se plaint même de dispositifs écologiques tels que les éoliennes. Du point de vue de l'architecture, les modèles sont trop souvent standardisés et s'éloignent des modèles vernaculaires pour s'uniformiser sur toute la planète. Les buildings, les villas, les immeubles etc. tendent à se ressembler. Le terme «vernaculaire» désigne la construction qui utilise les ressources et les méthodes disponibles localement pour répondre aux besoins locaux. Mais la construction dans les pays développés n'est plus faite suivant le mode traditionnel. Elle repose sur des éléments constructifs normés et standardisés et des matériaux modernes fabriqués non localement. Aussi l'on s'interroge aujourd'hui sur la façon de réhabiliter un certain artisanat, du moins dans l'apparence, pour singulariser son espace en fonction de soi mais aussi du site et de l'histoire de la région. Ainsi l'on s'inspire parfois de la maison basque, de l'habitat troglodytique, de la maison Béarnaise ou landaise, de l'igloo, dans les formes, les matériaux ou les process. Le Centre culturel Tjibaou en Nouvelle Calédonie de Renzo Piano, par exemple, est une traduction moderne et monumentale de l'architecture vernaculaire de l'île.
Le levier de la standardisation des demeures est la normalisation de ses constituants. A partir du Bauhaus, au début du XXe, on a commencé à construire en série des éléments répétitifs qui firent de l'architecture un jeu de construction. Le préfabriqué a permis d'engendrer une production en série. La société de masse s'est donc organisée autour de la production en série accessible grâce au préfabriqué qui n'est autre que la multiplication de l'unité à l'identique. Si l'on observe le Légo ou le Méccano, on constate que l'on peut grâce à eux faire de multiples formes, mais que ces formes gardent la signature des éléments constituants. Une voiture en Légo diffère d'une voiture en Mécano. De même, les portails en pvc ou aluminium ont un aspect reconnaissable en vertu des profilés dont ils sont composés. Certes l'architecture traditionnelle elle aussi utilise des éléments comme la brique ou la pierre de taille. Mais ces éléments sont différents d'une région à l'autre.

Symboliquement, les portes et les portails permettent un jeu de rupture sur le territoire en qualifiant les différents espaces et en leur accordant un caractère plus ou moins sacré. Ils permettent également de gérer les temps de fréquentation et de réguler les flux sociaux, ce qui induit également des expériences psychologiques fortes d'attente, d'appréhension etc. Vis-à-vis des autres, les portails permettent d'exprimer une identité, une volonté d'ouverture ou de fermeture. Comme les vêtements, les portails évoluent selon les modes. Ils sont à la fois des indicateurs sociaux et des outils de protection. On peut supposer une inflation des portes et portails dans le monde moderne avec l'individualisation et la fonctionnalisation des espaces. En mêmes temps, on peut craindre une standardisation des styles avec les méthodes modernes de production en série.
On risque donc d'assister à une démultiplication de portes impersonnelles et stéréotypées, destinées à découper l'espaces en une multitude d'espaces privatifs. On peut également redouter que l'expérience symbolique liée à la porte devienne moins riche et moins profonde. Il faut donc se demander comment les portes pourraient aujourd'hui devenir un moyen d'expression diversifié et permettre un enrichissement de l'expérience symbolique que nous avons traditionnellement de l'espace. Sur un plan plus concret, il faudrait éviter que nos portes transforment l'espace en un réseau de fortification. Elle ne doivent pas nuire à la communication des espaces et doivent inviter à leur communication.

vendredi 4 mars 2011

GLANDER A L'ERE DU DEVELOPPEMENT


Si l'improductivité est perçue comme un vice ou une maladie par une société qui voit dans le travail la condition de l'accomplissement moral de l'individu et social de l'humanité, cette improductivité ne peut être rendue productive que dans la consommation. Disons que la consommation a accordé un statut à la glande. Mais ne peut-on pas accorder un rôle plus fondamental à l'improductivité ? La glande cantonnée au loisir participe d'une certaine productivité. Mais l'homme peut-il être réduit à sa productivité ? La glande compartimentée dans le loisir et la consommation n'est-elle pas qu'un avatar d'une improductivité fondamentale propre à l'homme, voire à l'animal ? Arriverons nous à accorder un rôle fonctionnel au fait de glander comme on en trouve au fait de rêver ?


I

Le concept de "glander" peut sembler dérisoire. Cependant, il intéresse en raison même de sa futilité. La glande est redoutée en vertu de son pouvoir anéantissant. Le glandeur est pourchassé comme Alexandre le bien heureux interprété par Philippe Noiret dans le film d'Yves Robert sorti en 1967. L'enfant indolent ou improductif, le chômeur, le oisif, le rentier subissent les foudres d'une morale laborieuse. Ils sont pourchassés et traités de parias, de parasites, de traitres ou de fumistes.

Le glandeur chronique est perçu soit comme un pêcheur, soit comme un malade. Il déroge à la norme du bon fonctionnement moral ou psychologique. Le glandeur professionnel, qui n'est pas un glandeur occasionnel, comme nous le sommes après le travail, est exclu de la norme morale ou médicale. Il n'est pas sain au double sens spirituel et psychique. C'est semble-t-il la même norme laborieuse qui régit les critères religieux traditionnels et scientifiques modernes de partage entre le normal et le pathologique.
Le glandeur, d'un point de vue moral, est la proie du mal, des pensées futiles ou obscènes. Il est incapable de réprimer ses penchants et s'abandonne au caprices de ses sens. Aujourd'hui encore l'on considère que l'inactif est exposé à l'oisiveté. Le chômage est souvent perçu comme la cause de la délinquance. Le glandeur manquerait de courage face à la tentation. On admirait hier le croyant et l'on respecte aujourd'hui le travailleur, parce qu'ils persistent à croire en ce qu'il font en dépit de la difficulté (comme Job soumis à l'épreuve). Le glandeur, le fainéant et le paresseux ne sauraient paraît-il faire preuve de ce courage. Il sont à la merci de leurs passions. C'est pourquoi l'on dit que la paresse est-elle la mère de tous les vices.
Le glandeur, d'un point de vue médical, peut-être jugé mélancolique ou dépressif. Il a perdu la volonté et risque la désintégration psychosociale (exclusion, rupture, licenciement). Le glandeur chronique est perçu comme quelqu'un qui va mal. Son état psychologique (perte de la volonté, du désir, de la motivation) induit des problèmes sociaux (manque de reconnaissance, de confiance, faillite économique, solitude). En retour, ce genre de problèmes sociaux peut également induire un affaiblissement psychologique (perte du goût, de l'estime de soi, dépression). On utilisera le concept d'acédie, issu du grec akêdéia signifiant négligence ou indifférence. L'acédie est une forme d'anxiété, une absence de sérénité, qui conduit au relâchement de l'âme, terrain d'élection de la névrose. Notons que l'acédie, d'un point de vue médical, ne devrait pas engager la responsabilité du patient. C'est un mal qui le dépasse et qu'il subit. Tandis que d'un point de vue moral, elle est perçue comme un vice. On suppose dans ce cas un manque de volonté et donc une responsabilité dans le fait de ne rien faire.

