lundi 23 juin 2008

BRUIL INTERVIEWÉ

https://soundcloud.com/arno-bruil

Raphaël : Quel est ton parcours musical ?
Bruil : Il y avait chez mes parents une discothèque familiale de musique pop et classique. Dès huit ans, je suis aussi devenu cinéphile et travaillais dans un vidéo-club. J'étais payé en cassettes VHS et regardait des films de genre. A Lannion, le cinéma était le seul espace de liberté. Cette activité me donna le sens du récit, de la citations et des dialogues. A vingt-neuf ans, je me suis acheté des platines MK2 et ai commencé à mixer de la Techno et de la House en soirée. Mais ce travail de DJ est vite devenu ennuyeux, car le champ de créativité me parut trop clos. Je suis alors passé du mixage à la composition électro-acoustique sur ordinateur. Je désirais créer de A à Z la matière sonore plutôt que mixer l'existant. Je générais des accidents sonores en injectant, par exemple, des fichiers JPG dans des logiciels audios. Ces accidents furent collectés et retravaillés. Je composais des pièces en Wave énormes. Les silences amplifiés créaient du bruit blanc. Des enregistrements extérieurs furent exploités, selon la technique du Ready recording. L'influence de Cage, de l'électro-acoustique, en particulier Michel Chion, et de la musique expérimentale fut déterminante : le bruit, généralement considéré comme rebutant, peut être travaillé en tant que son. Plus tard, je me familiarisai avec l'improvisation collective. En 2006, je rencontrai, dans des ateliers d'improvisation, en particulier ceux de Nusch Werkowska, des musiciens, ou plutôt des artistes sonores qui n'utilisaient pas l'écriture musicale. L'écoute surtout y était valorisée. Sans calcul, ni théorie artiste ou sonore, on pouvait arriver à un résultat. La formation Bruine naquit avec Vincent Paillard rencontré aux ateliers d'improvisation. Bregma et d'autres groupes d'improvisation furent formés avec d'autres musiciens. J'acquis les principaux codes de l'improvisation libre : mettre du sens dans l'improvisation, jouer avec d'autres, maîtriser l'écoute et le placement. Ces ateliers me donnèrent confiance, car le live me paraissait jusqu'alors impossible sans maîtrise technique.

Raphael : Peux-tu nous parler des matériaux avec lesquels tu travailles ?
Bruil : Mon père, qui est brocanteur, possédait un Tépaz des années soixante qui fut rapidement pulvérisé dans les ateliers d'improvisation. J'exploite ainsi différents objets rotatifs, ventilateurs, platines etc.. J'utilise les tourne-disques tels quels, sans cellule ni saphir, comme des micro-contacts. Je place, sur les platines, des surfaces de vinyles préparées et découpées, collées, brûlées, du papier, du carton, différentes textures. Je joue avec le frottement des micros. Le son dépend donc de la nature de la surface. Celle-ci crée le rythme, la granulation, la texture, qui sera ensuite retravaillée sur la table de mixage. Le tourne-disque fonctionne comme une table amplifiée. Les objets trouvés et les déchets sont réutilisés dans la musique. Je m'appuie sur le hasard de la rencontre et les automatismes. Il s'agit d'un jeu de dé avec les déchets. La récupération est une attitude politique. Le progrès technologique n'est pas un gage de qualité pour moi. Deux bouts de bois, un caillou, un micro et de l'intention sont supérieurs à la technologie. L'environnement des objets quotidiens offre une poésie du réel (fouet, batteur, mixeur, fourchette, gravier). Tout le monde s'y retrouve. Je défend une esthétique de la spontanéité, du charme, de l'allégresse et non une approche clinique ou spéculative. J'utilise encore l'ordinateur aujourd'hui mais discrètement et modérément. On ne voit pas d'écran sur scène et je ne perd pas de temps dans l'improvisation à manipuler des logiciels. Mes interventions sont électrifiées mais je projette de jouer des solos électriques et acoustiques en utilisant du matériel de camping. Il s'agirait de ne pas tout amplifier mais de superposer et de mélanger les deux. Les compositions informatiques sont intégrées dans les improvisations, ce qui en fait des demi-improvisations. Des enregistrements live sont également segmentés, remontés sur CD ou cassettes et donnent lieu à des improvisations à partir d'improvisations remontées. Cela crée diverses temporalités. J'aime la pratique d'instruments non traditionnels, la transversalité avec les arts plastiques. La musique doit résulter d'un mélange profond, intéressant et nécessaire. Je ne veux pas faire une musique de musicien, tout comme la peinture n'est plus depuis longtemps une activité de peintre exclusivement. Il y a une démocratisation de l'art, avec le rôle accessoire joué aujourd'hui par le solfège par exemple. La sensibilité est plus importante que l'apprentissage scolaire. Les ondes sonores sont des objets à sculpter. L'art plastique est une pratique ouverte et non particulièrement visuelle ou musicale. La musique est partout. Il faut laisser le son où il est ou en faire quelque chose. Comment utiliser le son ? Comme un architecte, avec la construction de nouveaux instruments et la plastique de la lumière appliquée au son. Je veux mélanger phénomènes photo-électriques et musique. Il faut jouer avec la synesthésie, ré-interpréter les pratiques, ne pas nommer les projets. Quant au silence, c'est le fond primordial à intégrer dans la technique musicale. Le vrai silence, dans un set, est rare mais nécessaire. Il doit être respecté en tant qu'il manifeste la possibilité du choix. Le silence rapproche de l'essentiel et du public. Le silence est un bruit blanc en même temps qu'un vide ; il est la somme des sons et un trou noir. C'est ces deux extrêmes à la fois.

