mercredi 20 mars 2013

TERRITOIRES ET RELATIONS

Les territoires réels et virtuels sont des lieux d'échanges libres ou commerciaux. Nous allons réfléchir rapidement à ces notions à travers les exemples de la pause déjeuner et du commerce de proximité. Comment distinguer sur un territoire les réseaux sociaux et les services commerciaux ? Peuvent-ils se confondre ? Faut-il les distinguer ou les confondre ?

I. Les territoires
Le territoire est une étendue de "terre" occupée par un individu ou un groupe. C'est aussi la zone de vie d'un animal. L'occupation et l'appropriation du territoire suppose une délimitation active, voire violente, afin d'interdire l'accès aux éléments non désirés (ennemis, fléaux, rivaux, etc.) et de sécuriser une zone. Si le territoire désigne initialement un lieu réel, il peut néanmoins se rapporter à des espaces virtuels. Par exemple, les colonnes d'un journal ne sont pas ouvertes à tous. Un comité de rédaction effectuera un tri pour déterminer ce qui est publiable ou non. Aujourd'hui, internet offre une impressionnante dimension complémentaire au monde réel. Les communautés ou les entreprises y possèdent des territoires, les sites, bien souvent protégés par des codes d'accès ou des services de paiement en ligne. Si l'on envisage les thèmes de la pause déjeuner ou du commerce de proximité à l'aune du concept de territoire, on peut dire que le restaurateur accueille sur son territoire des clients qui peuvent être des habitués et se trouver comme chez eux dans le restaurant. Cette proximité entre les restaurateurs et les clients peut s'étendre au web (menus en ligne, service de réservation, information sur les événements, etc.). En ce qui concerne les commerces de proximité, ils animent la vie du quartier, lequel est le territoire public le plus immédiat après l'espace privé de la demeure. Ici aussi il existe une extension sur internet, par exemple lorsqu'un commerce diffuse ses horaires d'ouverture et son numéro de téléphone.

II. Les réseaux
Un réseau désigne au propre un entrelacs de fils ou de voies. Au figuré, il dénote les rapports humains comme les réseaux d'amis, de clients ou de militants. Le réseau est un type d'organisation horizontal, organisé par les interactions plutôt que par la décision d'un chef. Même s'il existe des réseaux commerciaux, les réseaux sont bien souvent non lucratifs. Les échanges reposent sur les affects plus que sur la raison, sur le don plutôt que le calcul, sur les valeurs sociales de reconnaissance au lieu de rapports économiques de profit. En ce qui concerne la pause déjeuner, elle permet généralement de rompre les rapports professionnels et commerciaux, bien qu'on puisse déjeuner avec des collègues et faire ainsi marcher le petit commerce. Quant au commerce de proximité, en dépit de son caractère marchand, il offre davantage en terme d'échanges sociaux. On connaît par exemple l'importance des commerces de proximité pour les personnes âgées qui souvent réclament attention et assistance. C'est que le mot "proximité", en plus de sa dénotation spatiale, possède une connotation affective.

III. Les services
La notion de service appartient au domaine du travail plus que du loisir (même si l'on peut rendre service à un voisin en l'aidant à jardiner). Le concept de service est plus rigide que celui de réseau, plus vertical et "opératif". J'emprunte ce dernier terme à JL Weissberg qui écrit : "Le cyberspace cumule la fonction imaginaire (ludique, onirique, relationnelle) avec la fonction opérative (formation, commerce, travail)" (Présence à distance, p 137). La notion de service porte non pas sur le produit mais plus en amont ou en aval sur l'activité liée au produit (préparation, conseils, vente, réparation, etc.). Concernant la pause déjeuner, les services sont ceux "offerts" par les restaurateurs mais aussi les télécommunications qui permettent de s'organiser pour la pause (téléphonie, internet). En ce qui concerne les commerces de proximité, ils sont eux-mêmes des services, même s'ils sont plus conviviaux que les commerces plus anonymes comme les supermarchés.

Conclusion
Nous voyons donc se tisser, sur les territoires réel et virtuel, des relations plus ou moins marchandes ou hiérarchisées. Les territoires eux-mêmes naissent et se forment grâce à ces échanges. Ils sont bien plus qu'un cadre abstrait déjà constitué. Ce qui est remarquable, c'est l'intrication des rapports libres et marchands. On pourrait dire avec Michel de Certeau que les usagers développent des tactiques plus humaines à partir du cadre stratégique des échanges réglés. C'est cette dialectique entre une approche disciplinaire et conviviale des territoires qu'il faut prendre en compte pour profiter des possibilités offertes par internet. En effet, l'interactivité doit pouvoir offrir une plus grande liberté de s'organiser et de se rencontrer et ne doit pas affadir notre rapport au temps et à l'espace à travers de nouvelles formes de planifications.