Le glandeur est assimilé dans le langage courant au paresseux. Les deux termes sont ici synonymes. Le glandeur est celui qui ne fait rien ou rien de grand, qui n'a pas d'ambition ni de persévérance. C'est un médiocre, un looser, un bon à rien, comme celui qu'incarne Michel Blanc dans le film Vient chez moi j'habite chez une copine réalisé par Patrice Leconte et sorti en 1981. Il s'oppose à la figure fière du travailleur, du self made man.
Pascal Taranto, dans l'article "Paresse" des rencontres de Sophie de 2007 consacrées au Bien et au mal, compare l'ermite, moine inactif et exposé à la mélancolie, au cénobite, qui au contraire effectue quotidiennement des tâches. Là où l'ermite seul avec ses pensées est particulièrement sujet à l'acédie, le cénobite, qui vit sous le commandement de son abbé, est constamment occupé à toutes sortes de travaux manuels et de devoirs spirituels. Il n' a donc pas le temps d'être assailli par ses pensées tristes. Les tâches du cénobites éloignent les mauvaises pensées et sont profitables à la communauté. Sur ce modèle, on conçoit que l'activité du cénobite est bénéfique sur le plan psychologique et spirituel et sur le plan sociologique. Disons que le cénobite évite à son esprit de divaguer et effectue des tâches utiles à la communauté. La paresse de l'ermite est au contraire le signe d'un égoïsme nuisible à autrui et à soi. L'égoïste suit ses idées propres, sans que rien ne les régule, et n'agit que pour soi. Il faudrait ici comparer l'égoïsme à l'individualisme pour comprendre que l'individualisme, si dominant dans nos société, est lié au travail, et plus précisément à l'initiative personnelle, et l'égoïsme à la paresse, au manque d'initiative.
La société moderne est, dit-on, rationaliste. Or le travail est la condition de réalisation de la rationalité scientifique et technique moderne. Le développement de la rationalité de l'espèce humaine s'observe également au niveau de l'individu. S'il ne travaille pas, il ne devient pas un être rationnel et donc humain. Le travail étant nécessaire à l'humanité en soi et pour soi, il devient criminel de s'y opposer. Celui qui, en glandant, ne travaille pas, nuit donc à l'humanité de deux façons : contre sa nature individuelle, qui est de travailler pour développer et maintenir son instruction, et contre la société, qui devrait profiter du fruit de son travail pour se maintenir et se développer. Kant, figure importante de l'humanisme rationaliste, est sans concession contre la paresse. S'il admet son caractère pacifiste, il déplore cependant ses conséquences contre productives. Kant affirme que si la nature a donné à l’homme la raison, c’est qu’elle a voulu qu’il travaille, parce que cette raison n’est pas immédiatement en exercice et demande des efforts. Une société qui se satisferait du repos ne pourrait évoluer. Selon ses mots, "tous les talents resteraient à jamais enfouis en germe, au milieu d'une existence de bergers d'Arcadie, dans une concorde, une satisfaction, et un amour mutuel parfaits ; (…) toutes les dispositions naturelles excellentes de l'humanité seraient étouffées dans un éternel sommeil. (L'homme) veut vivre commodément et à son aise ; mais la nature veut qu'il soit obligé de sortir de son inertie et de sa satisfaction passive, de se jeter dans le travail et dans la peine pour trouver en retour les moyens de s'en libérer sagement" (Idée d’une histoire universelle, "4e proposition").

