samedi 14 mars 2009

LIEUX D'ENFERMEMENT ET ESPACES D'EXCLUSION



Des milliers de personnes meurent chaque année en raison de la politique européenne de fermeture des frontières. Le phénomène ne se limite pas au continent européen. Dans les camps, les bidonvilles, les squats des millions de personnes survivent dans la misère et sont exclues du système de partage des richesses. Comment ces espaces d’exclusions naissent-ils ? Quel est leur rapport avec les lieux d’enfermement ? Comment lutter contre ?


Dans Surveiller et punir, M. Foucault nous livre une analyse précieuse des lieux d’enfermement et de la logique historique qui a conduit à la gestion autoritaire de l’espace que nous connaissons aujourd’hui. Le processus de mise au pas, de discipline et d’arraisonnement des corps et des peuples que décrit Foucault est contemporain du développement du capitalisme. Celui-ci repose sur le processus d’appropriation des terres, d’enclosure, d’exclusion des paysan.es et leur transformation en prolétariat. Exclu.es de leur espace de vie agricole, il.les se sont retrouvé.es enfermé.es dans des caserne-usines. Quant aux exclu.es du système capitaliste, que l’usine n’a pas absorbé.es, il.les rempliront les prisons. 

Ainsi se complètent les deux logiques d’exclusions et d’enfermement. Les exilé.es chassé.es de leurs lieux de vie par la guerre et la misère et refoulé.es par les autres pays se retrouvent séquestré.es dans des camps ou des centres « humanitaires » quand il.les ne sont pas tout simplement à la rue. L’origine commune des lieux d’enfermement et des espaces d’exclusion sont le vol et l’exploitation capitaliste.

Dans un sens, à différents degrés, nous sommes tou.tes exclu.es de quelque part et enfermé.es quelque part. Les tavailleur.euses sont enfermé.es dans leur routine, dans le monde préformé des médias et exclu.es d’un certain nombre de richesses plus ou moins factices. Le sentiment de manque est le moteur de la productivité. La représentation de la misère fonctionne également comme un ressort. 

On peut considérer que plus on possède de richesse moins on est exclu ou enfermé. Le riche a ses entrées partout. Rien ne lui est refusé. Les frontières lui sont grandes ouvertes. Si jamais un groupe « minoritaire » refuse de lui serrer la main, de débattre avec lui ou de se plier aux règles électorales, s’il se sent vulnérable dans les quartiers populaires, alors il s’insurge contre le non respect des lois républicaines et démocratiques. 

L’écart est frappant entre, d’un côté, un discours de légitimation basé sur la défense de la démocratie, la république, l’unité nationale, la laïcité, le respect de la loi et, de l’autre côté, la réalité politique et sociale : prises de décisions autoritaires, ségrégation de classe, genre et race, prédominance des « souchiens » et des chrétiens, état d’urgence et d’exception. Quand malgré tout la réalité traverse les discours hypocrites, quand la misère, les massacres, les suicides et les violences produits par notre société refont surface, la diabolisation œuvre à convertir l’empathie en haine : «après tout, ces souffrances doivent être méritées, puisque nous, les honnêtes gens, échappons à ce sort tragique ». 

Dans les sociétés traditionnelles, la mise au banc était la pire des punitions. L’enfermement est apparu avec les états, avec l’esclavage, la ville, sur le modèle de l’enclos et de l’élevage. Dans l’histoire récente, le panoptique de Bentham s’inspira du zoo, les usines de Ford des abattoirs. Toutefois le bannissement n’a pas été aboli, il a été renommé « exclusion ». Que l’on soit enfermé dans un camp ou mis à la porte de chez soi et interdit de séjour dans les banques et les commerces, c’est à peu près équivalent, ou ça le devient de plus en plus. 

Une autre manière encore d’exclure, c’est de détruire l’environnement. La pollution des sites, le bombardement des villes, la destruction des commerces, le gazage des bidonvilles, le harcèlement policier sont autant de techniques de pourrissement du milieu. 


La dépendance structurelle des espaces d’exclusion et des lieux d’enfermement nous invite à les déconstruire simultanément. La lutte contre l’incarcération suppose la défense d’espaces décents. Défendre Calais c’est lutter contre les procédures de rétentions, de sélection et d’expulsion des exilé.es. Défendre la ZAD c’est défendre des lieux d’autonomie qui échappent à la précarisation liée au développement capitaliste. Le gouvernement souhaite construire de nouvelles prisons pour pallier à la surpopulation carcérale. Nul doute qu’elles seront rapidement saturées à leur tour tant que l’on continuera à détruire les conditions d’une vie décente. Lutter contre les murs c’est donc reconquérir les espaces colonisés par le commerce et la police. Ne nous laissons pas enfermer dans nos appartements, descendons dans les rues, bâtissons des lieux de résistance et défendons les.


Photo : Tribune de Genève, Camp de réfugiés, Bosnie, 2019

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