dimanche 3 juillet 2022

ECONOMIE ET RHETORIQUE


Introduction


Ce que l'on entend par langue habituellement, c'est une manière de parler ou d'écrire propre à un peuple. Mais nous laissons généralement de côté le fait que cette langue se divise elle-même en multiples langues sous-jacentes, qui sont des façons spécifiques de s'exprimer, de percevoir, d'être, comme les différents jargons, les langues soutenues, savantes ou populaires. En exagérant, nous pouvons désigner par langues l'ensemble des conventions, par exemple les attitudes, les gestes, les vêtements, les activités. Lorsqu'un acteur joue un rôle, il incarne une manière de parler mais aussi de se vêtir, de se tenir et de réagir. La société se fragmente ainsi en langues et milieux (la langue à l'université, au bureau, à l'école, sur le chantier, au café), en différentes rhétoriques, qui sans doute se complètent mais restent en équilibre instable en tant qu'elles correspondent à des injustices sociales et à des phénomènes d'exclusion. Chercher l'équilibre suppose de décloisonner les langues, d'opérer des traductions sans nivellement. Comment les langues se sépare-t-elles les unes des autres, comment évoluent-elles et comment pourraient-elles finir par s'entendre ? Si l'entente suppose de conjurer l'effet rhétorique de la langue, de réduire sa dimension stratégique pour atteindre un certain niveau de communication, il faut pour cela trouver un ancrage commun, une réalité extérieure vers laquelle tendre et que nous pouvons appeler économie (1). 



Les situation spatio-temporelles


La prise en compte des conditions socio-historiques de la pratique linguistique doit permettre de compléter les approches, prédominantes durant la seconde moitié du XXème siècle, du structuralisme et du pragmatisme, centrées sur la langue et la parole mais trop indifférents au macro-contexte des situations sociales. La prise en compte de ces conditions remet en cause l'illusion d'un communisme linguistique, d'un universalisme abstrait impliqué par les concepts généraux de langue et de parole. Cet universalisme n'est pas invalide, en tant qu'horizon normatif de la discussion, mais incomplet. L'universalité n'est pas une réalité présente telle qu'elle mais une potentialité humaine et un horizon d'attente à travers les particularités. Annuler purement et simplement l'universalisme conduirait à une position différentialiste dangereuse, où les sexes, les civilisations et les milieux sociaux serait condamnés a priori à la mésentente. Toutefois des codes symboliques spécifiques aux groupes, dirigeants ou dirigés, existent bel et bien. 

Ainsi, en plus d'une recherche de l'entente universelle, il faut prendre en considération la lutte des langues, comme celle qui oppose par exemple la langue des managers à celle des syndicalistes. Les frontières existent entre les habitus symboliques, les jeux de langage et de comportements, en fonction des métiers, des goûts, des modes, des classes. Elles ne peuvent être ignorées. L'approche linguistique néo-kantienne de la réalité ne doit pas négliger l'approche économique marxiste, sans quoi elle ne rendra pas compte des pratiques nominalistes, idéalistes, formelles et fétichistes d'évitement de la réalité et de fabrication du consentement.

Trop souvent, la communication est abordée comme si le contexte avait disparu, en se focalisant sur le propos lui-même coupé de l'histoire et du milieu. C'est ce qui produit l'idéologie, comme nous le verrons. Or il existe bien une hétéronomie des systèmes symboliques (langues, conduites, arts, modes, etc.). On peut par exemple distinguer la langue officielle d'un pays et les dialectes locaux, comme le fait Bourdieu dans Langage et pouvoir symbolique. Tout le monde n'a pas le même pouvoir d'expression. Certains propos sont valorisés, d'autres considérés comme trop bavards, inappropriés ou carrément censurés. Tout le monde n'a donc pas la même force d'apparition dans le théâtre social. Il faut tenir compte du jeu des institutions et des espaces physiques (quartiers, pays) et sociaux (groupes, classes) (2). 


Les di-visions du monde et la hiérarchie


Les différentes manières de s'exprimer correspondent à différentes versions ou di-visions du monde. Ce sont des façons différentes d'étiqueter, selon les codes acquis, les revenus et capitaux symboliques, les réseaux, les champs d'appartenance, les jeux ou les marchés symboliques. Les di-visions sont des frontières. Le monde est di-visé en frontières physiques et imaginaires, en différents types de discours. Nous avons par exemple le discours ordinaire du quotidien et le discours scientifique des institutions savantes. La compétition règne aussi entre différentes visions spécialisées, comme par exemple entre les courants politiques du mouvement ouvrier (anarchistes, communistes, réformistes, révolutionnaires, nationalistes et internationalistes), entre les courants artistiques (ancien ou moderne, réalistes ou formalistes, figuratifs ou abstraits), ou encore scientifiques (matérialistes et idéalistes, objectivistes ou subjectivistes, nomothétique ou idiographique, holiste ou individualiste, ondulatoire ou corpusculaire).