Ce qui définit le crime de l'improductif, c'est le fait de ne pas profiter aux autres, de les priver de ce qu'ils devraient posséder avec l'aide de chacun. Pourquoi ne pourrait-on pas estimer que l'improductif au moins ne nuit à personne ? Ce serait ignorer que la passivité est encore activité. Ne pas résister à l'oppresseur, ne pas secourir une personne en danger, ne pas être capables de se nourrir, tout cela peut être perçu comme faute qui a pour nom l'attentisme. On suppose que l'individu a nécessairement une dette à l'égard des autres et de lui-même et qu'il n'a pas le loisir de choisir absolument ce qu'il peut ne pas faire. Cette morale du devoir n'accorde pas de place aux caprices du hasard et des circonstances, ni au actes improvisés et spontanés.
La diabolisation de la paresse ne vise pas uniquement l'individu. Il suffit généralement de désigner une communauté comme un obstacle à l'objectif que l'on envisage pour l'humanité pour considérer cette communauté comme inhumaine. Dès lors que l'on ne reconnaît pas l'intérêt des pratiques d'un peuple, on le méprise et menace de le détruire ou de l'asservir à des objectifs reconnus comme valables. Le sauvage était considéré comme ne faisant rien de bon avant que les anthropologues ne perçoivent le sens de leur mode de vie. Si l'étranger, en plus d'être vu comme improductif, est perçu comme un frein et une menace, l'agressivité à son égard devient totale. Les plus radicaux n'hésitent pas à mettre en équation les indésirable et les chômeurs. "Trois millions de chômeurs c'est trois millions d'immigrés" affirmait le Front national dans les années quatre vingt, reprenant le slogan hitlérien "500 milles juifs c'est 500 milles chômeurs".
Sont perçus comme improductifs les étrangers mais aussi les jeunes, les vieux, les chômeurs, les pauvres et les riches rentiers. Bien entendu, les étrangers sont en réalité productif. Ils fournissent un travail important à l'intérieur et à l'extérieur des frontières. Mais ils sont perçus comme non productif par les nationalistes parce qu'ils estiment que la productivité de l'étranger ne profite qu'à lui. Pire, on considère son gain comme un vol. A vrai dire, il y a deux formes de racisme : l'un qui qualifie les étrangers de fainéants, comme Jean Paul Guerlain déclarant en 2010 sur France 2 "Je ne sais pas si les nègres ont toujours tellement travaillé" ; l'autre qui les considère comme des concurrents déloyaux dans le travail, comme lorsqu'on parle de "péril jaune". Les jeunes en tant qu'ils étudient et les vieux en tant qu'ils sont retraités sont perçus comme improductifs. Ils capteraient plus de richesses qu'ils n'en créeraient. Ils sont en plus perçus comme faibles, non rentables, en raison de l'inexpérience ou de la fatigue de l'âge. Les femmes, également infériorisées face au travail, se retrouvent avec un statut de seconde zone. On doute de leur disponibilité, de leur force musculaire ou cérébrale dans le monde du travail. Quant à leur travail domestique, il n'est pas toujours reconnu comme une tâche réelle. Le pauvre quant à lui est tenu pour responsable de sa pauvreté en vertu d'une supposée paresse. "Ils ont choisi de ne rien faire" entendons-nous parfois. Patrick Balkany, membre fondateur du Rpr, prétendait en 2005 que les Sdf en France sont des gens qui "ont choisi de vivre en marge". Les riches rentiers sont également critiqués par les penseurs de gauche (rejoignant parfois un certain antisémitisme dans la mesure ou la plus-value capitaliste est naïvement assimilée à l'usure juive). "La bourgeoisie, écrit Marx, a révélé comment la manifestation de la force brutale (...) trouva son complément naturel dans la fainéantise la plus crasse" (Manifeste du pc). Pour le gendre de Marx, Paul Lafargue, les bourgeois sont "ceux qui pour s'enrichir en fainéant donnent du travail aux pauvres" (Droit à la paresse).

La critique de la fainéantise peut être faite pour des motifs moins politiques et plus philosophiques. Nous nous divertissons de l'angoisse existentielle en nous plongeant à la fois dans le travail et les loisirs. Ici toute l'humanité s'égare dans une activité stérile. Au nom, non plus de la productivité, mais de l'authenticité, ceux qui ne travaillent pas peuvent être condamnables au même titre que ceux qui travaillent. Le travail et le loisir chassent les pensées graves et profondes. Au fond, la philosophie, d'Héraclite à Heidegger, en passant par Pascal ou Kierkegaard, n'a cessé de dénoncé le troupeau des hommes embourbés dans l'opinion et la futilité, à la différence du sage élevant son âme au-delà de la caverne, vers le logos universel ou l'être vrai des choses. Au lieu d'affronter courageusement l'angoisse, les hommes se divertissent. "Les hommes, écrit Pascal, n'ayant pu guérir la mort, la misère, l'ignorance, ils se sont avisés pour se rendre heureux, de n'y point penser". Cette condamnation du divertissement résonnera encore dans les critiques de la technique par Jaques Ellul ou du spectacle par Guy Debord. Nous fuyons les questions authentiques concernant notre existence et notre finitude. Toutes nos activités, laborieuses ou ludiques, nous empêchent d'être à l'écoute de l'Etre. Ici nous avons une critique de la glande au nom d'une improductivité supérieure et au fond intéressante, non pas au sens pratique mais au sens théorique. En fin de compte, c'est le devoir des hommes de se distinguer des bêtes. Or l'activité productive ou ludique des hommes reste comparable à l'affairement ou l'agitation des animaux.
Le loisir, le spectacle et le divertissement sont certes des outils d'abêtissement mais aussi d'administration des masses. On parvient à organiser de façon quasi-totalitaire le temps libre. Le bonheur artificiel de l'industrie du loisir nous détourne des objectifs réels, comme ont pu le remarquer les philosophes de l'Ecole de Francfort. Chez eux, la critique gnostique des affaires courantes à trouvé un regain de vitalité dans le contexte de la culture de masse. La glande telle qu'elle est orchestrée par l'industrie du loisir est parfaitement inauthentique. C'est une activité productive déguisée, destinée à stimuler l'économie mais aussi à gouverner les âmes en définissant leur espace de loisir. « Dans le capitalisme avancé, écrivent Horkheimer et Adorno, l’amusement est le prolongement du travail. Il est recherché par celui qui veut échapper au processus du travail automatisé pour être de nouveau en mesure de l’affronter. Mais l’automatisation a pris un tel pouvoir sur l’homme durant son temps libre, elle détermine si profondément la fabrication des produits servant au divertissement que cet homme ne peut plus appréhender autre chose que la copie, la reproduction du processus du travail lui-même" (La Dialectique de la raison).

