vendredi 13 mars 2009

Une lecture de Léon Trotsky, Programme de transition, 1938 (1)

 


Introduction

    En Octobre 1917, Trotsky fut l'un des principaux acteurs de la révolution bolchévique en Russie. Il a fait partie de ces socialistes (comme Jean Jaurès en France et comme Rosa Luxenbourg en Allemagne) qui ont refusé de soutenir la guerre de 1914-1918 qui fit environ 19 millions de morts. Une fois le gouvernement capitaliste renversé, les socialistes russes, dont Trotsky, proposèrent l’arrêt de la guerre à tous les pays et signèrent l’arrêt des combats avec l’Allemagne en 1918. Voulant éviter que la révolution socialiste s’étende à d’autres pays, les gouvernements capitalistes allemands, français, anglais, tchèques, turcs, grecs, roumains, etc. lancèrent leurs armées pour écraser la révolution. Trotsky fonda l’Armée Rouge pour défendre militairement, avec succès, la révolution. Il dirigea l'URSS plusieurs années au côté de Lénine avant d'être, avec d'autres opposants communistes à Staline et au stalinisme, réprimé et pourchassé. Il a, avec ses camarades, dans les partis communistes puis à l’extérieur des partis communistes et de la IIIème internationale lorsque cela n’était plus possible, combattu la contre révolution stalinienne, que ce soit à propos de la situation en URSS ou dans les autres pays, sur place puis à distance lorsqu’il a été exilé d’URSS. Il fut assassiné en 1940 au Mexique sur ordre de Staline. 

Le programme, dont sont restituées ici les grandes lignes, fut rédigé par Trotsky en 1938, un an avant la IIe guerre mondiale, et adopté par la conférence de fondation de la IVème Internationale. Il est le résultat du travail collectif qui s'était développé à travers divers articles et motions. Ce programme s'inscrit dans la continuité des écrits de Lénine, tout en prenant une orientation divergente de celle de Staline. Face à la dégénérescence des partis communistes et de la IIIème Internationale, ce texte décrit la situation internationale en 1938, et trace les objectifs généraux à atteindre pour les militants communistes et les travailleurs en général. On retrouve les idées de la nécessité d'un parti structuré autour d'une avant-garde pour assurer la victoire de la révolution ; l'activité critique intraitable à l'égard des autres courants du mouvement ouvrier, en partant du principe que la victoire du prolétariat requiert une ligne idéologique claire ; la recherche d'un équilibre dialectique entre des positions extrêmes, comme l'opportunisme et le sectarisme ou le pacifisme et le bellicisme ; la recherche d'un programme qui ne consiste pas en un aménagement réformiste du capitalisme mais en un tremplin vers son renversement. Ce programme est bien sûr lié à la conjoncture de l'époque - Trotsky est un fin observateur de l'entre deux guerre. La synthèse ci-dessous des chapitres du programme prolonge l'étude des propositions stratégiques révolutionnaires entamée avec mes précédents textes "Anarchisme et Stratégie" et "La pensée politique de Lénine".


1. Le prolétariat et sa direction

Trotsky décrit en 1938 dans ce manifeste, sous-titré "l'agonie du capitalisme et les tâches de la IVe internationale", une situation de crise du capitalisme assez comparable à celle d'aujourd'hui. Les progrès industriels n'entrainement plus de véritable accroissement de richesse et la crise sociale s'accentue. L'économie, malgré le New Deal aux Etats-unis et le Front populaire en France, semble être dans une impasse et les tensions entre les pays augmentent. Divers conflits, en Abyssinie, en Espagne, en Extrême-Orient et en Europe Centrale annoncent "un incendie mondial". Ce contexte présente toutefois les conditions favorables à une révolution socialiste. Mais aucune direction révolutionnaire n'est prête à la conduire. Il y a une crise de la direction politique du prolétariat. Les partis communistes sont passés dans le camp de la contre révolution, avec notamment la trahison par les staliniens des situations révolutionnaires en 1929 en Chine ou en 1936 en Espagne et en France. Le nombre de militants communistes restant révolutionnaires a diminué, alors que les conditions historiques étaient mûres pour une révolution.