Bibliographie

Breton, D. L. L’interactionnisme symbolique. (PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE - PUF, 2012).
Cauquelin, A. Le site et le paysage. (Presses Universitaires de France - PUF, 2013).
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Corbeau, J.-P. & Poulain, J.-P. Penser l’alimentation : Entre imaginaire et rationalité. (Privat, 2008).
Deleuze, G. & Guattari, F. Mille plateaux. (Ed. de Minuit, 1980).
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Friedmann, G. Le travail en miettes : Spécialisation et loisirs. (Université de Bruxelles, 2012).
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Lefebvre, H. Le droit de la ville, numéro 2, Espace et politique. (Economica, 2000).
Lévi-Strauss, C. Mythologiques - Le cru et le cuit *. (Plon, 1978).
Lévy, P. Qu’est-ce que le virtuel ? (La Découverte).
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Weissberg, J.-L. Présences à distance: Déplacement virtuel et réseaux numériques : pourquoi nous ne croyons plus à la télévision. (L’Harmattan, 2000).


samedi 2 mars 2013

La Biométrie



Le terme "biométrie" désigne un moyen, une technique, celle de la mesure du vivant. Se poser la question de sa fin relève davantage de l'éthique. Car, puisque la biométrie permet d'identifier et de contrôler les individus et les groupes, elle peut présenter une menace grave contre les libertés individuelles, mener au contrôle totalitaire de la population, et provoquer de nombreux effets induits (usurpation d'identité biométrique, erreur judiciaire, stigmatisation sur critères biologique, etc.). Ainsi, outre la fin positive de la mesure du vivant au sens général, qui est l'amélioration des conditions de vie, on remarque des contre-finalités négatives, qui vont de la dégradation de l'environnement naturel à la déshumanisation de la société soumise à la gestion biopolitique de la population. Avec celle-ci, le pouvoir ne décide plus localement de la mort mais administre technologiquement et globalement la vie (1). Nous devons donc réfléchir aux présupposés qui animent le développement de la biométrie. Selon quels principes pouvons-nous mesurer le vivant ? A partir de quelle limite la biométrie représente-t-elle une menace pour le vivant ?


I. Les corps mesurés

Le terme "biométrie" signifie, littéralement et au sens large, la mesure du vivant (2) - la question de l'identification des corps, qui est la finalité la plus connue liée à l'usage du terme biométrie, sera abordée dans un second temps. Mesurer consiste à évaluer quantitativement un aspect du réel ; par exemple, la chaleur, grâce au thermomètre ; la pression atmosphérique, grâce au baromètre ; l'espace grâce au mètre ; le temps grâce au chronomètre ; et, pour ce qui nous préoccupe, le vivant grâce à divers appareils. Mesurer requiert donc des instruments de mesure grâce auxquels on peut établir avec précision la distance, l'angle, le poids, la chaleur, etc. L'instrument transforme alors la qualité saisie par le corps sensible ; par exemple, la température extérieure ressentie par notre corps est transformée en quantité objective en degrés Celsius. La règle graduée permet de traduire une distance perçue approximativement en une longueur précise et objective. On peut ainsi considérer l'instrument de mesure comme un filtre, un tamis, un crible qui permet d'abstraire certaines données, de les éliminer, pour n'en garder que les plus pertinentes.
De plus, nous mesurons sans souci des objets inanimés ou des phénomènes physiques. Mais en ce qui concerne les êtres vivants, des problèmes apparaissent. Car, ce qui caractérise le vivant, par rapport à l'inanimé, c'est justement son animation, qui ne dépend pas exclusivement de l'extérieur mais en grande partie d'un principe interne. Le mouvement du vivant n'est donc pas proprement externe, à la différence d'une pierre lancée dans l'espace. Il suit un ordre interne qui est une cause finale et non efficiente, pour reprendre le vocabulaire aristotélicien. Le vivant se meut vers des objectifs, comme capter la lumière, assimiler la nourriture, se reproduire, produire un abri, etc. Autrement dit, le vivant a un sens, qu'il confère aux choses inertes, qui elles n'ont en soi aucun sens. L'eau du bassin, par exemple, n'a aucun sens avant que ne lui en donne l'activité du nénuphar, du poisson, du ragondin ou de l'homme. L'objet physique se meut selon la direction qu'on lui donne. Il est passif. Or c'est justement cette passivité qui est mesurable. Autrement dit, on peut mesurer les manifestations extérieures du vivants, par exemple sa trajectoire, comme on pourrait le faire d'un caillou dévalant une pente, mais il est impossible de mesurer directement le sens d'un mouvement pour un organisme. Toute mesure s'inscrit donc dans le projet de celui qui mesure et qui projette une fin soit sur le vivant qu'il mesure soit sur l'objet inerte. La mesure scientifique, par exemple, a pour finalité la confirmation d'une hypothèse.