Glander s'accompagne au point de vue mental d'une errance, d'une divagation et d'une rêverie qui nous éloigne de la réalité et de la vérité. Si l'indolence a des effets pervers sur la vertu, elle en a également sur les capacités intellectuelles conçues sur le modèle du labeur. Comme l'écrit Descartes «ce n'est pas assez d'avoir l'esprit bon, le principal est de l'appliquer bien. Les plus grandes âmes sont capables des plus grands vices, aussi bien que des plus grandes vertus ; et ceux qui ne marchent que fort lentement, peuvent avancer beaucoup davantage, s'ils suivent toujours le droit chemin que ne font ceux qui courent et qui s'en éloignent » (Discours de la méthode).
La méthode exige un effort de volonté et d'attention. Il n'y a pas de pensée qui puisse être paresseuse pour Descartes et les rationaliste. Il faut donc se méfier et douter de nous-mêmes. La méthode est en quelque sorte l'introduction de la rigueur technique dans la pensée. Là où Aristote donnait les règles logiques du jeu de la pensée, Descartes fournit carrément un mode d'emploi. Qui ne le suit pas sort de la science pour entrer dans la divagation. Les différents courants, les différentes modes de prêt à penser soutiennent ce genre de crédo sans parfois se rendre compte qu'ils engendrent à leur tour un autre genre de paresse. Car l'effort d'apprentissage d'une technique risque de déboucher sur le ronronnement confortable d'une pensée sûre d'elle-même. Cela concerne aussi bien la scolastique médiévale que le rationalisme des lumières, l'hegelianisme soviétique et l'existentialisme des années cinquante ou le structuralisme des années soixante dix, et aujourd'hui le courant analytique. Marejko écrit en 1989 : "Alors que la philosophie est par excellence une branche du savoir irréductible à un savoir-faire ou une technique, on y voit maintenant se développer une tendance à parler de plus en plus de scientificité au lieu de métaphysique, de forme au lieu de contenu, de technicité au lieu de vérité. Le pire est que cette tendance est soutenue par une mode importée du monde anglo-américain. On prend en effet au sérieux la philosophie analytique et autres mouvements dont l'apparent souci de rigueur n'a d'égal que le vide du propos" (Le Territoire métaphysique).
La paresse intellectuelle ne concerne pas uniquement notre rapport à notre propre pensée. La société utilise la rhétorique et la propagande pour orienter le comportement des gens, trop souvent sans souci de vérité et de justice. Elle cherche le plus court moyen pour faire agir de telle ou telle façon. Or la paresse d'esprit nous rend vulnérables et lâches face à cette entreprise de séduction. Elle nous rend poreux aux propos trompeurs. Elle nous empêche de résister à un discours formaté qui tend à diriger nos comportements. Ici la paresse devient le terreau du totalitarisme. Cette idée circule depuis au moins le Discours sur la servitude volontaire de La Boétie jusqu'aux Origines du totalitarisme de Arendt. Savoir penser par soi-même (c'est-à-dire s'interroger sur soi, sur ses actes, sur les normes) est la condition pour éviter de sombrer dans la banalité du mal, à la manière d'un Eichmann qui, croyant accomplir son devoir, suivit sans réfléchir les consignes de Hitler.


II

Il y a donc de nombreuses raisons, plus ou moins bonnes, de s'en prendre au fait de glander. Les plus mauvaises naissent souvent d'une conception limitée de l'improductivité. Une anthropologie plus fine doit en percevoir les qualités. Glander n'est-il pas le propre de l'homme et même de l'animal ? On connaît bien sûr le paresseux ou phyllophaga d'Amérique tropicale qui est presque toujours suspendu à l'envers dans les arbres et se déplace avec lenteur, à moins de 10 m à la minute. Ce sympathique animal ne descend pour faire ses besoins qu'une fois par semaine. Pour les autres animaux, on s'attendrit sur leurs jeux, leurs siestes, et tout les moments qui ne sont pas consacrés à garantir leur survie. Car c'est dans ces moments qu'ils nous ressemblent le plus.

Ce qui peut séduire chez le glandeur, c'est qu'il n'est pas inquiet. On se souvient de la séduction qu'exerce sur Baudelaire l'indolence de Jeanne Duval, dans "Le Serpent qui danse" par exemple. On notera l'attrait du jeu des enfants sur des peintres comme Fontebasso, Renoir ou Liebermann. On est attendri par le chat qui paresse ou l'oiseau qui virevolte. La tranquillité du vieux sage aussi nous plait, son apparente invulnérabilité, comme Socrate avant de mourir.
La paresse est parfois tout le contraire du vice. Car ce dernier peut demander un fort investissement pour être assouvi. "La paresse assèche la racine industrieuse du vice, affirme Pascal Taranto. Vous ne verrez jamais un paresseux courir derrière la fortune comme Harpagon derrière sa cassette, ou courser la ribaude avec les artifices luxurieux d'un Casanova. La paresse annule toute convoitise". Le sage s'abstient d'agir mal ou d'agir en vain. S'il paraît glander aux yeux de certains lorsqu'il lit, écrit ou médite, c'est qu'ils ne voient pas que son action est ailleurs. Elle ne vise ni la richesse ni la gloire, ni l'argent ni la reconnaissance. On se souvient de l'exemple de Thales rapporté par Platon dans le Théétète. "Il observait les astres et, comme il avait les yeux au ciel, il tomba dans un puits. Une servante de Thrace, fine et spirituelle, le railla, dit-on, en disant qu’il s’évertuait à savoir ce qui se passait dans le ciel, et qu’il ne prenait pas garde à ce qui était devant lui et à ses pieds". Cependant, afin de prouver que son activité apparemment vaine pouvait trouver à s'appliquer, il utilisa en 596 av JC ses observations astronomiques pour prévoir une excellente récolte d'olives. Il mis en place de nombreuses nouvelles presses à huile sur Chios et Melos, faisant des habitants des îles des hommes riches en un an.
On a souvent observé que ce qui caractérise le monde moderne cartésien, c'est de chercher à devenir maître de la nature, à transformer le monde à l'image de l'homme. Le romantisme qui s'oppose à ce rationalisme technicien réclame au contraire de laisser-être des choses, bien souvent avec des accents nostalgiques. L’œuvre de Verlaine, par exemple, encore marquée par le romantisme, illustre assez bien un certain quiétisme du sentir, comme le remarque Jean-Pierre Richard : "volonté de ne pas provoquer l’extérieur, art de faire en soi le vide, croyance en une activité émanatoire des choses - brises, souffles, vents venus d’ailleurs - sur laquelle l’homme se reconnaît sans pouvoir» (Poésie et Profondeur). Résumant les diverses manifestations de l'imprégnation romantique de Lamartine, Pierre Lasserre lui s'exclame : "paresse, glorieuse et magnifique, paresse enivrée" (Le Romantisme français). On pourrait également évoquer le quiétisme chrétien de Miguel de Molinos au XIXe. Ou encore L'Orient ancien et Lao tseu, pour qui le saint homme n’a point d’affection particulière, tout comme le ciel et la terre regardent paisiblement la création. Le concept taoïste de "non-agir", proche du non-être, recommande de ne pas s'impliquer au delà de l'action spontanée. Aucun calcul ne doit nous guider. Il ne sert à rien de courir en tous sens pour accomplir sa destinée. Il s'agit surtout de se mettre à l'écoute des rythmes de l'univers.
La philosophie de Heidegger sur ce point n'est pas très éloignée du romantisme et de l'orientalisme. Il oppose par exemple le pont à l'ouvrage hydraulique dans «La question de la technique» (Essais et conférences). «La centrale, dit-il, n'est pas construite dans le courant du Rhin comme le vieux pont de bois qui depuis des siècles unit une rive à l'autre (...). Le fleuve est muré dans la centrale», qui le met en demeure de livrer l'énergie qu'il recèle. La centrale et le pont de bois illustrent deux types de relation à la nature. La technique ancienne du pont permet à l'homme d'habiter la terre en poète, en laissant la nature se déployer. La technologie, par contre, est une provocation par laquelle la nature est mise en demeure de livrer ses ressources. Elle opère une coupure radicale entre les produits de l'activité humaine et la nature. Ainsi, la construction de la centrale électrique revient-elle à éliminer le fleuve en tant que fleuve, pour en faire un mécanisme qui entraîne une machine. Le fleuve lui-même devient un objet technique et meurt en tant que chose naturelle. Chez Heidegger, la nature est aliénée à la machine tout autant que le travailleur chez Marx.