La ritualisation des conduites sépare le monde en parcelles. Le monde est di-visé en schèmes sensori-moteurs différents. On ne vit pas les choses de la même manière, selon que l'on est de tel ou tel côté du guichet, du bureau ou de la matraque. Les habitus sont adaptés à différents appareils. On peut parler de di-visions du monde, au sens de double vision du monde entre dominants et dominés et au sens de découpage du monde, selon le lieu où l'on se trouve entre le sommet et la base de l'échelle sociale.

La stratégie de contrôle idéologique passe par la maîtrise des accès aux "marchés" symboliques, avec des formes de validations des codes acquis. Ainsi les diplômes universitaires doivent-ils répondre à des exigences de formes et de contenus spécifiques. Les rapports de force sont masqués par la routine de ces codes. Mais ils se traduisent par des actes d'auto-censure, le règne des jargons, la répétition des clichés. L'anxiété est générée par une mauvaise adaptation de l'habitus des individus au marché symbolique. Ces habitus sont créés et préparés par la fréquentation d'institutions familiales, scolaires, médiatiques, amicales, professionnelles. Ces institutions sont des espaces sociaux (réseaux relationnels) et physiques. 

La position hiérarchique traduit la situation des acteurs dans la société. Dans ces champs, la reconnaissance est liée à des mécanismes de sanction et de gratification à travers des rites initiatiques. Ces champs sont relatifs à la di-vision sociale, aux quartiers, aux métiers, aux catégories socio-professionnelles. Ils se développent à différents niveaux symboliques (savoir-dire ceci), techniques (savoir-faire cela), géographiques (savoir-être là). Aux schèmes symboliques correspondent des schèmes sensori-moteurs adaptés aux pratiques, aux lieux et aux personnes. La compétence symbolique (savoir-dire ceci) s'inscrit dans la sphère technique (savoir-faire cela), elle même incluse dans la sphère géographique (savoir-être là). Autrement dit, on parle autour d'une activité en un endroit donné. L'ajout du géographique au symbolique et au technique permet de penser l'enracinement matériel. Nos instruments symboliques nous instruisent, nous font communiquer, diriger et construire. Ce sont des schèmes sensori-moteurs dans un écosystème outillé et socialement divisé. Les symboles font partie des outils et les outils font partie des écosystèmes.



Division en classes


Le langage fut d'abord la forme de la conscience réelle pratique du travail (Leroi-Gourhan), pour les autres et moi-même, conscience issue du besoin et du commerce avec les autres. La conscience et le discours sont des produits sociaux. Ils sont d'abord issus du milieu sensible proche de la "nature". Mais la hausse de la productivité, des besoins et de la population a entraîné une division du travail. Les activités se sont divisées entre les sexes, puis entre manuels et intellectuels. Peu à peu, le discours et la conscience se sont écartés de la pratique réelle pour devenir théologiques, philosophiques et moraux, avec le développement de la classe des intellectuels. Les rapports sociaux ont fini par entrer en contradiction avec les forces productives. Avec l'aliénation sociale de classe, la jouissance fut séparée du travail, la consommation fut dissociée de la production.

Nous avons assisté à la naissance progressive du milieu urbain. Il y eut d'abord, d'après Engels, une division du travail entre chasseurs, pasteurs, agriculteurs, artisans, ouvriers, commerçants, jusqu'à l'apparition des capitalistes fonciers, industriels et financiers. Ce partage correspond bien au développement des villes par rapport aux campagnes. Dans la petite propriété, la propriété n'était pas séparée du travail à la différence de la grande industrie. L'exploitation fut basée sur différents rapports de production : patriarcat tribal, esclavagisme antique, servage médiéval, capitalisme et impérialisme modernes. A chaque époque, une division apparaît. La division archaïque dans la famille (homme/femme) se prolonge en division entre familles (riches/pauvres). La propriété patriarcale inclut femme, enfants et esclaves. La division sociale se fait ensuite entre l'activité et la propriété privée du produit de cette activité. La famille produit des enfants en exploitant la femme, toujours selon Engels. La société produit des biens et services en exploitant l'esclave, le serf ou l'ouvrier. L'amélioration technique a permis de réduire un type d'exploitation animale et humaine (esclavage et servage) mais a conduit à d'autres formes d'exploitation (conditions de travail inhumaines, bas salaires, chômage). Les progrès techniques ne furent pas automatiquement accompagnés de progrès sociaux, du fait même d'une division entre la pratique et la théorie dans le processus évolutif technique.

Le développement du capitalisme, d'après Marx, entraîne concentration, centralisation et accumulation du capital. Cela crée une population excédentaire à cause des machines et une paupérisation avec la baisse des salaires. La composition du capital augmente avec la mécanisation, ce qui baisse le taux de profit, car se sont les salariés qui produisent la plus-value, et fait augmenter le taux de surtravail pour compenser la baisse des effectifs. On assiste alors à des crises dues à des contradictions ou disproportions entre, d'un côté, la surproduction et, de l'autre, la sous consommation, faute de pouvoir d'achat, et le développement du chômage. Le mot fétiche "crise" cache la responsabilité de la classe dirigeante intéressée au maintien de ses privilèges. Contre cela, la lutte pour l'abolition de la domination générale doit nécessairement passer par la maîtrise du pouvoir politique. L'abolition de la division entre production et consommation devient un objectif nécessaire. C'est-à-dire qu'il faut garantir un accès à tous aux capitaux économiques, culturels et pratiques.