A. La mesure scientifique

La mesure est une activité technique, un moyen en vue de déterminer précisément un phénomène dans le cadre d'une intention. Elle n'est donc pas un acte neutre. Cependant, la science, en s'appuyant sur des instruments de mesure, prétend à une certaine neutralité : l'objectivité émancipée de tout jugement de valeur particulier. Ainsi, dire que l'eau bout à 100° ne dépend aucunement de l'opinion de telle ou telle personne. C'est un fait établi. Toutefois, ce fait ne prend son sens que dans une pratique et cette mesure est utile. Il n'y aurait pas de sens à mesurer le réel sous toutes les coutures, si ce n'était dans le cadre d'une activité, en vue d'un résultat. Il ne faut donc pas confondre l'objectivité du résultat métrique avec la raison de cette mesure (3).
Afin de montrer maintenant la nature mécaniste de la mesure du vivant, notons d'abord que la science procède par division. C'est le sens du mot "analyse". Mesurer un corps, c'est d'abord diviser celui-ci en autant d'unités que le permet l'étalon de mesure. Je mesure la longueur d'un bâton en tant que je considère celui-ci comme l'addition de segments discontinus. Il fait par exemple dix centimètres, comme s'il était fait de dix tronçons d'un centimètre. Avec l'anatomie, nous divisons le corps vivant en éléments pertinents. Chaque élément sera considéré comme un rouage nécessaire au fonctionnement de l'ensemble. La pensée mécaniste consiste à voir ainsi le réel comme composé de modules en interaction. C'est une pensée analogique du réel. Les choses sont considérées comme si elles avaient été construites pièce par pièce à la manière d'une horloge.
La mécanisation du vivant participe d'une mécanisation du réel. Celle-ci repose sur la réduction à des éléments constituants : non la terre, l'eau, l'air et le feu, comme les anciens, mais l'atome, le gène, le neurone et le bit. Les technologies tentent de faire converger ces domaines et de les réduire au bit de l'intelligence mécanique des ordinateurs (computer vient du latin computare signifiant calculer). Ce qui justifie une telle réduction est l'objectivité accordée à la mécanisation contre les évaluation subjectives. Les instruments de mesure et de calcul mécaniques abordent en principe le réel de manière neutre. Cette opinion participe néanmoins d'un parti pris anti-subjectif qui motive la mécanisation de l'objet analysé (4). La pensée mécaniste considère alors le vivant de manière causale, en s'intéressant à un enchaînement qui explique le fonctionnement du vivant. Mais l'unité du projet du vivant lui échappe pour la simple et bonne raison qu'elle ne l'intéresse pas. La chose est d'autant plus malaisée pour l'homme qu'il ne suffit pas de dire que l'homme n'est pas mesurable en tant qu'il a une finalité. L'homme est surtout celui qui est capable de possibilités multiples, au sens où il n'est réductible à aucune de ses fins. Ce n'est pas seulement en tant que vivant qu'il échappe à la mesure mais en tant que vivant libre (5).
Il s'agit aussi, avec la mesure, de remplacer la présomption par une anticipation rigoureuse. Les lois tirées des mesures garantissent, dans la mesure du possible, la réussite de nos projets, en tant qu'elles les éclairent et que nous nous engageons en connaissance de cause. Le savoir est ainsi garant du pouvoir, quand par exemple nous pouvons prévoir la trajectoire d'un projectile, un séisme ou le temps qu'il fera. Cependant, il faut distinguer le pouvoir au sens technique du pouvoir au sens politique. La science, dans les mains des experts et des gouvernants, peut tendre à contrôler les manifestations humaines en les réduisant à des phénomènes objectifs. Médecins, sociologues, sémiologues etc. ne se contentent pas d'expliquer les faits, mais savent comment les déterminer et agir sur une population. On peut même supposer que, tout autant sinon plus que la volonté d'émanciper les hommes, la volonté de mieux gouverner préside au développement des moyens techno-scientifiques. Ces deux volontés ne sont d'ailleurs pas disjointes. On ne fait parfois le mal que sous l'apparence du bien. Ce qui permet la tolérance et la pénétration de la biopolitique, c'est qu'elle est engagée sous les formes du progrès. De même, le contrôle est accepté en tant qu'il est censé assurer la sécurité. La mesure permet donc de mieux appréhender et contrôler non seulement chaque individu dans son corps, voire son esprit (quotient intellectuel, neuromarketing) mais aussi les groupes de population. Ceux-ci sont conçus comme des flux démographiques physiques (6).
Le vivant se trouve alors plaqué sur le passé qu'on lui constitue et qui lui assigne une place, à laquelle il doit s'identifier d'autant plus aisément qu'elle est objective. Le quotient intellectuel, comme le quotient génétique, réduit l'existant à une performance préétablie en fonction de données. Son horizon lui est prédéfini, comme lors des stages d'évaluation. Il s'agit de dessiner un avenir à la place du sujet lui-même. L'homme n'est donc plus maître de son avenir. Le meilleur des mondes d'Aldous Huxley met en scène ce genre de société qui produit elle-même les individus en fonction des besoins de la société. Ainsi la société n'existe plus pour l'individu, mais inversement c'est l'individu qui existe pour la société faussement considérée comme finalité en soi - alors que c'est en réalité une société imaginée pour et par une minorité dominante. Dès lors que l'homme est mesuré, sous-pesé, il est assimilable à une classe. Par rapport à une moyenne, celui-ci est trop petit ou trop grand. Ainsi cet être devient un exemplaire d'une classe. Le milieu sportif fonctionne ainsi, avec des classements, des performances à réaliser. La singularisation d'un individu exige de lui des résultats exceptionnellement bons. Le style n'est qu'une valeur ajoutée pour garantir le spectacle. Plus on est champion, plus on existe. Ce n'est pas le sujet lui-même qui est impliqué mais son appartenance à un modèle, comme l'ouvrier modèle soviétique Stakhanov. Possède alors une valeur ce qui se rapproche le plus de l'idéal. Autant dire que seul vaut comme pierre de touche cette abstraction, ce néant. Agamben, dans Homo Sacer, montre bien comment l'exemplarité induit son contraire l'exception. Il y aurait non seulement des êtres inférieurs au modèle, dont l'objectif extérieurement attribué serait de tendre vers un idéal mais également ceux qui sont considérés comme hors de la courses et donc éliminables.
Il ne s'agit pas cependant de diaboliser la mesure en faveur d'un retour obscurantiste à la bougie, mais d'indiquer la limite du calcul, la mesure de la mesure, pour une rationalité raisonnable. La mesure du vivant, nous l'avons dit, peut servir à déceler une maladie, prévoir une performance, personnaliser un vêtement. Parfois la mesure exacte permet de vaincre les préjugés. La mesure exacte de la pollution d'un environnement est précieuse pour la protection des populations et suppose d'analyser les individus eux-mêmes pour mesurer leur exposition à un produit toxique (7).