A force de se consacrer à son travail, à son entreprise, on néglige parfois sa santé, son éducation, sa famille ou ses amis. On a jamais le temps de rien. Ou alors on ne prend pas le temps par fatigue, préférant des occupations qui ne demandent pas trop d'énergie. "Les plaisirs des populations urbaines sont devenus essentiellement passifs, écrit Bertran Russel en 1932 : aller au cinéma, assister à des matchs de football, écouter la radio etc. Cela tient au fait que leur énergies actives sont complètement accaparées par le travail" (Eloge de l'oisiveté). Cette passivité concerne la façon de se divertir, mais très certainement également notre façon d'être vis-à-vis des autres. Nous devenons égoïstes une fois notre énergie absorbée par le travail. Et c'est à peine si l'on se respecte soi-même.
Cependant, le repos possède traditionnellement un caractère saint et élevé. C'est un moment d'union sociale, de rencontre réelle et sans finalité productive. Le repos permet de regarder autour de soi, de se rendre compte de tout ce que l'on met autrement de côté quand on est concentré sur une seule et unique tâche. Le repos est tout simplement divin. "Dieu ne crée plus, dit Malévich, il se repose sur le trône de la paresse et contemple sa propre sagesse". La destination de l'homme, pour le peintre, est de devenir semblable à Dieu. "Comme le processus de perfection de l'homme continuera à se poursuivre dans le futur, il nous mènera nécessairement à l'état de Dieu" (La Paresse comme vérité effective de l'homme). Dans la genèse, il est écrit : "Dieu acheva au septième jour son œuvre, qu’il avait faite ; et il se reposa au septième jour de toute son œuvre qu’il avait faite. Dieu bénit le septième jour, et il le sanctifia, parce qu’en ce jour il se reposa". On retrouve parmi les dix commandement de l'Exode cette idée : "Souviens-toi du jour du repos, pour le sanctifier. Tu travailleras six jours, et tu feras tout ton ouvrage. Mais le septième jour est le jour du repos de l'Éternel, ton Dieu : tu ne feras aucun ouvrage, ni toi, ni ton fils, ni ta fille, ni ton serviteur, ni ta servante, ni ton bétail, ni l'étranger qui est dans tes portes. Car en six jours l'Éternel a fait les cieux, la terre et la mer, et tout ce qui y est contenu, et il s'est reposé le septième jour : C'est pourquoi l'Éternel a béni le jour du repos et l'a sanctifié".
Dans la tradition helléniste, comme dans la tradition biblique, le repos et la vie contemplative sont perçus comme une élévation par rapport à l'affairement quotidien et la vie active. Cette apologie du repos est corrélative d'un certain rejet de la pratique dans la tradition philosophique. Elle valorise les art libéraux au détriment des arts mécaniques. Le philosophe fait de la philosophie une activité libre à laquelle il consacre sa vie. La philosophie suppose un certain genre de vie, ou un art de vivre. Pythagore, par exemple, se distingue par un genre de vie contemplatif. Diogène Laërce rapporte que «Lorsque Léon, le tyran de Phlionte, lui demanda qui il était, il répondit : un philosophe (un amoureux de la sagesse). Et il disait que la vie ressemble à une panégyrie (une assemblée de tout le peuple). De même que certains s'y rendent pour concourir, d'autres pour faire du commerce, alors que les meilleurs sont ceux qui viennent en spectateurs, de même, dans la vie, les uns naissent esclaves et chassent gloire et richesses, les autres naissent philosophes et chassent la vérité » (Vies et doctrines des philosophes illustres). Ce jugement n'est pas uniquement l'apanage des philosophes. Il traduit une opinion plus générale. Hérodote rapporte que "chez la plupart des barbares, ceux qui apprennent les arts mécaniques et même leurs enfants sont regardés comme les derniers des citoyens... Tous les grecs ont été élevés dans ces principes". Évidemment, la possibilité pour les hommes libres de se consacrer à l'art, la politique ou la science supposait que les travaux de maintenance fussent réservés aux esclaves. La solution dans les démocraties modernes consiste à déléguer la besogne aux machines, comme d'ailleurs l'avait prévu Aristote qui imagine que "si, par exemple, les navettes des tisserands tissaient d'elles-mêmes, les chefs d'atelier n'aurait plus besoin d'aide, ni le maître d'esclave" (Les Politiques).

