Si la technique a permis à l’humanité de se maintenir et de se développer jusqu’à aujourd’hui, son évolution a aussi produit un certain nombre d’effets pervers : pollution de l’environnement, diminution de la biodiversité, épuisement des ressources, réchauffement climatique, déshumanisation des conditions de travail, développement des technologies de propagande, de contrôle et de destruction, diminution des interactions sociales, etc. A moins d’imputer uniquement ces effets à une fatalité inhérente à l’essence de la technique, on peut espérer les corriger par de meilleures décisions politiques.
En
réalité, il y a à la fois des environnements techniques plus ou moins vertueux
et des décisions humaines plus ou moins sages. L’évolution des techniques, à la
différence de l’évolution des espèces vivantes, est supposée rester soumise à
la volonté humaine, laquelle soulève la question de la décision collective de
l’humanité. Comme celle-ci est composée de groupes et d’individus en
désaccords, cela ramène bien le problème du contrôle de la technique à un
problème politique. Or nos modes de gouvernement et de décision actuels ne
semblent pas permettre une telle maîtrise.
La
thèse que nous souhaitons défendre ici est que le design peut apporter des
réponses qui permettraient de réorganiser à cet effet nos systèmes techniques
et sociaux. Plus précisément, c’est à un certain type de design, que nous
qualifierons de « démocratique », qu’il faudra faire appel. Pour
exposer cette thèse, nous rappellerons d’abord les liens existants entre le
design et le progrès technique et social, en insistant sur les formes
démocratiques de design. Puis nous montrerons en quoi la démocratie doit jouer
un rôle central dans l’évolution à venir de l’organisation sociale.
I. Design et progrès
Pour
souligner la relation qui existe entre le design et le progrès technique et
social, nous allons parcourir quelques étapes de son développement à partir de
la révolution industrielle jusqu’à aujourd’hui. Citons d’abord le mouvement Art
and Craft et sa critique du modèle industriel naissant. D’un côté, il lui
oppose le modèle corporatif de l’artisanat médiéval, comme symbole de l’autonomie
ouvrière. D’un autre côté, il emprunte au mouvement ouvrier son idéal
d’égalité, de progrès social et d’émancipation hérité des Lumières (William Morris).
Cette tendance subsiste dans le design à travers son souci du progrès social et
sa prudence vis-à-vis d’une société industrielle potentiellement
déshumanisante.
Dans
la première moitié du vingtième siècle, l’absorption de la forme par la
fonction, et de l’esthétique et du style par l’efficacité, traduisit le règne
de la raison instrumentale. La version du progrès qui fut alors proposée était
marquée par une posture élitiste et paternaliste (Adolf Loos, Le Corbusier). Cette
attitude technocratique s’accorde avec l’esprit de certaines philosophies
positiviste (Auguste Comte) et utilitariste (Jeremy Bentham). Si le Bauhaus possédait
également une dimension fonctionnaliste, sa conception du progrès comprenait en
outre la volonté de lier l’art, l’artisanat et la vie, et de favoriser
l’expérimentation et la collaboration entre étudiants et professeurs. Le
philosophe pragmatiste Charles Morris y enseigna de 1937 à 1945.
Dans
la deuxième moitié du vingtième siècle sont apparus le design radical (Superstudio,
Archizoom) et l’anti-design (Ettore Sottsass, Archigram) qui héritèrent des
tendances contestataires du surréalisme et inspirèrent le design critique (Fiona
Raby, Anthony Dunne). Au sérieux fonctionnaliste, s’opposa le jeu des
singularités, accompagné de la critique de la massification engendrée par la
société de consommation. Ce type de design nous paraît favoriser une approche
démocratique, à l’encontre d’une ingénierie sociale standardisée encourageant
une forme passive d’hédonisme. La théorie critique en Allemagne et le post
structuralisme en France défendirent des idées analogues.
Apparut
également ce que nous appelons aujourd’hui le design durable, avec le
diagnostic alarmant des menaces que la production industrielle fait peser sur
les écosystèmes. Il s’agit d’inventer de nouvelles manières de produire et de consommer,
et de sortir du modèle productiviste et consumériste dominant (Victor Papanek).