La mondialisation entraîne en principe la baisse de la pénurie grâce à la circulation. L'évolution doit tendre vers une stabilisation de la prospérité. Mais la force de travail est malheureusement coupée du capital. La division du travail entre classes et Etats est basée sur le profit et non le besoin. Or c'est le besoin qui devrait dicter ce qui peut ou non être mondialisé. Face à cela, il est nécessaire de former un bloc capable de renverser le système économique, afin de garantir à tous les hommes une vie digne, comme n'importe quel travailleur dont les conditions de vie sont satisfaisantes. Mais ce bloc est d'avance fissuré par les divisions.



Rejet, acceptation et invention


Si intérioriser un habitus, c'est être traversé par un effet de structure, il est possible de s'en défaire, en prenant appui sur de nouveaux champs. Par exemple, ce que l'école ou la famille nous enseignent peut être critiqué, en s'appuyant sur la rencontre d'amis influents, la lecture, le cinéma, etc. Les changements de vision du monde s'apparentent à des traductions. Par exemple, les termes "charge patronale" et "plan social" du management sont traduits par "cotisation sociale" et "licenciement" par les syndicats. Michel Foucault soutient que pour se libérer d'un pouvoir, il faut intégrer un contre-pouvoir. Il n'y a pas d'en dehors du pouvoir (comme il n'y a pas de hors-texte chez Derrida).

Le pouvoir et le droit d'expertise de juger se dresse face au devoir d'être jugé, à travers les procédures de contrôle et d'évaluation. Les normes et les règles sont fixées par les grammaires formelles et informelles. L'écart entre les degrés d'éducation et de familiarisation avec les codes dominants se signale parfois par des conduites intermédiaires, comme l'hyper-correction petite-bourgeoise, le zèle, ou au contraire le laisser-aller, la décontraction condescendante de l'élite. La condescendance désigne ici la négation symbolique et formelle de la hiérarchie (et non économique et matérielle). Les locuteurs sont des producteurs et des reproducteurs de discours sur un marché de concurrents en interaction. La richesse culturelle et le degré d'obéissance y sont évalués, parfois même de façon participative, sans arbitre, chacun étant juge et parti. Il y a donc un horizon d'attente auquel le locuteur doit se plier et auquel il attend que les autres se plient. Tout discours divergeant sera catalogué dans une classe préétablie d'exclusion. Les capacités symboliques et statutaires s'expriment par le titre, l'intonation, le lieu, le temps, les vêtements, l'appareil, les relations. Il faut savoir anticiper la sanction du marché, connaître les euphémismes, la bonne hexis, le bon style. C'est une première étape d'imitation, à partir de laquelle une seconde étape d'invention devient possible. Celui qui passerait directement à la seconde étape ne serait pas perçu. L'imitation est un cheval de Troie vers l'invention. Celui qui souhaite inventer doit d'abord s'inscrire dans un champ et s'y faire accepter pour le modifier ensuite. Le dodécaphonisme ou l'art abstrait ont émergé de l'intérieur même de l'institution artistique.

La nomination ou l'insulte sont des étiquetages. Ils instituent la personne, son rôle, sa place dans un champ. L'usage du langage est lié à des dispositifs cérémoniels et liturgiques, avec des rites d'institution ou d'humiliation. La différence est marquée par les titres pour les uns, les stigmates pour les autres. Ces processus passent par des rites initiatiques d'acquisition d'étiquette réclamant une forme d'ascétisme, afin d'acquérir un signe distinctif et de le faire fonctionner, parfois dans l'hyper-correction chez le débutant ou l'hypo-correction transgressive chez l'initié. Les signatures et marques amènent à l'existence et donnent une raison d'être, une reconnaissance, comme avec les décorations, les diplômes. Cela nous donne une forme, un design, un visage. Mais il faut être en mesure de remplir son contrat, de satisfaire la promesse du paraître. Sans quoi l'on devient un imposteur. 

Le discours discriminé peut avoir des conséquences fâcheuses sur les marchés de l'amour, du travail, du logement. Ce qui peut favoriser le communautarisme à force d'exclusion. Le discours discriminé s'accompagne d'une attitude de timidité devant le discours dominant, timidité qui peut s'inverser en arrogance minoritaire, avec inversion du stigmate et exagération de l'attitude qui confine parfois au folklore. Les élèves découragés par l'acquisition de la culture scolaire vont se tourner vers une culture de la rue, elle même pré-caricaturée par les médias. Face à l'hégémonie, les stigmatisés se soumettent en refoulant leur stigmatisation ou au contraire résistent en affirmant le stigmate. C'est faire de nécessité vertu, avec la figure du paria aristocratique. En même temps, c'est la solution pour ne pas se déclarer victime et imaginer sa revanche. Il y a également le silence des dominés, qui n'osent prendre la parole, ne posent aucune question et n'ont pas le droit de répondre, et le silence sans réponse des dominants, qui peuvent aussi bien répondre à côté et se réserver le droit de vous interroger. De même, l'absence et le retard sont coupables chez les dominés et innocents chez les dominants. Dans une réunion, le dominé est en avance et le dominant en retard.