Si l'on se repose habituellement pour mieux travailler, le repos est plus fondamentalement le but du travail selon Malévitch. C'est ce que nous désirons en secret lorsque nous allons travailler. L'origine de la technique moderne est la volonté d'amoindrir nos efforts et de démocratiser le loisir. On ne doit donc pas s'étonner qu'il faille réviser notre idéologie qui oublie que le travail (tout comme l'argent) n'est pas une fin en soi mais un moyen. "La paresse est l'aiguillon principal pour le travail, car c'est seulement par le travail qu'on peut l'atteindre" dit encore Malévich. Il ne s'agit d'atteindre un repos absolu mais de pouvoir humaniser le travail en le diversifiant, en redonnant de l'initiative au travailleur. À la fin du Capital, Marx dit qu'il faut faire en sorte que les conditions de travail soient le plus dignes possibles. La condition de cette dignité, c’est la réduction du temps de travail, et le partage des tâches les plus difficiles, qu’il faudrait répartir sur l’ensemble de la société. Le concept de fin du travail, que l'on trouve chez Ruskin, Meda ou Gorz, désigne un travail désaliéné mais pas radicalement aboli.
Les travailleurs sont trop souvent forcés de travailler dans des conditions aliénantes par leur employeurs. On peut même déplorer que les travailleurs eux-mêmes soient leur propre bourreau en n'envisageant la vie qu'à travers le travail. "Une étrange folie possède les classes ouvrières des nations où règne la civilisation capitaliste, affirme Lafargue. Cette folie traîne à sa suite des misères individuelles et sociales qui, depuis des siècles, torturent la triste humanité. Cette folie est l'amour du travail, la passion moribonde du travail poussée jusqu'à l'épuisement des forces vitales de l'individu et de sa progéniture" (Le Droit à la paresse). Mais aujourd'hui, bien des employeurs s'imposent à eux-mêmes également un travail difficile. La différence est surtout dans le salaire et la propriété, et non dans le fait de travailler. Car c'est la même idéologie que défendent employeurs et employés. N'es-ce pas ce qu'observait déjà Pascal."J’ai découvert, dit-il, que tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre" ?

Le temps du repos est un temps important qui ne doit pas être aliéné à la simple consommation de ce qui est produit. Le danger aujourd'hui est que l'on se voit imposer comment ne rien faire. Les codes traditionnels sont remplacés par les grands rituels de consommation comme Noël qui tendent à l'uniformisation des attitudes et des présents. La récréation doit être aussi un moment de création et non de consommation passive. Or, remarque Isabelle Grégor, " il suffit de se promener dans une rue commerçante pour avoir l'œil attiré, suivant les époques, par les cocottes de Pâques, les cœurs de la Saint-Valentin ou même les dragons du nouvel an chinois. Dans notre société de consommation, ces occasions de vendre ne pouvaient échapper aux spécialistes du marketing ! Sait-on ainsi que la couleur du père Noël est directement inspirée de la marque Coca-Cola qui s'empara de ce «cousin» de saint Nicolas en 1931 ? Doit-on se réjouir de l'invasion des monstres d'Halloween, depuis le début du millénaire, ou encore de l'hommage rendu aux secrétaires tous les ans en mai depuis 1951 ? Même la fête des Pères, si populaire dans les familles, est en France l'œuvre d'un fabricant de briquets" (Hérodote.net).
Les fêtes sont un bon exemple de la manière dont le repos peut être contrôlé au même titre que le travail. La fête devrait rester un moment de transgression de la norme, de débauche, de travestissement et de subversion, comme lors des Saturnales ou des Carnavals. Mais elle fut disciplinée par la religion et aujourd'hui par le marketing. La fête est à présent soumise aux normes du commerce. Il est interdit de boire dans la rue, par exemple, mais uniquement sous la surveillance de vigiles, dans des boites de nuit offrant des consommation à des prix exorbitants. Isabel Grégor raconte qu'à l'époque du Roi-Soleil centralisateur, tout rassemblement susceptible de désordre et de débauche fut proscrit. Cette tendance fut appuyée par l'influence de la Réforme protestante puis des jansénistes qui appelèrent à une religion plus intériorisée, loin de toute manifestation collective exubérante. "À la même époque, ajoute-t-elle, l'économie devient une priorité, moins pour le bien-être du peuple que pour l'enrichissement de l'État. En 1669, Colbert fait envoyer à tous les évêques des lettres du roi les exhortant à procéder à des retranchements dans le calendrier de leur diocèse ! Cette volonté de lutter contre ces pertes de temps est partagée par les Lumières, qui trouvent dans ce combat une nouvelle occasion de lutter contre des superstitions jugées barbares. Les révolutionnaires reprennent le flambeau en supprimant les fêtes traditionnelles communautaires pour en créer d'inédites, dignes de la nouvelle ère qui s'annonce" (ibid).

Ce qui plait dans le spectacle du chat ou de l'enfant qui jouent, des ondes sur l'eau ou sur le champ de blé, des oiseaux dans le ciel, c'est qu'ils symbolisent l'insouciance et l'émancipation du besoin. C'est tout autre chose que d'admirer l'ingéniosité de l'araignée ou de la fourmi dans leur labeur. On observe le loisir en esthète et le travail en technicien. Voici comment Bergson parle des artistes et de leur indépendance par rapport à l'utilité. "De loin en loin, par un accident heureux, des hommes surgissent dont les sens ou la conscience sont moins adhérents à la vie. La nature a oublié d'attacher leur faculté de percevoir à leur faculté d'agir. Quand ils regardent une chose, ils la voient pour elle, et non plus pour eux. Ils ne perçoivent plus simplement en vue d'agir ; ils perçoivent pour percevoir - pour rien, pour le plaisir. Par un certain côté d'eux-mêmes (...), ils naissent détachés ; et, selon que ce détachement est celui de tel ou tel sens, ou de la conscience, ils sont peintres ou sculpteurs, musiciens ou poètes" (La pensée et le mouvant). Nous comprenons bien en quoi l'art est l'expression de la liberté. C'est le moyen par lequel nous conférons aux choses notre propre liberté grâce à un regard désintéressé".
Walter Benjamin affirme dans L'oeuvre d'art à l'ère de la reproduction mécanique que l'ancêtre de l'oeuvre d'art est l'icône religieuse dissimulée, reposant quelque part à l'abri des regards. Opposée à la religion cinétique de la modernité liée à l'utilitarisme et au progressisme, la valeur d'éternité et de permanence est incarnée par les monuments classiques, par un patrimoine que l'on tente de faire durer ou de restaurer. Le repos caractérise l'art à la différence de la technique. "En raison de leur éminente permanence, affirme H. Arendt, les œuvres d'art sont de tous les objets tangibles les plus intensément du monde ; leur durabilité est presque invulnérable aux effets corrosifs des processus naturels, puisqu'elles ne sont pas soumises à l'utilisation qu'en feraient les créatures vivantes, utilisation qui, en effet, loin d'actualiser leur finalité - comme la finalité d'une chaise lorsqu'on s'assied dessus - ne peut que les détruire" (Condition de l'homme moderne, 1951).