2. L'opportunisme des organisations

La démocratie bourgeoise est basée sur l'opportunisme, c'est-à-dire l'absence de principes clairs, dans les paroles et les actes, et le manque de courage. L'opportunisme se retrouve aussi bien, selon Trotsky, chez les conservateurs, les sociaux-démocrates, les staliniens, les anarchistes, les militants du Parti Ouvrier d'Unification Marxiste espagnol que dans la coalition du Front populaire. L’opportunisme des différents courants « réformistes » du mouvement ouvrier a freiné les grèves de 1936 et permis une conciliation avec la bourgeoisie. Les élans du prolétariat de 1936 furent bloqués par la bureaucratie et le réformisme des organisations. En trahissant le prolétariat, le Front populaire a accompagné le pourrissement du capitalisme et a contribué au développement du fascisme. L'endiguement de la contestation a donc préparé le fascisme, alors que les masses dirigées par la IVe internationale pourraient abattre le capitalisme.


3. Le programme de transition

Les conditions pour une révolution sont réunies. Mais il manque pour le prolétariat de la maturité et une avant-garde expérimentée et politiquement instruite. Les revendications transitoires du programme permettent le passage entre la maturité des conditions objectives de la révolution et l'immaturité du prolétariat et de son avant-garde. Pour dépasser cette contradiction, il faut bâtir un pont entre les revendications actuelles des travailleurs et le programme révolutionnaire pour un pouvoir du prolétariat. Ce pont se situe entre le programme minimum des réformes (menchévique, syndicaliste) et celui maximum de la révolution (bolchévique, révolutionnaire). Il s'agit d'une stratégie focalisée vers le renversement du capitalisme. Si Trotsky utilise les mots de « programme minimum », c’est pour revenir sur la question de la divergence avec les réformistes, qui ne situent leur combat que dans le cadre de réformes, d’aménagements de la société capitaliste, et renvoient aux calendes grecques l’éviction du pouvoir des mains de la bourgeoisie et la prise du pouvoir par le prolétariat.


4. L'inflation et le chômage

Le chômage et la cherté de la vie sont deux maux fondamentaux du capitalisme. Les revendications des travailleurs sont : le droit au travail, à une existence digne, l'échelle mobile des salaires, contre la hausse des prix, l'échelle mobile des heures de travail, contre le chômage, et la solidarité entre travailleurs et chômeurs. La répartition du travail disponible devra déterminer la durée de la semaine sans changement de salaire. Le travail devra être réparti sans perte de revenu. Si le travail manque, il est encore possible de lancer des travaux d'utilité publique. L'argument des capitalistes est que ces revendications sont irréalisables. Mais ça ne l'est que dans le cadre du capitalisme et dans l'intérêt des capitalistes. Dans ce cas, que périsse le capitalisme ! Ce n'est pas aux travailleurs de payer l'agonie du capitalisme. Ils n'ont pas à porter le fardeau de la crise et du désordre de ce système.


5. Les syndicats

Ce sont des organisations de masse. La participation bolchévique doit renforcer la combativité des grands syndicats et se détourner des petits syndicats de secteur, avec leur auto-isolement capitulard et leur limite trade-unioniste (syndicaliste). Alors que l'ultra-gauche rejette passivement le syndicalisme, il faut en réalité lutter dans le syndicat contre sa bureaucratie. Car le syndicat draine une couche supérieure du prolétariat qui se transforme aisément en ministère de la bourgeoisie. Il faut donc renouveler l'appareil syndical contre la bureaucratisation et ne pas se satisfaire des conciliations inoffensives. Cependant, un syndicat n'est pas un parti révolutionnaire. Le syndicat n'est qu'un moyen et pas une fin. Le parti lui est révolutionnaire. Les comités de grèves d'usines (et aussi aujourd'hui de bureaux dans les pays tertiarisés) et les soviets liés au parti complèteront le syndicat et entraineront les nombreux travailleurs extérieurs aux syndicats.