Les dominants agissent et les dominés sont spectateurs en ce qui concerne les décisions, les actes de discours, comme ceux des élus ou des décideurs. Par contre, les dominants sont à leur tour spectateurs et consommateurs, quand les dominés agissent pour produire des biens et services, mais non des discours. C'est le cas du patron surveillant ses salariés, du spectateur à l'opéra ou du client au restaurant. La captation du pouvoir passe donc par une dépossession de l'action discursive.



Le capital culturel


L'écriture est une institutionnalisation, une fixation, un enregistrement. Elle est le devenir savant de la langue, par exemple avec le dictionnaire. Cette institutionnalisation se fait par l'administration, l'école, l'entreprise, la grammaire et l'orthographe. Le discours dominant est celui qui s'empare des masses et enregistre sa production. Mais les masses peuvent et doivent à leur tour s'emparer du discours dominant comme un butin à partager équitablement. Par exemple, l'art bourgeois ou la technologie peuvent être assimilés par le prolétariat. Dans une société démocratique, dirigée par les travailleurs, le prolétariat s'emparera de la culture bourgeoise.

Les plus formés culturellement peuvent représenter les moins formés. Le parti représente par exemple la classe, comme le signifiant le signifié, le théâtre le monde, l'étiquette l'échantillon. Les mandataires sont d'autant plus présents que le niveau de formation des masses est faible. Mais plus ce niveau s'élève, plus augmente, en principe, la possibilité de contestation du monopole politique, clérical, artistique. En même temps, les privilèges grandissants également, l'identification avec les dominants peut s'accentuer. 

La formation culturelle savante coûte en ressources matérielles et temporelles (bibliothèques, professeurs, infrastructures). Les capitaux culturels (diplôme), sociaux (noblesse), symboliques (réputation) suivent le capital économique (3). Les capitaux sont de la sorte corrélés mais peuvent aussi s'autonomiser légèrement. Le rapport entre capital économique et culturel est nécessaire au départ, même si des efforts ont été fait pour démocratiser le capital culturel (musées, écoles, livres de poche). Cette accessibilité a permis l'émergence d'une population avec de faibles revenus mais un fort capital culturel (non pas des bourgeois bohèmes mais disons au contraire des prolétaires bohèmes). 

Les faibles capitaux de départ sont liés à l'exploitation. Il y exploitation familiale de la femme, sociale des travailleurs et nationale des pays soumis, avec les mépris de genre, de classe et d'origine qui visent à justifier idéologiquement cette exploitation. Mais il y a aussi dépendance des dominants, qui est le levier de la lutte des dominés, lorsque les femmes, les travailleurs, les colonisés entrent en grève et cherchent à travailler pour eux-mêmes. A ce moment, la réaction des dominants devient violente. La révolution des idées dans ce cas est importante, pour isoler les dominants dans l'espace public, pour qu'ils ne soient plus obéis, et pour construire une culture commune au dominés. Autrement dit, la lutte émancipatrice doit se faire sur le plan matériel mais aussi culturel.

Une création résistante est possible à travers des groupes potentiels. De nouveaux courants, plus ou moins greffés sur d'anciens, permettent de rafraichir la vision du monde, dans le sens d'un rapprochement vers la réalité économique et d'une érosion des idoles. S'il y a reproduction des habitus et des alliances symboliques, il y a aussi évolution par les modifications progressives des formes sensori-motrices, par des déconstructions reconstructives, des destructions créatrices politiques, comme il en existe en art, en technologie ou en science. Pour autant, le principe de conservation ne peut être en soi banni. Etre progressif, c'est aussi conserver les progrès déjà réalisés. A travers les évolutions réelles de la société, un socle ferme doit demeurer pour produire un effet de cliquet.


Idéologie et pratique


Dans les Thèses sur Feuerbach, Marx oppose l'activité humaine productrice à l'intuition, ou encore la réalité objective et pratique à la contemplation théorique (4). Marx, peut-on dire, favorise le vécu des ouvriers au travail par rapport aux "données immédiates" du philosophe méditant sur l'apparition de sa tasse de café face à lui. L'homme réel est l'ensemble des rapports sociaux et non l'individu isolé. Il existe donc une aliénation profane (métaphysique) comparable à l'aliénation religieuse (théologique). Retrancher l'individu de la société, comme la marchandise de la production, ou encore la sensation de la réalité, constitue une forme d'aliénation. Dans l'Idéologie allemande, les hommes sont dominés et isolés par des productions du discours. Les professionnels du discours, en religion, en politique, en morale, règnent et divisent pour mieux régner. Mais ce qui importe vraiment, c'est la base réelle et collective, ce sont les modifications de la nature et de la société au cours de l'histoire. Quel est le mode de production des moyens d'existence ? Quel est le mode de vie ? Que produit-on et par quels moyens ?