II. Les corps identifiés

Nous devons à présent aborder le terme de biométrie au sens courant d'outil d'identification. Lorsqu'on cherche à identifier un individu biométriquement, c'est l'identité légale qui est visée. La science elle s'intéresse davantage aux classes qu'aux individus. Elle mesure les corps par rapport à des normes et des lois biologique et non en fonction de caractéristiques singulières. Depuis le début, la biométrie tend à établir quel est l'auteur d'un objet ou d'une action, par exemple en relevant des empreintes digitales. Cette identité objective est distincte de l'ipséité, c'est-à-dire de l'identité personnelle, biographique, relevant du récit de soi. Cette ipséité, en dépit de la tentative de se définir, reste entachée de doutes et de revirements (8). L'identité légale, elle, est définie absolument de l'extérieur, dans le but pratique d'éviter une fraude ou une usurpation d'identité. L'utilisation juridique des caractéristiques physiques du corps n'est pas une nouveauté. Au XIXe siècle avant Jésus-christ en Chine, on signait des traités commerciaux grâce aux empreintes digitales. En Palestine, on a retrouvé des poteries signées de la même manière (9). Il s'agit bien d'un usage juridique lié à la propriété et non d'une pratique destinée à comprendre l'auteur. Ainsi la toile peinte nous parle en partie de son auteur mais la signature en bas du tableau attribue ce récit à un corps précis.
La biométrie permet de transformer et fixer le vivant en une trace écrite consignée dans un registre. Le fichier est un support de mémoire partagé. Il fige la vie dans un passé irrémédiable et collectif. Ainsi le fichier est-il une sorte de récit minimal sur autrui, d'autant plus objectif qu'il n'a pas été constitué par le fiché lui-même mais par un observateur muni d'instruments excluant sa subjectivité. La trace biométrique reste un fossile aussi extérieur à la vie de son propriétaire qu'à celle d'un tiers.
L'enregistrement le plus fidèle possible des actions de chacun, sa caractérisation, son classement, reviennent à situer dans une structure un individu, à lui conférer une place, une fonction. Une fois figé dans la structure, il devient possible de déterminer l'avenir. Le fichier ouvre à une pratique. Untel a tel profil pour tel travail ou telle rencontre. Il ne peut avoir droit à telle assurance, voire il peut ne pas être autorisé à vivre dans le cas de l'eugénisme (10). Autrement dit, le fichage dresse un avenir. On sait qu'un fichier peut être utilisé plus tard à des fins que l'on ignore encore. C'est contre ce fichage, ce déterminisme a priori, que le sujet peut devenir créatif. Créer c'est détruire un passé déterminant. Le fichage comprend la créativité passée comme résultat et non comme puissance et ouverture. La réduction d'autrui à une potentialité fermée, à une quasi nécessité, est une mécanisation. C'est cette tentative et son échec qui motivent la substitution progressive de l'homme par la machine jusque dans les emplois de service. Il ne nous restera peut-être plus que le sabotage pour ne pas finir inutile et exclus (11).
L'objectif principal du fichier est la sécurité. On veut s'assurer de l'identité, de la présence et de l'absence de quelqu'un afin d'assurer un certain ordre (12). Le désir d'ordre explique le peu de résistance aux procédures de contrôle. Dans un aéroport, où l'on redoute tous le désordre, la fraude, le terrorisme etc. personne ne refuse d'être contrôlé. Le refus de s'enregistrer est assimilé à un crime potentiel. Le fichage de tous repose sur la volonté de contenir l'agitateur potentiel. Ainsi, l'enregistrement fait de chacun un danger pour l'autre en même temps qu'il constitue un rite protecteur contre autrui. L'étrange paradoxe est que nous nous laissons enregistrer, à la manière des criminels récidivistes de Bertillon, pour nous innocenter en même temps (13). Dans un monde de lutte et de compétition le rapport dominant est la méfiance. Les dispositifs traduisent une vision pessimiste de l'homme, comparable à un prisonnier sous haute surveillance (14).
La biométrie atteint la nudité la plus radicale. Cette nudité est l'homme réduit à son physique, à sa contingence la plus animale. Au contraire, le vêtement quel qu'il soit permet à l'homme habillé la construction d'une identité plastique, évolutive et, en cela, il fait l'homme. Mais les simples caractéristiques corporelles, son iris, ses empreintes, ne disent rien sur l'homme. Elle peuvent déterminer un patrimoine génétique, mais celui-ci ne résume en rien ce que nous sommes. Ce que nous sommes est le résultat d'un patrimoine donné et de la manière dont nous nous en accommodons. Seulement, la biométrie utilise le corps comme une signature qui, dans le fichier, est associée à des informations. Le corps biométrique n'est rien qu'une clé ouvrant un dossier.