Le pacifisme et la non-violence refusent la démonstration de force physique. Il ne s'agit pas exactement de ne rien faire, car il faut avoir de la force de caractère et du courage pour résister pacifiquement. Mais faire un sit-in est une manière de rendre son inefficacité efficace. Le pacifisme moderne apparaît chez certains chrétiens au début du XXe siècle, comme les quakers, les mennonites, les huttérites et les doukhobors qui refusent de porter les armes. Mais la non violence à été popularisée dès 1921 par Gandhi en Inde en s'inspirant du bouddhisme et du jaïnisme. Elle a été adoptée ou utilisée plus ou moins ouvertement par de nombreuses personnes, dont Martin Luther King pour la lutte des Noirs américains contre la ségrégation, le 14e dalaï-lama en exil en Inde pour résoudre le conflit sino-tibétain, Adolfo Pérez Esquivel en Amérique latine, Vinoba Bhave à nouveau en Inde, Lech Wałęsa et Václav Havel contre les gouvernements communistes polonais et tchèque, Cory Aquino aux Philippines, Nelson Mandela et Steve Biko en Afrique du Sud, Aung San Suu Kyi au Myanmar et Ibrahim Rugova au Kosovo. Boycott, sit-in, désobéissance civile, désertion etc. sont donc différentes manière d'agir en refusant d'agir.
La logique du développement à des effets néfastes sur la société et l'environnement. L'activité doit être réduite et partagée. L'activité frénétique des hommes nuit aux écosystèmes. La recherche de nouvelles énergies risque seulement de repousser le problème. La décroissance, c'est-à-dire la baisse de la consommation et de la production, doit être entamée. Mais cette baisse d'activité risquerait, selon certains économistes, d'engendrer davantage de chômage et de misère. La fable de l'épingle de Russell permet de bien comprendre que l'inverse est tout à fait envisageable, en montrant le lien entre mécanisation, surproduction, faillite et chômage : "Quelqu'un met au point une invention qui permet au même nombre de personnes de faire deux fois plus d'épingles qu'auparavant. Bien, mais le monde n'a pas besoin de deux fois plus d'épingles : les épingles sont déjà si bon marché qu'on n'en achètera guère davantage même si elles coûtent moins cher. Dans un monde raisonnable, tous ceux qui sont employés dans cette industrie se mettraient à travailler quatre heures par jour plutôt que huit, et tout irait comme avant. Mais dans le monde réel, on craindrait que cela ne démoralise les travailleurs. Les gens continuent donc à travailler huit heures par jour, il y a trop d'épingles, des employeurs font faillite, et la moitié des ouvriers perdent leur emploi" (Eloge de l'oisiveté). Il ne s'agit pas, en travaillant moins, de devenir inactif mais de développer une économie sociale plutôt qu'une économie de marché. Par économie sociale, on entend les activités économiques productrices de biens ou de services, exercées par des sociétés, des coopératives, des associations, des mutuelles ou des fondations, dont l’éthique se traduit par les principes de finalité de service à la collectivité ou aux membres, plutôt que finalité de profit ; d'autonomie de gestion ; de gestion démocratique et participative ; et de primauté des personnes et du travail sur le capital dans la répartition des revenus.
Le projet d'un hédonisme non consumériste voit le jour à présent, sur un modèle ascétique et épicuriste. La philosophie d'Epicure consiste en réalité à ne pas multiplier les besoins inutiles et non à consommer jusqu'à l'excès. Nous devons apprendre à apprécier les choses non sophistiquées. On peut découvrir des paysages à une demi heure de vélo, sans avoir besoin de traverser la planète en avion. Un jeu de cartes entre amis est aussi amusant qu'une partie en ligne. La simplicité volontaire ou sobriété heureuse est un mode de vie consistant à réduire volontairement sa consommation, ainsi que les impacts de cette dernière, en vue de mener une vie davantage centrée sur des valeurs "essentielles". Cet engagement personnel ou associatif découle de multiples motivations qui vont habituellement accorder la priorité aux valeurs familiales, communautaires ou écologiques. On peut trouver en trouver les traces dans les écrits de Léon Tolstoï, de John Ruskin, de Henry David Thoreau. Il est représenté, par exemple, par le mouvement des Compagnons de Saint François ou encore les Communautés de l'Arche de Lanza del Vasto, inspiré par Gandhi, lui-même inspiré par Thoreau et Ruskin. Henri Bergson peut être associé à ce courant lorsqu'il écrit « Ce qui est beau, ce n'est pas d'être privé, ni même de se priver, c'est de ne pas sentir la privation ». Il fournit dans Les Deux Sources de la morale et de la religion un diagnostic de la surconsommation : « Jamais, en effet, les satisfactions que des inventions nouvelles apportent à d'anciens besoins ne déterminent l'humanité à en rester là ; des besoins nouveaux surgissent, aussi impérieux, de plus en plus nombreux. On a vu la course au bien-être aller en s'accélérant, sur une piste où des foules de plus en plus compactes se précipitaient. Aujourd'hui, c'est une ruée » (1932). La simplicité volontaire se veut justement comme une solution à cet engouement pour les produits de consommation que prévoit Bergson. En précurseur de ce courant, il précise les conditions de réalisation de cet idéal comme suit : « l'avenir de l'humanité reste indéterminé, parce qu'il dépend d'elle ». Il faudrait donc miser, selon Bergson, sur une éducation qui permette à la fois de comprendre l'impact de notre consommation grâce aux connaissances scientifiques et de développer notre goût pour des objets qui favorisent véritablement notre accomplissement personnel.