6. Les comités d’usine

Il faut se méfier de la routine et être attentif aux initiatives des masses. La grève et l'occupation d'usine permettent de défier les propriétaires du capital (car il n'y a pas de bon exploiteur). L’apparition d’un comité d’usine provoque une « dualité de pouvoir », l’apparition d’un pouvoir prolétarien face à celui des bourgeois. L'organisation de comités d’usine, par les élections des ouvriers et des employés, permet de faire contrepoids à la direction ainsi qu'à la bureaucratie syndicale. Le comité d’usine mobilise de nouvelles couches autres que celles déjà au syndicat grâce aux couches les plus exploitées. 


7. Le « secret commercial » et le contrôle ouvrier sur l’industrie 

La régulation timide de l'économie, avec Roosevelt et Blum, sera toujours sabotée par le grand capital, c'est-à-dire quelques centaines de familles. Or notre niveau de vie ne doit pas s'adapter aux intérêts du capitaliste. C'est aux travailleurs de prendre le contrôle de l'ensemble. Le secret commercial empêche le contrôle ouvrier et la direction planifiée. Ce secret commercial, faussement justifié par la concurrence, participe d'un complot contre la société. La propriété privée cache en fait des mécanismes d'exploitation, de pillage et de fraude. Il faut donc un observatoire des banques, des industries, des transports et connaître tous les revenus et toutes les dépenses. Le gaspillage et le vol doivent être révélés au grand jour. Les comités d'usine peuvent le faire par l'intermédiaire des fonctionnaires d'Etat. Ces comités d'usine pourront être conseillés par des spécialistes (qui ne seront pas des technocrates). Les comités devront élire d'autres comités encore plus larges au niveau des trusts, des branches, des régions et des pays. L'appropriation sociale évitera le gaspillage et l'anarchie de la course au profit. De grands travaux d'utilité publique mettront fin au chômage, répondront à l'intérêt ouvrier et s'inscriront dans un plan.


8. L'expropriation de certains groupes capitalistes

Certaines grandes branches, les grandes familles, l'industrie de la guerre, les transports et la matière première devront être expropriés. L'expropriation se fera par stades. L'expropriation par branches précédera l'expropriation complète. Il n'y aura pas de rachats et de compromis, comme avec le Front populaire. Plutôt que la nationalisation, les ouvriers et les paysans prendront le pouvoir, par la force révolutionnaire. Si l’abolition du secret commercial est la condition nécessaire du contrôle ouvrier, ce contrôle est le premier pas dans la direction socialiste de l’économie.


9. L'expropriation des banques privées et l’étatisation du système de crédit

Elle permettra de former une banque nationale unique sous le pouvoir ouvrier assurant la planification de crédits bons marchés dans l'intérêt des travailleurs. Les petits dépôts bancaires ne seront pas expropriés mais la banque fournira des conditions de crédits plus favorables. Un système d'investissements et de crédits rationnel suppose la concentration du système entre les mains de l'Etat ouvrier. Alors que l'impérialisme signifie la domination du capital financier, combinant monopoles et anarchie, l'étatisation bancaire n'aura d'effet positif que si c'est un Etat dirigé par les travailleurs.


10. Les piquets de grève, les groupes de défense, la milice ouvrière et l’armement du prolétariat

Les grèves avec occupation des masses s'opposent à la bourgeoisie et aux organisations ouvrières (bureaucratiques). Ces convulsions vers la révolution doivent être accompagnées par les sections de la IVe internationale. L'agitation et l'organisation constantes doivent sortir les masses de la soumission et leur donner confiance en elles-mêmes. Comme l'exacerbation des luttes entraine celle des contre-attaques, il faut s'y préparer. La bourgeoisie ne se contente pas de la police officielle et de l’armée. Elle peut suivant les situations se servir de jaunes, de bandes de fascistes ou de nazis. Les ouvriers ne doivent pas être désarmés et doivent être nombreux. L'armement du prolétariat est indispensable, puisqu'en face l'Etat est  déjà "une bande d'hommes armés" (Engels). Les détachements ouvriers d'autodéfense naitront des piquets de grève, avec des organisations de jeunes entrainés. La milice ouvrière, dans la grève avec occupation, protègera de la rétorsion fasciste. Les ouvriers armés seront capables d'autodéfense. Les milices ouvrières doivent être structurées par quartiers, par villes et par régions.