Contre la transparence des individus, et leur contrôle au nom de la sécurité et de l'utilité, la défense éthique de la confidentialité s'impose au nom de la liberté. Elle permet tout d'abord d'échapper à un contrôle dont la légitimité morale peut être discutable. De nombreuses personnes doivent à la fraude leur survie durant la seconde guerre mondiale. Certes la fraude peut avoir une finalité criminelle (qui peut même consister à violer le principe de confidentialité en forçant l'accès aux données d'autrui), mais elle peut également permettre d'échapper au crime d'Etat. La confidentialité permet de conserver un espace de liberté, de se défaire de ses opinions passées, d'éviter de s'offrir aux préjugés. Car connaître quelque chose sur quelqu'un n'est pas comprendre quelqu'un. C'est même parfois le contraire. Il y a une vertu éthique et sociale de l'ignorance. Elle permet de construire ensemble la relation au lieu qu'elle soit déterminée d'avance (15). La volonté de savoir, avec son souci d'exactitude, ne peut s'appliquer à personne dans la mesure où l'homme est spontanéité, liberté et créativité. Son être est un agir qui recompose cet être en sursis. La possibilité du pardon repose sur cela. La justice et la sanction supposent également la possibilité d'un retour sur ce nous avons été (d'où l'absurdité de la peine de mort ou la perpétuité).
La collectivité doit défendre l'individu contre elle-même. Elle doit donc se poser des limites afin de préserver la liberté (comme effacer les données des fichiers dans la durée ou cloisonner les registres). La raison est liée à la force du préjugé, les risque de l'ignorance partielle, le calcul vis-à-vis d'autrui, qui peuvent être alimentés par des informations sur la sexualité, la religion, la santé, etc. Le totalitarisme envisage l'individu dans le tout, en le résumant à l'ensemble de ses caractéristiques (16). Contre cela, l'individu doit pouvoir maîtriser ce qui apparaît de lui. Il doit pouvoir changer d'apparence en fonction des circonstances.
Le sujet déborde son individualité. Il est créatif, susceptible de reformuler et contrôler son image. Il existe autant par son mystère et sa distance infinie que sa présence. Imagine-t-on une amitié où tout serait explicite et donné d'avance ? Les rapports intersubjectifs sont des rapports de construction, ou l'identité se reformule pas à pas, ou l'identité commune de la relation est elle-même en perpétuelle reconfiguration. Sans cela, la relation serait sans vigilance, sans sortie, sans échanges. Ce ne serait plus une relation mais une intrication, comme les rouages d'une machine. Avec la série des identités qui la compose, on considère la société comme une usine dont les rouages seraient maîtrisés de l'extérieur par l'ingénieur (17). La société véritable est organique. Les rouages créent eux-mêmes la machine. Une société biométrique n'est plus une société mais une usine. Tandis que la dimension sociale du vivant lui est fondamentale en tant qu'elle est organique, vivante et qu'elle reflète la créativité de chaque membre. Malheureusement, si l'individualisme est aujourd'hui une réalité, ce n'est pas en tant que développement personnel des subjectivités, mais au contraire en tant que crispation monadique de chacun dans une totalité qui le contrôle.
La fin du contrôle n'est pas la vitalité du rouage mais l'harmonie de la machine. Il tente de déceler le rouage déficient par rapport à ce que doit être la machine, sans considérer que ce rouage rejeté est une pièce essentielle d'une autre machine possible (18). La surveillance n'est pas neutre mais justifiée par un modèle et une sélection. Rejeter la surveillance et la discipline n'est pas un acte incivique. Au contraire, c'est affirmer que le bien de la société ne peut être fixé d'avance par une poignée d'experts mais dépend de l'invention collective. Il faut d'ailleurs distinguer la régulation par la loi de la direction par la norme. Le problème de la biométrie est son manque de neutralité. Elle dessine un idéal de santé sociale. La loi, en dépit de ses imperfections, doit nous protéger des maux occasionnelles, tandis que la norme sécuritaire règne sans cesse.

