samedi 12 octobre 2013

LA SALLE DE BAIN (THE BATHROOM*)


Parmi les évolutions du confort quotidien figure l'amélioration de l'hygiène, en particulier grâce à la démocratisation des équipements dans les habitations. Nous nous concentrerons sur le lieu de la salle de bain, pour essayer de comprendre comment elle s'organise, et évaluerons la façon dont notre corps s'adapte à cet environnement.
La salle de bain est une innovation relativement récente. Au dix-neuvième siècle, se développèrent les premières cabines de douche dans l'armée et les bains collectifs modernes. C'est seulement à la fin du dix-neuvième siècle que les premières salles de bain, sur le modèle des hôtels américains, apparurent (Vigarello). La salle de bain, en tant qu'extension de la chambre à coucher, intègre le processus général d'individualisation des espaces dans les milieux bourgeois (Aries). Ce lieu suppose une infrastructure urbaine complexe de canalisations, qui permet de mieux connecter l'homme à l'habitat et à la ville et d'administrer ses flux organiques. En France, en 1973, seulement 44 % des logements bénéficient de WC, de salle de bain et de chauffage central (Mermet). Aujourd'hui, la salle de bain s'est généralisée et personnalisée, à travers différents styles : naturel, technologique, exotique, etc. La dimension hédoniste est venue compléter l'aspect hygiéniste.
La salle de bain est une petite pièce fonctionnelle dans un coin de la maison. Plus petite que la cuisine, elle nécessite également des arrivées d'eau, un système d'écoulement des eaux usées, de l'énergie pour le chauffage, le fonctionnement des appareils et l'éclairage, quand la lumière naturelle est insuffisante ou absente. Cette pièce subit des écarts de température brusques et est soumise à l'humidité. Celle-ci doit être évacuée par voies aériennes. La pièce est généralement encombrée et doit posséder un lavabo, un bac de douche, parfois une baignoire, des meubles et des étagères. Il y a également des portes, des rideaux, des porte-manteaux, des porte-savons ou des porte-serviettes. Des poignées peuvent être installées pour les personnes à mobilité réduite. La surface des murs et du sol est généralement carrelée pour résister à l'eau. Les couleurs peuvent être vives ou au contraire neutres, en employant par exemple le blanc pour sa connotation hygiénique. De nombreux objets sont présents : peignoirs, serviettes, draps de bain, tapis de bain, miroirs, accessoires, instruments, appareils plus ou moins sophistiqués, ainsi qu'une foule de produits de beauté (savons, shampoings, crèmes, parfums, maquillages, etc.).
A cette description doit s'ajouter une compréhension subjective des usages. On peut soit prendre son temps et se détendre, soit être dans l'urgence. Beaucoup de mouvements sont habituels et spontanés. L'étendue s'organise à travers une série de perceptions et d'actions, exceptionnellement riches pour un espace si petit. Puisqu'on s'y occupe soi-même de son corps, on a tendance à se mouvoir dans de multiples directions. Le nombre important d'objets, de tâches, de précautions, en particulier à cause de l'eau, nous amène à visiter l'espace en tous sens. Il y a de nombreuses cachettes, des creux, des fonds de tiroirs, plus ou moins poussiéreux ou poisseux, des objets égarés etc. Le mobilier est souvent modulable pour pallier à l'étroitesse de l'espace. Il importe de penser à cet univers en action et non simplement tel qu'il est présenté en pièces détachées dans les grandes surfaces. Il faut songer aussi au coût, au nettoyage et au recyclage de ces installations.