11. L'alliance des ouvriers et des paysans

Le prolétariat ouvrier et le prolétariat agricole sont frères d'armes. Le paysan fermier propriétaire appartient par contre à l'autre classe. Il faut faire entrer la lutte des classes au village. Le gouvernement devra être un gouvernement d'ouvriers et de paysans prolétaires. Les banques, les négociants et les trusts pèsent sur les paysans, les commerçants et les artisans et pillent le pays. Or le contrôle ouvrier doit se substituer à leur monopole. Mieux vaut dépendre de l'Etat ouvrier que du capital privé. Il faut des syndicats et des comités d'employés de banques, de paysans et d'ouvriers unis. Le pacte entre le prolétariat et les classes moyennes doit être consenti et articulé au programme de revendications de transition. La bourgeoisie divise les travailleurs sur la question du prix des marchandises et se lamente à propos des frais qu'elle doit dépenser. Mais des comités de surveillances des prix devront demander des comptes exacts et montrer que ce sont bien les profits et non pas les salaires qui élèvent les prix. Il ne faut pas seulement des augmentations de salaires mais une politique des prix et des comités de surveillance des prix. De plus, la nationalisation et la collectivisation ne doivent pas se réduire à l'expropriation et la collectivisation forcées stalinienne des petits paysans, artisans et commerçants. Le contrôle n'est pas la collectivisation aveugle. L'accord doit être libre et non contraint avec les collaborateurs de l'Etat qui contrôleront l'économie pour décider eux-mêmes ce qui doit ou non être collectivisé.


12. La lutte contre l’impérialisme et la guerre

La IIe guerre mondiale approche. La guerre est la continuation de la politique de pillage de la bourgeoisie. C'est une entreprise commerciale. La lutte contre la guerre est donc la continuation de la lutte des classes. La lutte des classes est prioritaire et les ennemis sont aussi dans le pays. Il faut défendre le prolétariat et non la patrie. Avant de répandre le sang dans la guerre, le capitalisme émet les vapeurs empoisonnées du nationalisme et du racisme. Il faut combattre les préjugés : prolétaires de tous les pays unissez-vous ! Le poison de la haine nationale et raciale doit être détruit. La même trahison qu'en 1914 se reproduit avec le chauvinisme des staliniens. Le réformisme démocratique n'empêche pas la guerre impérialiste. Les formules abstraites cachent en réalité des intrigues contre le peuple. Il faut une guerre d'émancipation anti-impérialiste. Les ouvriers ne pourront pas aider ceux des autres pays par l'intermédiaire de leur gouvernement bourgeois mais par leurs propres méthodes (agitation, grève, boycott). L'Etat ouvrier doit mener une guerre juste et progressiste. Le contrôle ouvrier doit s'exercer. Il faut un programme de travaux d'utilité publique à la place de celui de la course à l'armement. Il faut désarmer la bourgeoisie et soutenir la révolution. La confiscation et l'expropriation des entreprises est préférable à l'impôt sur les bénéfices de guerre qui est une mesure réformiste. Il faut abolir la diplomatie secrète, instruire des militaires ouvriers et organiser une milice populaire. L'instruction militaire des ouvriers est nécessaire pour former une milice populaire en lien avec les usines. Il faut des mots d'ordre et des revendications transitoires comme l'armement des ouvriers et le désarmement de la bourgeoisie. Toute revendication éveillant les masses est bonne : référendum, droit de vote, etc. Une mobilisation révolutionnaire de la jeunesse contre la guerre doit avoir lieu. La IVe internationale doit lutter contre l'impérialisme en s'appuyant sur les masses. La section de la IVe internationale sera isolée au début mais de moins en moins quand les masses auront trop souffert. Il n'y a aucune neutralité à avoir vis-à-vis de l'impérialisme. Le pacifisme ou le patriotisme des bourgeois et des prolétaires n'ont pas le même sens : ils servent à l'un à opprimer, et à l'autre à se défendre. Les pays coloniaux et opprimés ou encore les Etats ouvriers sont différents des pays impérialistes oppresseurs. 