De même, un design que nous qualifions aujourd’hui d’inclusif, propose une
autre facette du progrès social en design. Son objectif est de repenser nos
environnements en fonction des personnes en situation d’exclusion, grâce à
l’aménagement des espaces et l’adaptation des objets.
II. Le design démocratique
Bien
qu’il ait contribué au développement de la société industrielle, le design
s’efforce d’en limiter les effets pervers. Parmi eux figure l’approche élitiste
du progrès social, en vertu de laquelle la structure sociale est conçue pour
le peuple et non par lui, par des « hommes d’exception » et
non à travers la collaboration de divers acteurs. C’est pourquoi nous allons
nous intéresser maintenant à ce que nous appelons le « design démocratique ».
Un
premier exemple de design démocratique nous est donné par le cas norvégien
d’Utopia, dans le contexte du développement d’outils informatiques pour
l’imprimerie, l’hôpital et le bureau dans les années quatre-vingt, en vue
d’adapter la conception aux utilisateurs (Kristen Nygaard). Il fallut pour cela
des méthodes et des outils interactifs afin de favoriser l’apprentissage
mutuel. Ainsi, les utilisateurs pouvaient énoncer leurs besoins et expliquer
leurs difficultés ; tandis que les concepteurs pouvaient exposer le
fonctionnement et les possibilités de leurs dispositifs, chacun étant à la fois
novice et expert par rapport à l’autre.
On
trouve une ressemblance de principes entre le design participatif scandinave et
le design thinking (Rolf Faste), bien que les contextes soient différents. Nous
retrouvons l’idée d’une démarche itérative, avec des corrections et des
améliorations, la combinaison de diverses compétences dans un réseau
interdisciplinaire, l’expérimentation sur le terrain, un positionnement
pragmatique dépassant les anticipations théoriques et le développement de
méthodes et outils facilitant la réflexion collective.
Il
est couramment reproché aux démarches participatives de réclamer du temps du
fait de leur nature itérative, exploratoire et délibérative. Mais parfois des
initiatives collectives locales sont plus rapides que le cheminement d’une
décision le long d’une chaîne hiérarchique. Il faut également tenir compte des
pertes de temps à venir liées au rattrapage de mauvaises décisions éloignées du
terrain. Enfin, une façon de compenser l’étalement dans le temps de la
concertation est de favoriser le rapprochement dans l’espace. Ce peut être des
espaces partagés concrets, comme les jardins collectifs ou les fablabs qui
permettent l’échange des connaissances, la mutualisation des outils et des
dépenses, et de raccourcir les circulations à des échelles soutenables.
L’utilisation
du cyberespace permet également un gain de temps et le partage de ressources
informationnelles et techniques (peer to peer, open source). Il s’y développe
une économie contributive fondée sur l’entraide, le don et le contre-don. Ces
îlots d’économie informelle s’intègrent au modèle marchand dominant tout en
espérant étendre leur influence. Ils fonctionnent selon le principe de gestion
collective des biens communs (Elinor Ostrom).
La
production et le partage des informations et des analyses permet à
l’intelligence collective de développer la connaissance en ligne
(encyclopédies, tutoriels, cours, etc.). La manière dont les interactions produisent
des croyances et des connaissances intéresse l’épistémologie sociale (Alvin Goldman,
Philip Kitcher, Helen Longino). Plus généralement, la façon dont se forment les
groupes à travers les représentations et les actions peut être analysée par l’ontologie
sociale (John Searle, Margaret Gilbert, Ruth Millikan). Il est possible
d’étudier les structures communicationnelles plus ou moins centralisées qui
servent de forces de liaison aux collectifs humains. Nous avons montré ce que
nous entendons par design démocratique à travers les exemples du design
participatif scandinave, du design thinking et des espaces communs. Nous allons
à présent explorer la question de la place de la démocratie dans le progrès
technique et social d’un point de vue plus philosophique.