La façon dont nous habitons, utilisons et aménageons la salle de bain dépend des cultures, même si le mode de vie moderne tend à se standardiser du fait de la diffusion des dispositifs techniques industriels. On trouve des différences selon l'âge, le genre, la classe sociale, le caractère, etc. Il est donc important d'observer les habitudes d'un large panel de population. La pratique de la salle de bain répond à un rituel précis, du fait de la répétition, et obéit à une certaine routine, plus ou moins agréable, rassurante ou lassante selon les cas. Au départ, il s'agit d'une tâche à accomplir, d'un travail domestique, celui de se laver ou de laver du linge. L'espace de la salle de bain est lui-même régulièrement nettoyé. On peut dire que l'activité principale consiste à se débarrasser de la saleté, de la matière superflue, jugée inutile et repoussante. Ce qui est visé, c'est notre animalité à travers la pilosité, les odeurs, les sécrétions, etc. Ainsi, la toilette a-t-elle pour objet de nous hisser vers une identité idéale, la beauté, en nous débarrassant de ce qui est jugé laid. On peut comparer cela à la cuisine qui transforme le cru en cuit, le cadavre en viande appétissante. Aussi sommes-nous rapidement amenés à dépasser l'activité utilitaires pour le superflu et le décoratif. La besogne devient art, plaisir et loisir. Si l'on a les moyens, on peut se procurer des équipements supplémentaires, comme un jacuzzi. De plus, nous savons que nous serons jugés moralement par les autres sur le soin que nous apportons à notre toilette. On doit apparaître correct, voire soigné. Il ne faut pas oublier que le lavage s'apparente à l'ablution, à la purification religieuse. Il y a donc une dimension morale de la toilette.
La salle de bain est un lieu destiné à notre corps et où nous sommes nus, à la différence de la chambre où l'on s'habille. La peau et la chair y sont découverts et travaillés. Notre corps peut être considéré comme un objet que l'on frotte, que l'on taille, que l'on épile, que l'on rince, etc. Mais il est également ce à travers quoi nous percevons notre environnement et ce grâce à quoi nous nous percevons nous-mêmes (proprioception). Ainsi, nous percevons des objets, des sons, repérons des signes qui guident notre action, sentons la chaleur, les odeurs ; mais aussi nos muscles qui se détendent et nos yeux qui piquent sous la douche. Nous vivons dans la salle de bain des moments riches en sensations plus ou moins agréables. Notons que ce lieu n'est pas dénué d'érotisme, en raison de notre nudité, des contacts cutanés, des odeurs, de la chaleur et de l'humidité. Tout comme la chambre à coucher, la salle de bain est un endroit particulièrement intime. Il s'agit d'un coin reculé, solitaire, protégé du regard des autres, où la honte et la pudeur s'effacent. Pour autant, la salle de bain peut être partagée avec un proche ou le personnel, en cas d'hospitalisation par exemple. Dans les foyers, des objets et des produits peuvent être mis en commun ; ou bien l'on doit repérer ce qui nous appartient en propre par rapport aux affaires des autres.
La salle de bain est donc un lieu où l'on s'occupe du corps, comme il y a des lieux où l'on mange, fait du sport ou se soigne. L'entretien de notre corps s'adresse à nous-mêmes en même temps qu'aux autres. Il s'agit de construire son image publique, de travailler notre mise en scène pour plaire, séduire, être reconnu et nous sentir à l'aise dans le regard des autres (Lebreton). On peut dire que la salle de bain est un atelier de design de soi, d'auto-architecture. Nous y construisons une identité qui à la fois répond à un imaginaire collectif et se distingue à travers une image plus personnelle. On travaille à se faire plus jeune ou plus vieux, plus mince ou plus musclé, en cherchant dans les miroirs à concilier ce que l'on perçoit avec ce que l'on imagine, sans toujours bien faire la différence. C'est pourquoi la salle de bain, lieu de labeur (hygiénisme), peut en même temps être un lieu de plaisir (hédonisme) et participe de notre quête du bonheur (eudémonisme) (Quéval).