13. Le pouvoir révolutionnaire

La vieille direction du prolétariat conservatrice est en contradiction avec la décomposition du capitalisme. Il faut un gouvernement ouvrier et paysan, une dictature du prolétariat (dans l'antiquité, la "dictature" est un gouvernement provisoire en période de crise) et non une démocratie bourgeoise (comprenant les socialistes révolutionnaires, les sociaux-démocrates, les staliniens et les anarchistes qui représentent les intérêts d’autres couches sociales que celles des prolétaires les plus exploités). Il faut donc rompre avec tous les partis traditionnels, accentuer le caractère de classe, diffuser des mots d'ordres pour le pouvoir des masses, détruire l'illusion réformiste et pacifiste et renforcer les liens entre l'avant-garde (c'est-à-dire le prolétariat instruit et expérimenté) et les masses (potentiellement confuses d'un point de vue idéologique). On doit préparer la prise de pouvoir révolutionnaire pour véritablement prendre ce pouvoir.


14. Les soviets (conseils)

La crise sociale fait souffrir mais en même temps elle rend plus offensive les couches opprimées. Le comité d'usine propose une alternative au pouvoir existant et permet aux masses de faire pression, de lutter contre la guerre, de surveiller les prix et de déborder les organisations traditionnelles ainsi que les revendications transitoires. Le soviet harmonise les luttes en réunissant les représentants des différents groupes. Il ouvre la porte aux exploités et manifeste la dualité du pouvoir dans le pays entre les prolétaires et les bourgeois. Le comité d’usine des travailleurs double le pouvoir patronal de l'usine et le soviet double le pouvoir étatique du pays. L'affrontement entre le pouvoir bourgeois et prolétaire aboutira soit à la dictature du prolétariat soit à la dictature fasciste. 


15. Les pays coloniaux

Les pays coloniaux sont dominés par l'impérialisme. On y trouve une combinaison de société "primitive" (féodale?) et de technologie. La révolution agraire et la lutte d'indépendance nationale contre l'impérialisme doivent être simultanées. Les pays coloniaux combinent les luttes d'indépendances nationales de la démocratie bourgeoise et la lutte socialiste contre l'impérialisme. Il ne faut pas rejeter mais dépasser le programme démocratique, avec son assemblée nationale et constituante. Puis devra surgir le soviet qui renversera la démocratie bourgeoise. L'état ouvrier et le soviet sont la finalité, pas la démocratie bourgeoise. Le komintern (IIIème Internationale dans les mains de Staline) a empêché cette évolution en Chine car il souhaitait maintenir la démocratie bourgeoise. Il a trahi la révolution prolétarienne. Le komintern ruine la révolution et trahit les peuples coloniaux, comme le fit la IIe internationale en 1914. Le Front populaire est de nature coloniale. Il transforme les colonisés en chair à canon impérialiste. Il veut la démocratie bourgeoise, au contraire de la IVe internationale.