III. Démocratie et progrès
On
distingue la démocratie participative de la démocratie représentative en ce
qu’elle permet d’en approfondir la dimension démocratique (Jean Jacques Rousseau,
Pierre Rosanvallon, Bernard Manin). La démocratie représentative est souvent
considérée comme superficiellement démocratique et requalifiée comme
aristocratie élective, puisque les prises de décision sont déléguées à des élus
parmi l’élite au lieu que les citoyens participent directement aux décisions. Parmi
les différentes théories de la démocratie participative, nous nous
concentrerons sur la version pragmatiste de Dewey. Une objection courante qui
est opposée à ce type de démocratie consiste à dénoncer l’incompétence et les
préjugés des citoyens ordinaires et leur incapacité à prendre des décisions
éclairées (Gabriel Almond, Walter Lippmann). La réponse de Dewey consiste à renverser
l’argument. La compétence suppose l’accès à la délibération. Autrement dit, il
faut créer un environnement favorable à la démocratie en organisant un meilleur
accès à l’information, la formation des citoyens en encourageant l’implication
de chacun. Par ailleurs, la démocratie participative n’exclut pas les
différences de niveaux de qualification et défend la complémentarité des
expertises. Par exemple, l’Empowered Participatory Governance permet de
confronter les savoirs professionnels et profanes locaux dans les prises de
décisions à l’aide d’experts facilitateurs (Archon Fung, Erik Wright).
Précisons
les caractéristiques d’une ontologie sociale démocratique et pragmatique. Nous
trouvons chez Herbert Mead et John Dewey l’idée d’une « individuation
psychique et collective » (pour reprendre l’expression de Gilbert
Simondon), selon laquelle l’individu ne peut se réaliser qu’en tant que membre de
la société, en s’engageant dans un processus coopératif. Il ne s’agit pas
simplement ici de s’intégrer et de s’ajuster à la société mais de se réaliser
soi-même en participant au développement social. Cela comprend la socialisation
de l’intelligence à travers la confrontation des expériences et la recherche
d’une entente intersubjective. La résolution des problèmes doit avoir lieu en
intégrant la multiplicité des points de vue des différents acteurs.
C’est
également le principe défendu par la théorie de l’acteur-réseau (Madeleine
Akrich, Michel Callon, Bruno Latour). Celle-ci est née de l’étude de la science
en action, et non déjà faite, à travers les controverses entre différents
acteurs sociaux. L’objectivité selon les auteurs dépend non plus d’un point de
vue dominant unique mais du jeu complémentaire des différents cadres de
références. Elle est kaléidoscopique plutôt que télescopique. Un aspect intéressant
de la théorie de l’acteur-réseau pour le design est sa compréhension des êtres
naturels et techniques comme des acteurs de la vie sociale. Ils s’expriment à
travers les porte-paroles des différents groupes sociaux engagés dans des
relations particulières avec des instruments ou des êtres naturels (ouvriers,
agriculteurs, pêcheurs, éleveurs, scientifiques, écologistes, etc.). Les
actants humains et non humains, généralement invisibles lorsqu’ils fonctionnent
comme intermédiaires dans un réseau, deviennent des médiateurs visibles dans
les controverses qui surgissent dans les situations exceptionnelles (recherche,
crises, pannes, conflits, etc.).
La
théorie de la rationalisation démocratique d’Andrew Feenberg appartient à la
même famille constructiviste et pragmatique que la théorie de l’acteur-réseau.
Selon elle, c’est moins l’efficacité technique intrinsèque qui détermine les
choix d’innovation que les intérêts des divers groupes sociaux. Le choix entre
des tailles de roues de vélo différentes ou identiques (John Starley, 1884) ou
la hauteur des passerelles sur les autoroutes de New York (Robert Moses, 1922)
est lié aux types d’acteurs et d’activités que l’on souhaite privilégier. Ce
constat souligne l’importance des controverses autour des évolutions techniques :
revendication des femmes concernant les méthodes d’accouchement, des malades du
VIH concernant les traitements expérimentaux, des ouvriers pour les conditions
de travail ou des écologistes concernant l’aménagement du territoire, etc. On
peut également citer les cas d’appropriation techniques par les utilisateurs,
lorsqu’ils adaptent eux-mêmes à leurs besoins les dispositifs prévus par les concepteurs
(Michel de Certeau, Roger Silverstone, Eric Von Hippel, Pierre Rabardel). Andrew
Feenberg défend donc un mode de développement technique inclusif encourageant
les alliances entre les acteurs des différents réseaux de conception, de production
et d’utilisation.