Bibliographie : P. Aries, La famille sous l'ancien régime ; G. Vigarello, La propre et le sale ; D. Lebreton, La sociologie du corps ; I. Quéval, Le corps aujourd'hui ; G. Mermet, Francoscopie.


*THE BATHROOM

Improving of hygiene is a part of the changes in the daily comfort, especially through the democratization of equipment in homes. We focus on bathroom, trying to understand how it is organized, and evaluate how our body adapts to this environment.
Bathroom is a relatively recent innovation. In the nineteenth century, was developed shower cubicles in the army and modern collective bathroom. It is only at the end of the nineteenth century that the first bathrooms, on the model of American hotels, appeared (Vigarello). Bathroom, as an extension of bedroom, incorporates the general process of space individualization in bourgeois environment (Aries). This place requires a complex urban infrastructure of pipes, to better connect man to housing and to the city and manage its organic flows. In France, in 1973, only 44% of homes had toilet, bathroom and central heating (Mermet). Today, bathroom is widespread and customized through different styles : natural, technological, exotic, etc. Hedonistic dimension complete hygienist aspect.
Bathroom is a small but functional room in a corner of the house. Smaller than kitchen, it also requires water inlets, a sewage system, energy for heating, devices and lighting, when natural light is insufficient or absent. This piece undergoes sudden changes of temperature and is subject to moisture. It must be evacuated by air. This room is usually cluttered with objetcs and must have a sink, a shower tray, sometimes a bath, furniture and shelves. There are also doors, curtains, hooks, soap, towels etc. Handles can be installed for disabled. Walls surface and floor are usually tiled to resist water. Colors can be bright or neutral, using for example white for its hygienic connotation. Many objects are present : bathrobes, towels, bath towels, bath mats, mirrors, accessories, instruments, more or less sophisticated apparatus and many beauty products (soaps, shampoos, creams, perfumes, makeup, etc.).
With this description, we must add a subjective understanding of practice. You can take your time and relax, or be in a hurry. Many movements are usual and spontaneous. Space is organized through a series of perceptions and actions, exceptionally rich for such a small space. Since we take care of our body, we tend to move in multiple directions. The large number of objects, tasks, precautions, especially because of the water, leads us to visit the space in all directions. There are plenty of hiding places, hollows, drawer bottoms, more or less dusty or sticky, stray objects, etc. Furniture is often adjustable to compensate for the narrowness of the space. It is important to think of this environnement in action and not just as it is presented in spare parts in supermarkets. We must also consider cost, cleaning and recycling of these facilities.
The way we live, use and developp bathroom depends on cultures, even if modern lifestyle tends to be standardize due to the diffusion of industrial technology devices. There is differences depending on age, gender, social class, character, and so. Therefore, it is important to observe habits of a wide range of people. The use of bathroom follows a precise ritual, because of repetition, and follows a routine, more or less pleasant, reassuring or boring, depending on the case. Initially, it is a task, a domestic work, to wash our self or clothes. Bathroom space itself is regularly cleaned. We can say that the main activity is to get rid of dirt, of superfluous, unnecessary and repulsive material. What is targeted is our animality, through hair, odors, secretions, etc. Thus, toilet aims to raise us to a perfect identity, beauty, delivering us of what is considered ugly. We can compare this to cooking that turns raw into cooked and corpse into appetizing meat. So we are rapidly led to exceed usefull activity for superfluous and decorative ornament. The task becomes art, pleasure and leisure. If you can afford it, you can buy additional equipment, such as a jacuzzi. In addition, we know that we will be morally judged by others on the care we provide to our toilet. It should appear correct, even cared. We must not forget that washing is similar to ablution, to religious purification. So there is a moral dimension of cleaning.
Bathroom is a place for our body where we are naked, unlike room, where we dress. Skin and flesh are uncover and worked. Our body can be regarded as a rubbed, carved, shave and rinsed object. But it is also that through which we perceive our environment and ourselves (proprioception). Thus, we perceive objects, sounds, identify signs that guide our action, feel heat, odors, but also our muscles relax and eyes stinging in the shower. In bathroom, we live moments that are rich in more or less pleasant sensations. We note that erotisme is not absent in this place, because of our nakedness, skin contacts, smells, heat and wet. Like bedroom, bathroom is a very intimate place. This is a remote corner, lonely, protected from others eyes, where shame and bashfulness disappear. However, bathroom can be shared with a family member or staff, in case of hospitalization for example. At home, objects and products can be pooled, and sometimes we must identify what is our own compared with others affairs.
Bathroom is a place where we take care of body, as there are places where we can eat, do sports or be treated. Maintenance of our body is for ourselves and together for others. It is building our public image, work for our staging, to please, to charm, to be recognized and feel comfortable in others eyes (Lebreton). We can say that bathroom is a design studio of our selves, of self- architecture. We construct an identity that both responds to collective imagination and be distinguished through a personal image. We work to be younger or older, thinner or bigger, looking in the mirrors to fit what we perceive with what we imagine, and not always make the difference. This is why bathroom, place of work (hygienism), can be simultaneously a nice place (hedonism) and part of our pursuit of happiness (eudaimonia) (Queval) .
 


Bibliographie : P. Aries, La famille sous l'ancien régime ; G. Vigarello, La propre et le sale ; D. Lebreton, La sociologie du corps ; I. Quéval, Le corps aujourd'hui ; G. Mermet, Francoscopie.