16. Le fascisme

C'est un instrument du capital financier. L'idéologie fasciste (le délire charlatanesque de la race et du sang) est inconsistante en soi mais son succès vient de la défaite morale et du manque d'enthousiasme des couches avancées du prolétariat (mais aussi devrait-on ajouter du soutien de la bourgeoisie hostile au mouvement ouvrier). L'idéologie fasciste n'est pas la cause des défaites révolutionnaires : c'est la faillite morale des sociaux-démocrates et des staliniens qui est responsable. Le prolétariat a été battu à cause de la trahison de ses partis. La IIe et la IIIe internationale ne sont plus des partis révolutionnaires. La politique criminelle des sociaux-démocrates et du komintern sont en cause. Il n'y a pas eu l'enthousiasme et la conscience des couches avancées ni d'anti-fascisme véritable. La démoralisation fut orchestrée par radio Moscou. Staline s'est fait l'auxiliaire de Goebbles. Toutefois l'énergie sous-jacente peut toujours devenir un mouvement si elle est canalisée par une avant-garde éclairée par l'expérience. Il faut d'abord un travail préparatoire de propagande et dénoncer le Front populaire et sa coalition avec la bourgeoisie libérale. Il faut un travail préparatoire pour créer un mouvement de masse au lieu de la coalition bourgeoise démocratique du Front populaire. La démocratie bourgeoise et parlementaire n'est qu'un épisode de l'émancipation des prolétaires. La IVe internationale doit aller plus loin. Les comités, les syndicats et les soviets dépasseront l'assemblée constituante. Les formules démocratiques (liberté de la presse et d'association) sont transitoires et ne doivent pas devenir un noeud autour du cou du prolétariat.


17. L'URSS

C'est un Etat ouvrier du fait de l'étatisation des moyens de production (et non un capitalisme d'état qui viserait le profit). Cette étatisation permet la croissance des forces productives. Mais c'est un Etat ouvrier dégénéré. Le socialisme dans un seul pays et l'isolement a entraîné la dégénérescence bureaucratique et saboté l'économie. L'URSS a donc connu une hausse de sa force productive en même temps qu'une dégénérescence bureaucratique. Il sera l'organe de la bourgeoisie s'il n'y a pas d'écrasement ouvrier de la bureaucratie. Les éléments fascistes et contre-révolutionnaires ouvrent la voie au capitalisme. La bureaucratie prépare ainsi la restauration capitaliste. La bureaucratie encourage l'accumulation privée et une oligarchie thermidorienne. Le découragement des masses fait la force de la bureaucratie ainsi que du fascisme. Le renversement de la bureaucratie serait nécessaire pour éviter une restauration capitaliste. Il existe une sourde révolte en face de la droitisation et fascisation du régime. Les procès de Moscou et le processus d'extermination des opposants prouvent d'une certaine façon la vitalité persistante de la révolution et l'existence d'une masse révolutionnaire animée de haine envers la bureaucratie. La lutte propagandiste contre l'inégalité, l'oppression et pour la démocratie (presse, syndicat, comité, réunion) doit être menée en attendant un événement déclencheur extérieur. C'est une lutte pour l'égalité des rémunérations, la liberté de la presse, de réunion, des syndicats, des comités, pour une démocratie soviétique non bureaucratique et contre la nouvelle aristocratie. Il faudra une légalisation des partis, une révision du plan, le contrôle de la production par des comités d'usine et la coopération. La diplomatie sera transparente, internationaliste et sans procès secrets. La consommation et la production, les prix et la qualité devront être contrôlés par le peuple. Il faut une réorganisation démocratique des kolkhozes. Les comités d'usine et les coopératives de consommation devront contrôler la planification.


18. L'opportunisme et le révisionnisme

Ils désignent l'absence de principe et sévissent chez les réformistes des IIe et IIIe internationales et les anarcho-syndicalistes. Le révisionnisme relève en fait du conservatisme et du charlatanisme. Il utilise des mots nouveaux pour de vieilles recettes, alors qu'il faudrait simplement dire la vérité et appeler les choses par leur nom. Son apparent rejet du passé rejette en fait l'apprentissage à partir du passé. Le révisionnisme maintient la survivance bureaucrate. Les révolutionnaires ne sont pas responsables des erreurs et crimes des révisionnistes (exploitation, répression, guerre, colonialisme). L'opportunisme est antimarxiste et antibolchévique. Seule la IVe internationale reste réellement marxiste, bolchévique et contre l'exploitation. Elle défend la volonté des masses contre la démagogie. Elle soutient la lutte et non la docilité de la démocratie bourgeoise. Il n'est pas réellement question de révolution pour les sociaux démocrates, les anarcho-syndicalistes, le komintern et le Parti Ouvrier d'Unification Marxiste espagnol. Les opportunistes sont contre la lutte des classes et pour une éthique à dose homéopathique. 