C’est
également le modèle développé par les théoriciens de la planification
démocratique. A ceux qui leur opposent que l’économie est trop complexe pour
être démocratiquement planifiée, Pat Devine et Fikret Adaman estiment que c’est
justement l’accès aux connaissances des producteurs et des consommateurs qui
favorise les processus de décision complexes. Avec la « démocratie des
personnes concernées », on peut donner plus de poids aux décisions des
personnes directement affectées par certaines situations. La redistribution du
pouvoir social permettrait à chacun d’accomplir des tâches d’exécution et de
décision, mais aussi de répartir plus équitablement les tâches indésirables,
afin de mieux distribuer en contrepartie celles qui favorisent le développement
de l’individu. Michael Albert et Robin Hahnel proposent de reconvertir la
publicité et le marketing dans la transmission d’informations claires, exactes
et utiles, pour que des comités puissent s’en servir pour corriger les défauts
de l’organisation sociale. Paul Cockshot et Allin Cottrell imaginent des
modèles de planification démocratiques basés sur l’informatique. Ces
propositions spéculatives de coordination négociée, d’économie participaliste,
de planification ascendante, d’économie de communauté etc. sont imaginées à
partir de l’analyse des problèmes de la société existante (Audrey-Laurin
Lamothe, Frederic Legault, Simon Tremblay Pépin).
On
trouvera cependant des précédents historiques correspondant à l’esprit de ces
projets dans le mouvement coopératif qui fournit de nombreux exemples de
partages des décisions, des données et des équipements (Anne Catherine Wagner).
Son histoire remonte au dix-neuvième siècle : magasin coopératif New
Lanark de Robert Owen en Ecosse, épicerie sociale de Michel-Marie Derrion à
Lyon, société de tisserands Equitables Pionners en Angleterre, boulangerie
coopérative Raiffeissen en Allemagne, etc. On comptait 4140 coopératives en
France en 2024 selon la Confédération générale de SCOP. Les principes
coopératifs déclarés par l’Alliance coopérative internationale en 1885 et
revisités en 1995 sont : l’adhésion volontaire et sans discrimination ;
le pouvoir démocratique exercé par les membres qui participent aux décisions à
travers des représentants élus ; la participation économique avec la
contribution équitable au capital et son contrôle ; l’indépendance de la
coopérative par rapport aux accords avec d’autres organisations ou le
gouvernement ; le développement de l’éducation, de la formation et de l’information,
y compris auprès du grand public ; la coopération des coopératives entre
elles ; et la contribution au développement durable.
Axel
Honneth insiste sur l’importance du développement des pratiques démocratiques
dans le cadre du travail. D’abord, elles permettent de résoudre les problèmes inhérents
au travail lui-même : épuisement, chômage, sentiment d’impuissance, manque
de reconnaissance, etc. Ensuite, au-delà de la transformation des conditions de
travail, l’engagement dans la coopération sociale renforce les dispositions des
citoyens à l’action démocratique. Il s’agit alors de réduire l’écart existant
entre la sphère du travail et celle de la pratique démocratique. Pour cette raison
d’ailleurs, Axel Honneth se montre critique à l’égard du revenu de base
garanti. Il estime que l’engagement citoyen dépend de l’intégration dans la
division du travail social auquel nous devons la garantie de notre existence.
Il
faut se garder toutefois de toute idéalisation. Il reconnaît que dans les
conditions actuelles de l’économie globale, les coopératives risquent la
faillite ou l’édulcoration par rapport aux principes de base si elles ne
bénéficient pas d’un soutien étatique. De plus, la réalité empirique des
coopératives est loin d’être parfaite et les cas de frustration, de surtravail
ou de reproduction de la domination existent comme partout ailleurs dans le
monde du travail. Enfin, la définition claire du niveau de participation doit
faire l’objet d’une vigilance particulière (Sherry Arnstein). Trois écueils
souvent conjoints sont à éviter : la simulation de participation,
lorsqu’elle se limite à des consultations sans réponses ; la diversion,
qui détourne l’attention des participants des enjeux les plus importants pour
faire porter la décision sur des points secondaires ; la récupération,
dont Luc Boltanski et Eve Chiapello ont fourni une analyse avec l’exemple du
détournement de la critique artiste de mai soixante-huit par le nouvel esprit
du capitalisme. Ils décrivent la mutation post-fordiste des années soixante-dix,
passant d’une structure hiérarchique à un modèle réticulaire favorisant
l’initiative et l’autonomie relative des salariés mais sacrifiant leur sécurité
matérielle et psychologique.