Cependant, l'idéologie stimule la libido sociale, l'investissement, la motivation, l'adhésion. Le pouvoir de mobilisation dépend en partie d'une théâtralisation maîtrisée. La différence que l'on peut faire entre séduction et mensonge permet de montrer que l'idéologie ne saurait disparaître totalement mais possède différents degrés. La base pratique s'exprime dans la dénotation (avec des métaphore lexicalisées et le moins de connotation idéologique possible) et la connotation exprime l'idéologie, la mythologie, le soft-power. Autrement dit, l'idéologie minimale des producteurs est plus proche du réel que de celle maximale des possédants (même si les connotations idéologiques maximales sont distillées par les médias et hantent la langue ordinaire). Plus on s'éloigne du concret, plus l'idéologie enfle et plus la dénotation disparaît derrière la connotation. La langue de bois est un discours qui ne dénote plus rien, basé sur des généralités qui sont de pures connotations vides (Liberté, Justice, Lien, Soin, Nation ou bien Terroriste, Envahisseur, Racaille, Voyou). La contradiction psychologique des masses consiste à penser leur quotidien dans la langue de bois de leurs exploiteurs.

Le discours dominant est celui de la classe dominante qui a les moyens d'avoir le monopole des médias. Qui possède les moyens de production matérielle possède les moyens de production intellectuelle. Qui paie les musiciens choisit la musique. Les milliardaires investissent dans les médias pour assurer leur hégémonie sur les âmes en plus de leur coercition sur les corps. Le discours dominant véhicule l'expression idéalisée des rapports matériels dominants. La division historique du pouvoir est présentée comme une loi éternelle. Les idéologies véhiculent les illusions que les classes doivent avoir sur elles-mêmes. Il y a une distinction entre ce que chacun prétend être et ce qu'il est réellement. Bien sûr, l'illusion peut se dissiper. Sans quoi aucune émancipation ne serait possible. Et la lucidité sur soi peut percer à travers les mirages. C'est ce que vise par exemple la cure psychanalytique et plus largement l'éthique de la discussion dans l'espace public proposée par Habermas, qui ont l'avantage de permettre l'auto-émancipation et pas seulement une paradoxale assistance extérieure.

Pour dominer mieux, la domination se dissimule derrière l'idéologie. La servitude "volontaire" repose sur les croyances partagées. Les di-visions et distinctions réelles, par exemple entre salaires, sont masquées par un discours d'unité et de communication (Humanité, Nation, Entreprise). Les révoltés sont perçus comme des déséquilibrés dans cette perspective. Le monopole de la violence légitime symbolique passe ainsi par le silence sur l'oppression. Chaque dire autorisé est le taire d'autre chose. Il y a des spécialistes de la production symbolique, idéologique, mythologique, religieuse ou scientiste. La production idéologique euphémise la réalité ou la dysphémise à volonté. Au point que la réalité se met à ressembler à une série B, avec les méchants d'un côté et les gentils de l'autre. L'idéologie construit une structure mentale aveugle à la structure des classes sociales, qui elle ne relève pas de la méchanceté ou de la gentillesse, derrière l'écran d'adversités concurrentes. L'arbitraire des pouvoirs est voilé et parfois inversé lorsque l'étranger exploité est présenté comme une menace. L'attaque est ici la meilleure défense. Le discours nationaliste, la défense de l'intérêt national contre l'étranger, par exemple, masque les solidarités de classe internationales entre le club des puissants d'un côté et les travailleurs de l'autre.



Le fétichisme


Le mythe idéologique produit des modèles connotés (euphémisme, dysphémismes, extrapolations, amalgames, métonymies, métaphores, amplifications, atténuations) sur des dénotations falsifiées ou effacées. Tel despote par exemple serait un fou. Mais rien sur les causes, les motifs et les complicités réelles ! Tel entrepreneur serait un génie. Mais rien sur les précurseurs, les collaborateurs et les petites-mains ! Les fétiches idéologiques semblent n'exister que par soi, comme des portes paroles bureaucratiques. Les mandataires légitimes sont des métonymies du groupe. Le signifiant fait exister les signifiés. Il crée l'unité d'une diversité. Il se fait messager. Mais il peut être un usurpateur en déformant les signifiés, comme avec le faux-réalisme, peignant une classe populaire idéale ou caricaturale. L'imposteur peut être également le tribun populiste qui caricature le peuple, mimant le parlé vrai, la nourriture épaisse, la chanson de variété - alors que le "peuple" n'a a priori rien contre les gens qui parlent bien, la nourriture saine et la culture. Le fétichisme résulte de la vie propre du discours. Les êtres symboliques sont alors pris pour des êtres réels. Il s'agit d'erreurs et de mensonges catégoriels, de paralogismes, de sens sans dénotations. Les entités verbales ont une connotation et un usage mythologique : la France, l'Etat, le Prolétariat, la Bourgeoisie, L'Immigré, la Femme - ce qui ne veut pas dire pour autant qu'il n'y a pas des francophones, des appareils administratifs, des travailleurs et des propriétaires, des femmes et des immigrés. Les figures de l'idéalisme ne sont pas exactement des négations de la réalité mais des réductions qui oublient la relation avec leurs dénotations matérialistes, concrètes, pratiques et diversifiées.