Opposés au fast-food et au surmenage, le slow-food et la slow-life invitent à profiter de sa vie et de son temps plus simplement. Le Slow Food (écogastronomie en france) est un mouvement fondé en Italie en 1986 par Carlo Petrini en réaction à l’émergence du mode de consommation de type restauration rapide. Ce mouvement mondial allie écologie et gastronomie. Il incite tout un chacun à retrouver les plaisirs de manger entre amis ou bien au cours d’un repas familial. Dans ce sens, le temps du repas devient un instant de partage tout en prenant plaisir à découvrir de nouvelles saveurs d’hier et d’aujourd’hui. Le paradoxe est que l'on arrive à vendre cette simplicité, tout comme l'on vend du sans plomb, du sans sel. Sans doute parce que nous sommes habitués à consommer. Il faudrait apprendre à profiter de la vie, sans la médiation d'un système marchand qui indique ce qui est bon ou non.
Nous avons créé également les conditions d'une oisiveté (jeu, loisirs, voyages) qu'il faut protéger contre une captation industrielle et commerciale. Le jeu vidéo, le logiciel de son etc. sont des outils stimulants, créatifs. Mais il faut se rendre à l'évidence : les choses sont majoritairement programmées à l'avance. Or les objets techniques ne doivent pas nous dire comment faire ou ne rien faire. Il doivent être personnalisables, mêmes si cette personnalisation répond de nos jours à une stratégie de marketing. "Le jeu implique une sorte d’affirmation de soi, de créativité, explique le ludologue Sébastien Genvo. Certains théoriciens psychanalytiques comme Winnicott explorent cet axe de réflexion. Par essence, le joueur cherche à affirmer son identité et à faire jaillir quelque chose de neuf. Depuis la naissance de ce marché, les producteurs essayent d’avoir un retour d’usage pour améliorer leur jeu, soit par des versions successives (cf. les jeux conçus de façon sérielle comme Mario Bros, Zelda, Doom), soit par une logique dynamique. Cette dernière est appliquée dans World of Warcraft par le biais de nombreux patches qui modifient le jeu et font qu’il n’est plus tout à fait le même qu’à sa sortie. Les concepteurs gardent toujours un œil sur les pratiques des utilisateurs : ils observent les règles inventées par ces derniers et ajoutent et les intègrent au jeu si elles marchent bien. Il y a une logique de boucle rétroactive entre producteur et consommateur.
Cela ne signifie pas que le consommateur est tout puissant, car c’est toujours le producteur qui met des verrous et empêche les appropriations nuisant à la rentabilité du jeu (ou contraires aux logiques de marché). Il y a une tension permanente entre la nécessité de concevoir des jeux créatifs et les verrous que le marché met en place pour en assurer la rentabilité. Les constructeurs imposent des normes aux éditeurs. Un jeu doit être accepté par un constructeur pour être publié sur leur plateforme. Si des logiques dominantes s’imposent, on a toujours en contrepartie des logiques sous-jacentes qui font avancer les choses. On parle aujourd’hui de user content, c’est-à-dire de production par les utilisateurs. Une manne gratuite qui fait économiser des frais de développement aux producteurs. Sony a sorti un jeu qui s’appelle Little Big Planet. Ce jeu est vendu avec l’argumentaire suivant : « vous allez être le créateur de votre propre monde, vous allez diffuser votre contenu, vous pourrez devenir célèbre par la création d’un niveau ». Mais si l’on regarde les licences globales d’utilisation, ce qu’on appelle les CLUF (Contrat de Licence Utilisateur Final), on s’aperçoit que Sony a tous les droits sur les créations d’utilisateur : dès lors qu’un utilisateur produit un contenu sur Little Big Planet, il cède ses droits d’exploitation commerciale à Sony qui peut revendre le niveau ou l’utiliser à des fins de promotion, sans rémunérer le joueur. Il y a une logique de mise à profit de la création de l’utilisateur dans des logiques commerciales. Cela dit, il faut relativiser: certains joueurs s’approprient des jeux et les transforment. L’équilibre entre la logique de marché et l’aspect ludique et créatif est donc très complexe et tendu" (Cadi).


III

Glander ce n'est pas être inactif mais improductif. On ne peut évaluer le glandeur qu'en fonction de toutes les conséquences de ce qu'il fait et pas uniquement de ce qu'il ne fait pas. Rien n'est en réalité passif. Le moindre cailloux exerce une action réelle ou potentielle. Il dévie la trajectoire du vent et servira d'abri à la fourmi sous la pluie. On est toujours inactif par rapport à quelque chose d'attendu et non absolument, comme lorsqu'on dit qu'un verre est vide, alors qu'il est vide d'eau mais non d'air. La glande a pu être perçue comme une chute, une errance folle, une régression vers l'informe, funeste pour soi-même, les autres et les valeurs. La glande est associée à la divagation, à l'égoïsme, à l'injustice, à la bêtise. Elle est donc dépréciée par rapport à une certaine conception des devoirs de l'homme : penser droit et travailler dur pour la collectivité. Mais elle peut tout aussi bien être célébrée comme le comble de l'impassibilité, de la liberté, de la contemplation et de la sagesse. On ne peut réduire l'homme à la fourmi laborieuse. Si nous voyions les fourmis glander, nous penserions sûrement qu'elles sont devenues humaines. La glande n'est pas l'inactivité mais un type d'activité qui n'a pas d'intérêt immédiat et visible.
Nous apprenons à faire et pas assez à ne rien faire. Ce manque de savoir-vivre, de savoir-être dans le laisser-aller ou le laisser-faire est encouragé par le divertissement industriel. Toute l'éducation est basée sur l'apprentissage de l'effort. Quand il s'agit de se reposer, alors on se paie des séances de sport ou l'on s'achète des biens pour se divertir. Pourrions-nous envisager un monde où ceux qui vont se reposer ne savent jamais d'avance ce qu'ils vont faire, écoutent leurs caprices, leurs vraies envies et non l'habitude ? Pouvons-nous envisager une société qui allie le jeu et le travail à l'image des sociétés archaïques qui, selon Bataille, avaient le souci "d'accorder le travail et le jeu, l'interdit et la transgression, le temps profane et les déchaînements de la fête en une sorte d'équilibre léger, où sans cesse les contraires se composent, où le jeu lui-même prend l'apparence du travail, et où la transgression contribue à l'affirmation de l'interdit" (Lascaux) ?


Raphaël Edelman, Rencontres de Sophie, Nantes mars 2011