Johann
Chapoutot fournit lui aussi un exemple de participation tronquée et dévoyée dans
son analyse du management sous le troisième Reich. Dans l’armée, la tactique
par la mission consistait à confier un objectif au soldat en le laissant libre
des moyens d’y parvenir. Ce transfert de compétence délègue à l’exécutant la
responsabilité d’un éventuel échec, sans nécessairement lui donner les moyens
d’accomplir sa tâche correctement. Cette méthode de management par objectif augmente
l’élasticité et la rapidité du travail en évitant toute inhibition
bureaucratique. Mais si cette liberté aménagée permet à l’exécutant de goûter
momentanément à l’enivrement du sentiment d’autonomie, il finit par laisser
place à des symptômes d’anxiété, d’épuisement, d’ennui ou de culpabilité. Convaincu
de participer à la cogestion de l’entreprise, le collaborateur n’a plus à
contester sa hiérarchie.
Conclusion
Rappelons,
avant de conclure, le chemin parcouru dans ce texte. Nous avons rappelé le rôle
important joué par le design dans l’amélioration technique et sociale de notre
environnement à l’ère industrielle, en évoquant l’Art and Craft, le
fonctionnalisme, le Bauhaus, les designs radical, critique, durable et
inclusif. Puis nous avons défini un design démocratique, contre une approche
élitiste et paternaliste du progrès, en partant du design participatif
scandinave, du design thinking, des jardins partagés, des fablabs de l’open
source et du peer to peer. Ensuite, nous avons exploré plus en détail les
interactions sociales démocratiques et leurs effets sur la connaissance et
l’action, en partant de la conception pragmatiste de la participation et en la
précisant relativement à la question de la technique et du design avec les
théories de l’acteur-réseau et de la rationalisation démocratique. Nous avons
également indiqué l’existence d’un courant prospectif de planification
démocratique qui va dans la même direction. Enfin, nous avons trouvé dans le
mouvement coopératif un ancrage concret correspondant à ces théories, ce qui a
permis de mieux cerner l’articulation entre démocratie économique dans le
travail et démocratie politique dans la sphère publique. Nous avons aussi relevé
un ensemble d’écueils qui menacent les pratiques démocratiques.
Pour
conclure, nous allons préciser le rapport que nous établissons entre design
démocratique et démocratie économique. Le principe consiste à nourrir la
démarche et le résultat de la conception de motifs démocratiques. La démarche
doit intégrer les outils d’enquête, d’observation et de participation des
utilisateurs. Le résultat doit fournir les conditions requises pour l’échange
d’informations, l’accessibilité, l’adaptabilité constante aux besoins et
l’interactions entre les utilisateurs. Cette orientation concerne aussi bien
l’urbanisme et l’architecture que toutes les branches du design. Si nous
appliquons par exemple cette logique démocratique à l’intelligence artificielle
dans le cadre du design numérique, celle-ci doit être conçue pour faciliter
l’accès à l’information et bien adaptée à chaque utilisateur. Elle doit
permettre les interactions, l’analyse, la clarification, la hiérarchisation, la
vérification des données et faciliter la codécision. Elle doit également être
constamment corrigée pour protéger l’utilisateur contre la désinformation, la
manipulation, la polarisation simplificatrice des idées, le harcèlement, la
malveillance et les intrusions dans la vie privée. Enfin, l’intelligence
artificielle ne doit pas simplement assister ou remplacer l’humain mais aussi
le former et l’entraîner pour qu’il développe son propre esprit critique et les
compétences qui lui permettront d’ouvrir les boites noires des technologies qui
l’entourent pour en assurer le contrôle démocratique.
Je remercie
Laurent Neyssensas, Responsable de la Cellule Innovation de l’Ecole de Design
Nantes Atlantique, pour son expertise et ses suggestions pertinentes (Raphaël
Edelman, Nantes le 02/02/2025).
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