Le fétichisme est l'illusion selon laquelle une chose apparaît auto-suffisante, absolue, alors qu'elle est relative à ce qu'elle recouvre. Par exemple, la marchandise et son prix cachent les rapports de production et les heures de travail qui l'ont générée. De même, le génie de l'artiste sur scène dissimule le temps de travail et de préparation passé. Le ventriloque fait parler sa marionnette. Le représentant politique cache le groupe social qu'il représente. Le phénomène de délégation, de dépossession, d'aliénation sépare les signifiés multiples de leur signifiant unique comme représentant, comme forme phénoménale - tout comme la sensation masque le référent, c'est-à-dire l'objet concret qui la provoque. L'idéalisme, à la base de l'idéologie, est cette séparation de l'effet de la cause et l'inversion des deux. Une entreprise est parfois réduite à son PDG, lequel "donne du travail" aux salariés, qui en réalité le font vivre et s'enrichir. Une nation est réduite à son roi. Quand les mots eux-mêmes sont personnifiés, par exemple la Liberté, les idées paraissent se diffuser à travers les grands de ce monde. Les théories changeraient alors le monde en visitant, comme un souffle divin, l'esprit des grands hommes.

Avec la monnaie et la marchandise, le rapport social devient un rapport fantasmagorique entre choses. Il y a une analogie, sur le plan idéologique, entre la religion et ses paraboles et la fétichisation de la marchandise, en tant que produit du cerveau et du discours (ou du discours dans le cerveau) - comme la sensation coupée du réel chez les philosophes idéalistes. Les produits du fétichisme mènent une vie autonome. Le temps de travail est converti en marchandise puis en argent. La marchandise est le signifiant apparent et le travail le signifié disparu. L'illusion est ici au service de la prédation. C'est un piège. Dans la conversion de la valeur d'usage en valeur d'échange, une partie seulement revient au travailleur et l'autre au propriétaire, grâce à la plus value issue du surtravail. Le surtravail se transforme discrètement en rente.

La production discursive réelle se mêle à l'activité matérielle. C'est le langage de la vie réelle. A côté, nous trouvons des productions politiques, juridique, morales, religieuses. Il faut partir de la vie réelle puis du discours de la vie réelle et se méfier du discours sur la vie réelle. Le reflet idéologique est un échos du processus vital renversé, comme dans une chambre obscure, comme le discours sur "la magie de l'usine" développé par la ministre du travail Agnès Pannier-Runacher (5). C'est l'histoire, le développement de la vie, qui détermine d'abord le discours et qui devient ensuite idéologique en s'autonomisant (fantasme et sublimation). Par exemple, la propagande de guerre dissimule les intérêts et l'histoire. Elle diabolise l'adversaire, moralise les enjeux, monopolise le débat. Cette idéologie parfois retourne hanter le discours ordinaire en faussant la perception des agents. Les mythes pseudo-scientifiques ou les néologismes manageriaux sont des ready-made intellectuels, des philosophies inconscientes, du prêt à penser. Ils habillent à la nouvelle mode de vieilles pratiques. Par exemple, les euphémismes "pépinières d'entreprise" ou "incubateurs de talents" dénotent en réalité des bureaux relativement bons marchés. L'idéologie se déploie dans l'art, la pub, l'actualité etc. ainsi d'ailleurs que sa critique convenue chez les artistes, les comiques, les sociologues, les philosophes etc. Une idéologie n'est légitime et durable que si elle ménage un espace de contestation, une soupape qui donne l'impression de pouvoir choisir. L'irrévérence est l'auto-confirmation de l'infériorité de celui qui la pratique. Tout roi a droit à sa caricature et ne s'en trouve pas tout à fait menacé. 

Il y a une compétition des idéologies pour s'emparer des masses. Les objectifs de cet emprise mentale varient. S'agit-il d'exploiter les travailleurs ou de les aider à se libérer ? L'idéologie aristocratique repose sur la naissance - s'il y a asservissement, c'est en vertu d'une loi naturelle et divine. L'idéologie libérale repose sur la liberté - s'il y a aliénation et inégalité, c'est la faute du sujet qui n'a pas voulu faire les efforts suffisants. L'idéologie socialiste repose sur l'égalité - elle mise à terme sur la révolution et l'abolition des classes. La responsabilité du sujet n'est pas de s'efforcer à être un bon esclave mais à changer la société.



L'histoire économique


L'histoire-récit progressiste n'a pas le même but que l'histoire-récit conservatrice. Elle ne vise pas la personnification. Elle est une histoire mondiale des hommes autour des choses, du sucre, du café, des machines. C'est l'histoire des modes de production et des moyens de circulation (machine, argent), avant d'être celle du discours justifiant l'exploitation sur laquelle est basé le mode de production existant. Par exemple, la métaphore organique de la tête et des bras justifie le rapport maître/esclaves (que l'on pourrait d'ailleurs très bien renverser : les têtes du conseil ouvrier et le bras du corps social). Une classe, majoritaire, supporte les charges sans jouir des avantages. La prise de conscience de ce clivage entre la classe qui jouit des avantages et celle qui subit les inconvénients est l'objet du discours socialiste. Ce discours-récit repose sur l'histoire économique réelle. L'idéologie masque au contraire cet état de fait ou encore le justifie au lieu de le condamner. C'est pourquoi, il faut expliquer, à partir des fondements historiques et économiques de la société civile, les discours théoriques produits par la religion, la morale, la philosophie et en dégager l'élément progressiste.