Pour conclure, nous devons noter que l'évolution scientifique et technique s'accompagne d'une évolution politique. L'arraisonnement de la nature et l'aliénation de l'homme sont concomitants. Certes, nous avons de notre société l'image d'une société démocratique moderne et savante. Mais cela ne doit pas nous dissimuler l'infrastructure de cette idéologie : le contrôle global et mortifère. La destruction de l'environnement naturel n'est pas extérieure à la destruction politique de l'homme. La fin de l'humanité n'est pas nécessairement une catastrophe spectaculaire. Au contraire, le spectacle dissimule la catastrophe. Il faut déceler, à travers les intentions avouées de la technoscience, un projet plus global et fondamental, une vision aveugle à clarifier. Derrière le confort, la sécurité, on retrouvera la mort, le calcul, une mise en réserve de la vie incapable de la laisser être. Nous avons donc connecté la notion de biométrie, au sens de technique d'identification, à l'acception plus large de mesure du vivant, contre le vivant. Nous perdons l'altérité, l'infini, la liberté, dans la totalité. La mesure en général est bien entendu un mode d'appréhension des choses tout à fait respectable, mais elle ne saurait transférer son principe à la politique, à l'éthique, ni même à l'économie. Tout comme la loi doit nous défendre contre elle-même, la mesure doit trouver ses frontières. En ce sens, le refus des dispositifs de contrôle et de la réduction du vivant à une valeur d'échange est nécessaire pour la préservation de l'humanité (et de la naturalité). La barbarie n'est pas uniquement derrière nous, comme un état de nature animal d'où il faudrait sortir, mais aussi devant nous, comme devenir machine de tout ce qui est.