Raphaël : Est-ce que tu peux définir le genre de musique que tu pratiques ?
Bruil : Je ne veux pas appartenir à un genre fermé, tel que le Free Jazz ou la Noise. Je ne veux pas d'étiquette mais défends une approche ludique et hédoniste. Je ne veux être ni un singe savant ni un automate. Je compte sur le moment présent, même s'il existe un travail préalable. Je reste ironique et tourne en dérision les styles. Je me moque, par exemple, du guitare héros, du public ou de moi-même. Même si je suis un enfant du rock, le rock n'est plus pour moi une vraie pratique subversive qui pourrait changer le monde. Le rock aujourd'hui est un non sens. De même, il y a trop de sérieux dans l'expérimental. Le sketch doit s'opposer au solennel, trop présent même dans le monde libertaire, au moralisme, à la messe, aux attitudes consensuelles et désuètes. La musique est aujourd'hui destinée à la manipulation. Elle côtoie la publicité et participe au même matraquage. La radio dépend de l'État, appartient à un certain fascisme. Elle véhicule l'idée de vente de produits. L'avenir de la musique est sombre à mes yeux. Il faut mélanger les pratiques. Il faut être attentif aux réactions du public en concert. Le cri des gens pendant les concerts veut dire quelque chose, il manifeste la perturbation. On devrait d'ailleurs crier dans les musées.
Raphaël : Considères-tu tes concerts comme des spectacles ?
Bruil : L'approche plastique de la musique est intéressante à voir comme à écouter. Elle se prête au spectacle, à la performance, pour faire voir la correspondance du sonore et du visuel. L'ordinateur sert au travail en amont mais n'a pas cet intérêt spectaculaire. Le contrôleur midi est utilisé comme une guitare de manière ludique. Il n'y a pas de restitution du déjà préparé mais une diffusion et une création spontanée avec prise de risque. Sur scène, l'obscurité et la cagoule me permettent de créer le mystère, un personnage, et davantage de prises de risque, plus d'invention et moins de précaution. La cagoule que je porte sur scène sert à jouer plus librement et non à donner une image extérieure. Elle est destinée à me transporter ailleurs et non à être vu. Le travail de la voix est difficile et suppose la cagoule, même à la maison. En privé, comme en public, la voix donne le trac parce qu'elle traduit l'intimité. C'est un son organique, réel et non sur-joué. Chaque situation est importante. Je me considère comme une éponge affective et capte l'ambiance de la salle. La connaissance préalable du lieu ne m'intéresse pas. Je ne veux pas me poser de questions a priori. J'ai juste une idée de départ. Ma performance revient à raconter une histoire. Il y a peu de réflexion et je possède peu de souvenirs des concerts, comme si j'y étais sans être là. Le jeu reste spontané et sans calcul. J'ai l'impression de redevenir un enfant, d'oublier mes bagages pour une action brute. Le concert est une performance qui vise à bousculer les attentes du public. L'improvisation dure le temps de l'improvisation et est irréversible, à la différence de la composition. Ce qui est dit est dit et est ineffaçable.

Raphaël : Préfères-tu jouer en groupe ou en solo ?
Bruil : Le jeu collectif a fait évoluer ma pratique et m'a apporté de la réactivité, à la différence du Lab Top. Je ne rejette pas totalement l'ordinateur mais favorise un mélange des interfaces pour plus de réactivité. Aujourd'hui, je préfère sans doute le solo. J'y prends plus de risques, alors que le groupe est plus formel, plus convenu et moins fou. Il est trop confortable de jouer avec de gens que l'on connaît. Néanmoins, quand je joue dans France sauvage, chaque concert doit être extraordinaire et doit bouleverser. Ce ne doit pas être l'usine et l'exécution d'un programme. Il s'agit de mettre ses tripes, comme un groupe de rock' n roll, de branleurs pas sérieux mais en même temps assez sérieusement. Le groupe essaie de jouer sérieusement mais sans sérieux, tu vois ! Il doit surtout donner à entendre de la musique. Le groupe est formé de trois personnes avec des influences distinctes qui se mélangent. Tout se retrouve en même temps, ici et maintenant. Le groupe est un socle pour d'autres pratiques. Il assure une certaine reconnaissance. A côté de ça, je développe mes concerts solo dans une ligne Power-électro tourmenté. J'utilise un synthétiseur modulaire, des tourne-disques et ma voix en pseudo-allemand inconscient. Tout est basé sur le plaisir du live, à travers une noise violente, avec un engagement du corps, des déplacements dans l'espace, un outillage Castorama. Ma posture n'est pas statique. Je reste debout ou à genou, naviguant dans l'espace. C'est une sorte de body-art, de performance à la Fluxus. Je m'agenouille, place des capteurs sur mon corps. Ce qui compte, c'est l'acte musical, la musique du corps, le son des surfaces, la voix, le millivoltage sur la peau, des capteurs de flexion. La réaction émotive est le moteur. Il s'agit toujours de vagues tentatives et non d'appliquer une théorie. Je pratique l'essai, la sélection. J'aime l'aisance du live où bizarrement je suis plus libre qu'à la maison. Je teste la réaction des gens, qui me renvoient les disques que je leur jette, dans une sorte de pogo. C'est un rapport humain non intellectuel, une sorte de rock en dehors du rock.



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