Le processus du développement réel est perçu empiriquement par les agents. C'est celui de l'activité vitale observable ou accessible à travers les témoignages. Il ne s'agit pas de la collecte empiriste par un observateur extérieur de faits sans vie ou d'activités verbales sans réalité. Si l'attention au terrain n'est pas fine, cela aboutit à des phrases creuses, des idées vides parfois habillées par des néologismes sophistiqués. Il faut s'attacher à l'histoire réelle, la sonder, l'explorer. On ne peut se contenter d'abstractions classifiantes en surface - bien qu'il soit utile de définir des concepts pour classer les matériaux et construire des outils de réflexion, comme c'est le cas ici. L'émancipation doit avoir lieu par des moyens réels et suppose la connaissance du réel. Il faut comprendre le monde, et non sa caricature, pour pouvoir le transformer. Cela ne signifie pas pour autant l'élimination de toute abstraction. Mais elle doit être au service du concret tel qu'il peut être reconstitué et éclairé par le discours et la pensée. 

Les états de chose du monde sensible sont le produit historique de l'industrie et du commerce, de la production et des échanges et de la distribution entre les classes sociales. Les sciences naturelles sont elles-mêmes dépendantes de l'industrie et du commerce. On retrouve donc l'activité pratique des hommes derrière chaque objet. Le cerisier perçu dans le présent par le phénoménologue a été importé, planté, entretenu par le passé par un jardinier. Le contexte social et les conditions de travail sont la somme des activités vivantes. Il faut regarder la base terrestre historique. Approfondir c'est fouiller le passé, à la manière dont on lit l'histoire sur les couches terrestres (stratigraphie).

L'économie politique est la clé de la société. Dans Le Capital, le concret est la description des populations, des pays, des Etats et des ressources. L'abstrait est l'analyse des concepts de marchandise, de capital, de valeur sous forme systématique. La production et l'analyse de ces concepts permet de passer du réel à l'abstrait. De même, le physicien réduit-il la matière à une structure d'atomes ; le linguiste à une structure de phonèmes. Puis ces concepts et leur structure sont mis en oeuvre pour analyser la réalité à travers des combinaisons, des reconstitutions que Marx appelle des concrets de pensée. Il s'agit de reproduire, reconstituer, simuler, le réel par le discours. On aboutit à un mécanisme de concepts, à une modélisation des faits stylisés. Au contraire, une parodie de science utilise les concepts sans attaches, dans le vague, dans le vide, ou bien collectionne des faits à l'aveugle, sans en déterminer la logique. Pour transformer le monde, la philosophie doit l'interpréter correctement et non le justifier. Il faut expliquer les idées par la pratique matérielle qui les accompagne et se méfier des sornettes idéalistes. La transformation du monde n'est pas réductible à l'élimination des représentations, à la modifications des discours. L'histoire des faits est plus cruciale que celle des représentations et des discours. La chose n'est pas le mot. Sans histoire des faits, on ne peut faire celle des représentations.



Conclusion 

Il ne se parle pas qu'une seule langue mais bien une grande diversité en tension. Ce sont autant de schèmes sensori-moteurs divisant la société. Ces divisions suscitent plaisir et peine, acceptation et rejet. Mais les langues peuvent aussi se transformer et avec elle les frontières se déplacer. Pour cela, il faut revenir à la langue fondamentale de l'économie où commencent les clivages, en s'appuyant sur l'histoire concrète des divisions. Cela indique la direction à poursuivre pour une réconciliation et un rééquilibrage de la société. C'est en cela que nous avons opposé dans le titre "rhétorique" et "économie". L'économie est ce qui tend à réduire la diversité rhétorique à l'unité logique et axiologique. 

Ceci étant dit, il ne s'agit que d'un principe et bien des écueils guettent son application. Réalité économique, vérité et justice se présentent comme des absolus. Ce sont avant tout des orientations qui ne pourront certainement pas effacer totalement l'idéologie, l'erreur et le mensonge. Tout au plus serviront-ils à les combattre. Ces orientations peuvent être approchées de différentes manières. L'une d'entre elle consiste à se placer sur le terrain de la lutte physique, par les grèves de masse, les insurrections révolutionnaires, la guerre civile ou anti-impérialiste. C'est la réponse que le marxisme apporte à l'analyse concrète de l'exploitation. Une autre approche, plus réformiste, valorisera l'éthique de la discussion dans un cadre diplomatique. C'est la solution sociale-démocrate et républicaine que nous retrouvons chez Habermas. Enfin l'approche déconstructive consistera à inventer des contre-pouvoirs, à faire évoluer les normes à travers la transformation des formes expressives, à réviser les modèles, les canons et les stéréotypes pour faire surgir ou laisser arriver l'inédit, l'inattendu. Chacune de ces approches représente une conception particulière de la démocratie et présente ses failles comme ses qualités. Il suffit pour s'en apercevoir d'évoquer les polémiques qui ont pu opposer par exemple Habermas, Derrida et certains marxistes. Le premier est jugé trop idéaliste, le second trop littéraire, les derniers trop utopiques. Ce n'est pas le moment ici de chercher à trancher. Il se peut même que différentes méthodes puissent se compléter selon les circonstances. Ce qui est certain c'est que Derrida, comme Habermas, comme Marx (et ils ne sont pas les seuls) ont fourni d'importants outils d'émancipation par rapport aux formes d'aliénations propres à l'époque industrielle (6).