Notes

(1) La gestion biopolitique de la population correspond au moment où le droit de mort du souverain devient le droit de vie. C'est-à-dire que le pouvoir devient global et non ponctuel. La peine capitale, appliquée au criminel, est remplacée par l'extermination de la menace biologique. La prévention remplace la punition (Cf. Michel Foucault, Histoire de la sexualité).
(2) Biométrie : Etude quantitative des phénomènes biologiques à l'aide des méthodes statistiques et du calcul des probabilités (Dictionnaire de l'académie française).
(3) Certes, les premiers scientifiques, dans l'antiquité, et la majorité d'entre eux avant Bacon et Descartes, considéraient la science comme une activité désintéressée, à la différence de nos techno-scientifiques. Toutefois, ne pas viser une utilité pratique ne signifie pas n'avoir aucun intérêt du tout. Celui-ci pouvait être religieux, artistique ou politique. La vie contemplative reste une activité motivée, sans quoi elle serait insensée. La conception de la science comme art libéral a sans doute du sens, en tant qu'elle a pu et peut se distinguer des arts mécaniques. Mais ne pas avoir d'intérêt technique ou utilitaire ne signifie pas ne pas avoir d'intérêt du tout. L'art et la science ont un intérêt esthétique et social, voire religieux. S'ils répondent à un désir intellectuel et non manuel, ils n'en restent pas moins des activités liées au désir.
(4) "Pour les auteurs d'Atlas scientifiques de la fin du XIXe siècle, la machine était un idéal à la fois littéral et régulateur. Les machines palliaient les déficiences de la volonté, lorsque celle-ci menaçait de prendre le dessus ou qu'elle partait dans des directions contradictoires. La fabrication d'images contrôlées par des machines était un symbole fort et polyvalent, essentiel au nouveau but scientifique de l'objectivité" (Lorraine Daston et Peter Galison, Objectivité, Presses du réel 2012).
(5) Si la science est mécaniste et qu'elle considère le vivant comme une machine, il faut réfléchir à la différence entre cette analogie et le vivant lui-même. La machine est inerte, au même titre qu'un cailloux si rien ne la meut. La machine et le caillou, en dépit de leur différence de complexité, sont des moyens qui reçoivent une fin de la part du vivant qui les utilise. La maison est un agencement de cailloux pour se loger, comme l'automobile est un agencement de métal pour se déplacer. Ce qui va distinguer la maison et la caillou de la plante, c'est que la plante poursuit seule son but qui est de croître et se maintenir. Elle « fait sa vie », pourrait-on dire. L'animal poursuit le même objectif, mais possède en plus la sensibilité et la mobilité. L'homme désire également croître, se maintenir, sentir et se déplacer. Mais on peut y ajouter le souci d'élévation spirituelle, de réconfort affectif, etc. Une hiérarchie se dessine où le vivant apparaît comme l'agent de l'inanimé. Ainsi, réduire le vivant à une machine, c'est clairement le réduire à la passivité et l'instrumentalité. C'est le considérer non comme vivant mais comme inerte.
(6) De nombreuses critiques ont été formulées contre la mesure du vivant, contre le positivisme scientifique, au nom d'un certain vitalisme. L'un des modèles les plus influents est sans doute celui de Heidegger et de sa critique de l'arraisonnement. Mais on trouverait sans doute d'autre d'autres points d'appui chez Bergson, Dilthey, Nietzsche, etc. D'un point de vue historique, on peut parler d'une réaction romantique contre la philosophie des Lumières. Derrière ce romantisme, on trouve effectivement des mouvements conservateurs, voire réactionnaires, mais aussi libertaires à travers un certain Nietzschéisme de gauche en 68, des formes de décroissance chez Illich, Ellul. On a pu percevoir ce rejet du positivisme comme une posture conservatrice et moraliste opposée à la marche du progrès scientifique. Seulement, le positivisme, sous un dehors progressif dans sa méthode, peut être animé par une volonté conservatrice. Les thuriféraires du progrès et de l'innovation aujourd'hui peuvent être également les défenseurs des valeurs traditionnelles. Inversement, la méthode compréhensive peut tout à fait servir un projet d'émancipation en valorisant la liberté.
(7) Nous pensons ici en particulier aux mesures qui auraient dû être effectuées rapidement après la catastrophe de Fukushima. Mais les services rendus par la mesure sont nombreux. La mesure du sang permet la survie du diabétique. Une étude sérieuse sur les effets du cannabis serait meilleure que la politique des préjugés, ce que montre l'histoire de sa répression aveugle aux Etats-unis (Le documentaire Grass de Ronn Mann montre par exemple à quel point la lutte historique et liberticide contre le cannabis aux Etats-unis se fonde sur le préjugé plutôt que des études sérieuses). Le sur-mesure suppose la mesure individuelle contre la standardisation des tailles petites ou grandes. De même, la géométrie et l'arpentage furent des outils précieux pour l'astronomie, la géologie, l'architecture, etc. Ils permirent la précision, l'anticipation, l'économie, l'expertise, le diagnostique et le pronostique.
(8) "Contrairement à ce qui se passe dans le cas de la biométrie, qui se résume au fond à un jeu de similitudes et de différences par rapport à d'autres (mêmeté), le corps autodésigné est ouvert à l'autre (cf. P. Ricoeur, Soi-même comme un autre). Il est conçu comme produit par des récits des histoires et non pas simplement par les données corporelles abstraites qui font l'ordinaire de la biométrie" (David Lyon in L'identification biométrique, Edition de la maison des sciences de l'homme, 2011, pp. 361-365).
(9) Jacques Pierson, La Biométrie, Lavoisier, 2007
(10) Anne fagot Largeault qualifie l'eugénisme d'"euthanasie préventive".
(11) "C'est le geste du refus de la résistance qui crée le sujet" (Alain Touraine, Critique de la modernité).
(12) "L'origine du contrôle remonte à la police des biens en Mésopotamie avec l'invention du calcul et de l'écriture. Il répond aux nécessités de la comptabilité et de l'inventaire qui sont l'état civil des biens Et parmi ces biens, les objets, le cheptel, les esclaves" (Pièces et Main d’œuvre, Terreur et possession, L'échappée, 2008, p 120-121).