Notes


(1) Si l'économie désigne aujourd'hui les échanges monétaires internationaux comme nationaux, le terme signifie étymologiquement quelque chose comme règlement  (nomos) domestique (oïkos). Le principe reste au fond le même. Il consiste à administrer la production (force de production) entre différents producteurs (rapport de production) dans un domaine. En ce sens, l'économie se rapporte au réel, au matériel, au concret. 


(2) Nous pouvons projeter cette diversité des expressions sur un axe entre deux pôles, qui va de l'obscurité des masses anonymes à la lumière des élites. Paradoxalement, la masse invisible est ce qui est le plus réel, alors que ceux qui se produisent sous les projecteurs sont des personnages idéalisés. Plaçons, par exemple, à l'extrémité d'un côté le patron d'Amazon, et de l'autre un travailleur sans papier, à la recherche d'un employeur sur le parking d'un magasin de bricolage. Les étages intermédiaires entre les deux classes opposées sont nombreux. A mi-parcours, se trouvent les personnes tiraillées entre le clair et l'obscur et en concurrence pour se hisser vers la lumière des élites.


(3) Le capital économique désigne une somme de valeurs avancées pour s'accroitre. Il prend différentes formes. Ces formes du capital économique sont, selon Le Capital, l'argent, les marchandises et le capital productif. Le capital productif, selon la terminologie de Marx, contient d'abord le capital "constant fixe" des machines et des bâtiments ; puis le capital "constant circulant" des énergies et matières ; et enfin le capital "variable" des travailleurs. Tout cela est la composition organique du capital productif. 

Dans le livre I, Marx distingue, d'une part, le circuit non capitaliste : 1° production de Marchandise, 2° échange contre de l'Argent (vente), puis 3° échange de cet Argent contre de la Marchandise (achat) en vue de l'usage. Il décrit, d'autre part, le circuit capitaliste : 1° échange d'Argent contre une Marchandise (achat), 2° Production par les travailleurs exploités d'une nouvelle Marchandise, puis 3° échange contre plus d'Argent (vente), en vue du profit.

Le Capital de Marx se compose de trois livres principaux. Le livre I du Capital traite de la valorisation et de l'accumulation du Capital (comptabilité d'entreprise). Le livre II de la reproduction et de la circulation du Capital (comptabilité nationale) et le livres III du processus général, en distinguant les capitaux fonciers, techniques et bancaires.

(4) Cette critique de l'idéalisme n'est pas inédite dans la philosophie. On la retrouve sous diverse formes, par exemple dans l'opposition d'Aristote à Platon, de Locke à Descartes, de Marx ou Nietzsche à Hegel, de Wittgenstein à Russel, de Derrida à Husserl. Cette critique est le produit de l'attitude sceptique exercée contre l'idée. Mais le scepticisme peut s'exercer inversement contre la matière, chez Descartes, Berkeley, Hume et Kant par exemple, et dans ce cas oeuvrer en faveur de l'idéalisme. Lorsque le scepticisme s'exerce à la fois contre l'idée et la matière, on obtient le nominalisme, qui est ce qui demeure lorsque le signifiant seul survit au sens et à la référence.


(5) Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée chargée de l'Industrie, lors de l'événement BIG 2021, à Paris consacré au business de l'industrie, conclut son intervention par : " Vous allez donner aux jeunes la fierté de travailler dans l'entreprise. La fierté de travailler dans l'usine pour qu'on dise que lorsque tu vas sur une ligne de production, c'est pas une punition. C'est pour ton pays, c'est pour la magie. Et c'est ça que vous pouvez-rendre possible".


(6) Il y a un écart chronologique important entre Marx d'un côté et Habermas et Derrida de l'autre. Au XIXe, alors que le capitalisme était en pleine expansion, la pensée de Marx a permis d'introduire durablement l'économie et l'histoire dans la philosophie avec le matérialisme dialectique. Lorsque Habermas et Derrida étaient de jeunes philosophes durant les années soixante, le capitalisme a entamé sa révolution cybernétique et la philosophie s'est concentrée sur la question du langage. Habermas a permis de distinguer le concept de raison communicationnelle par opposition à celui de raison instrumentale (concepts qui recoupent ceux de rapport de production et de force de production chez Marx), afin de sauver l'aspect démocratique du rationalisme par rapport à sa dimension technocratique. Quant à Derrida, il a enrichi l'analyse du lien entre matérialisme et idéologie d'une réflexion sur l'écriture, en déconstruisant les effets de vérités qu'elle produit sur la pensée et la société, et en désamorçant les conceptions trop rigides de vérité et de justice pour prévenir leur retournement en mensonge et injustice. 


Raphaël Edelman, Nantes Juillet 2022


Crédit photo : L'enfant sauvage de François Truffaut (1970)
























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