(13) Alphonse Bertillon (1853-1914) est, rappelons-le, un criminologue français, créateur du bertillonage, méthode d'identification des criminels fondée sur des mesures anthropométriques.
(14) "Les sociétés contemporaines se présentent comme des corps inertes traversés par de gigantesques processus de désubjectivation auxquels ne répond aucune subjectivation réelle. De là l'éclipse de la politique qui supposait des sujets et des identités réels (le mouvement ouvrier, la bourgeoisie, etc.) et le triomphe de l'économie, c'est-à-dire d'une pure activité de gouvernement qui ne poursuit rien d'autre que sa propre reproduction... De là surtout l'étrange inquiétude du pouvoir au moment où il se trouve face au corps social le plus docile et le plus soumis qui soit jamais apparu dans l'histoire de l'humanité. Ce n'est que par un paradoxe apparent que le citoyen inoffensif des démocraties post-industrielles..., celui qui exécute avec zèle tout ce qu'on lui dit de faire et qui ne s'oppose pas à ce que ses gestes les plus quotidiens, ceux qui concernent sa santé, ses possibilités d'évasion, comme ses activités, son alimentation, comme ses désirs, soient commandés et contrôlés par des dispositifs jusque dans les détails les plus infimes, que ce citoyen donc (et plus précisément à cause de cela) soit considéré comme un terroriste potentiel. Alors que les normes européennes imposent à tous les citoyens ces dispositifs biométriques qui développent et perfectionnent les technologies anthropométriques (depuis les empreintes digitales jusqu'aux photographies signalétiques) qui avaient été inventées au XIXe pour identifier les criminels récidivistes, la surveillance vidéo transforme les espaces publics de nos cités en intérieurs d'immenses prisons. Aux yeux de l'autorité (et peut être a-t-elle raison), rien ne ressemble autant à un terroriste qu'un homme ordinaire (G. Agamben, Qu'est-ce qu'un dispositif ?, Payot rivage 2006).
(15) "La volonté d'enraciner l'identité humaine dans son aspect le plus biologique ne signifie-t-elle pas un retour en arrière ? Peut-on définir quelqu'un par des critères corporels immuables hérités de la nature au moment même où la revendication démocratique prend la forme d'une aspiration à l'autoproduction de soi ? L'identité relève de moins en moins de l'héritage et de plus en plus d'un projet personnel dont chacun veut être l'architecte" (Philippe Lemmoine, ancien membre de la Cnil). "L'aspiration à disposer de plusieurs identités, comme en témoigne les usages d'internet, et ce monde des pseudonymes contribue sans doute à une fragmentation de l'identité numérique. Parallèlement et bien antérieurement, les légitimes réticences à l'égard des interconnections de fichiers, notamment administratifs ont encouragé une fragmentation de l'identité administrative où se niche notre liberté. Mais cette logique de fragmentation, voire de dématérialisation, ne concoure-t-elle pas à la montée en puissance de l'identité biologique ? Comme si la tentation de saisir une identité immuable au niveau le plus profond s'alimentait tout à la fois de notre désir de liberté et de nos craintes que l'identité de l'autre soit incertaine" (Rapport d'activité 22 de la commission nationale de l'informatique et des libertés).
(16) "La version totalitaire du crime possible se fonde sur une anticipation logique d'évolutions objectives. Les procès de Moscou, où la vieille garde bolchévique et les chefs de l'armée rouge étaient les accusés, donnèrent des exemples classiques de châtiments pour des crimes possibles" (H. Arendt, Le Système totalitaire, 1951). "La domination totale, qui s'efforce d'organiser la pluralité et la différentiation infinies des êtres humains comme si l'humanité entière ne formait qu'un seul individu, n'est possible que si tout le monde sans exception peut être réduit à une identité immuable de réaction" (Id) "Qu'est-ce que l'Etat totalitaire sinon une technique - la technique des techniques ?" (Bernanos, La France contre les Robots, 1947).
(17) "Un journaliste polonais citais avec indignation cette phrase qui s'était étalée sur tous les murs de Varsovie, deux ans avant Poznan : "La tuberculose freine la production". Il avait raison et tort de s'indigner, tout ensemble. Raison parce qu'elle fait du tuberculeux en tant que travailleur manuel un simple rapport négatif (et inerte) du microbe à la machine... Mais d'un côté la phrase n'est pas stupide, ni fausse : elle est l'expression de la bureaucratie comme décomposition (par les exigence d'un champ pratico-inerte) d'un groupe actif de direction en rassemblement sériel" (J. P. Sartre, Critique de la raison dialectique, T1, P 412).
(18) La borne biométrique permet la détection d'une anomalie, de la présence ou de l'absence, d'abord sur les sites stratégiques. Puis la technique se généralise à des fins policières et économiques. On peut prendre pour exemple quelques établissements scolaires de la région : Collèges Ernest Renan et Le Hérault à St Herblain, Stendhal à Nantes, J. Rostand à Orvault, Fondation Auteuil à Bouguenais (Edgar Nement, Lettre à LULU, n°77). Voici un témoignage des problèmes occasionnés par ce dispositif : "Un élève se présente devant ce portillon d'accès à la cantine scolaire dont l'ouverture est commandée par une borne biométrique. Si les parents n'ont pas réglé en temps et en heure la facture de cantine de leur enfant, ce portillon ne se débloque pas et un message retard de paiement s'affiche de manière très visible sur un écran tactile situé en hauteur au dessus de la file d'attente. L'enfant est alors sommé de se justifier, parfois même de confier, devant tout le monde, des difficultés familiales.. Et éventuellement de se faire littéralement insulté par ses camarades en raison du ralentissement qu'il est accusé de provoquer" (Xavier Guchet, L'identification biométrique, Edition de la maison des sciences de l'homme, 2011, pp. 165-168 ). 

Raphaël Edelman, Rencontres de Sophie, Nantes 2013

Crédit photo : http://www.nlm.nih.gov/visibleproofs/galleries/technologies/bertillon.html