19. Le sectarisme

Le sectaire refuse toute revendication partielle et transitoire et nie les besoins ouvriers. Il se détourne du syndicalisme et des masses organisées. Il n'a pas d'accès aux masses et les méprise. La démocratie est assimilée par lui au fascisme. Il aime les simplifications et la neutralité. L'URSS est considérée par lui comme un pays bourgeois. Il partage son antimarxisme avec les opportunistes. Il vit en état d'irritation perpétuelle. Ses prétentions sont sans succès. Il fait du surplace avec des idées creuses et des commentaires mais ne lance aucune action. Il patauge dans les intrigues et développe le despotisme en interne. Plutôt que d'emprunter le chemin vers les masses, il participe à des clubs de discussion et non à l'action révolutionnaire. Il vit dans les salles de lecture et tente de s'autoconvaincre. Il est indifférent aux luttes qui naissent dans le réformisme. Il reste dans la simplification, l'indifférence, la neutralité. Il faut abandonner le sectarisme à son destin sauf quand ils se trouvent dans nos rangs. Il en faut épurer le parti car les poids mort ne mènent pas aux masses.


20. Place à la jeunesse ! Place aux femmes travailleuses ! 

Pour ceux, venant du komintern et de l'anarcho-syndicalisme, qui n'auront pas quitté la bataille et qui rejoindront la IVe  internationale, une longue période probatoire sera nécessaire, sans aucune responsabilité les trois premières années, pour éviter le bureaucratisme et le carriérisme. Ils devront apprendre à vivre "pour" le mouvement et non "du" mouvement. Afin de remplacer une génération usée par le combat, l'ouverture à la jeunesse est nécessaire, une jeunesse libérée des responsabilités du passé, avec un enthousiasme offensif, qui aura confiance dans sa force et dans l'avenir. Les femmes et les jeunes sont des sources inépuisables de dévouement, d’abnégation et de sacrifice.


21. La IVe internationale

Il y a donc une crise de la direction prolétarienne. La IIe et IIIe internationales sont mortes. La IVe internationale nait de la défaite et de la trahison de la direction du prolétariat. Elle existe de fait, il n'y a pas besoin de la proclamer, et s'est attirée la haine des staliniens, des libéraux, des fascistes et du Front populaire. Il lui faut surtout des cadres avec une forte doctrine, même si leur nombre est faible. Les sceptiques ne sont bons à rien. L'avant-garde montrera la voie de sortie de la crise, avec un programme fondé sur l'expérience internationale des luttes. Les ouvriers d'avant-garde ont besoin de ce programme, avec comme but la révolution des prolétaires contre le capitalisme. La révolution prolétarienne veut le renversement du capitalisme et l'avénement du socialisme. Un centralisme démocratique est nécessaire : d'abord l'éducation révolutionnaire et la liberté de discussion avant la prise de décision ; ensuite, la discipline et l'unité dans l'action. Le centralisme démocratique allie donc démocratie et rigueur (autrement dit auto-organisation et planification).


Conclusion

Récapitulons les idées principales. 1. Trotsky défend la thèse selon laquelle ce qui empêche le renversement du capitalisme c'est avant tout l'absence d'un parti révolutionnaire sérieux. 2. Tous les courants du mouvement ouvrier ont fini par trahir le prolétariat et faciliter la tâche du capitalisme et du fascisme. 3. Le programme de transition (écrit pour la situation politique de 1938) doit servir de boussole à un parti capable d'orienter les masses vers la révolution socialiste. 4. Les échelles mobiles des heures et des salaires sont les premières revendications pour lutter contre le chômage et l'inflation. 5. Les grands syndicats sont utiles pour construire un mouvement de masse. 6. Les comités d'usine plus larges doivent compléter ces syndicats. 7. Ils permettront le contrôle ouvrier de l'économie. 8. Certaines grandes industries devront être expropriées avant les autres. 9. Les banques le seront également. 10. Les ouvriers devront s'armer pour résister aux mesures de rétorsion. 11. Ils devront aussi s'allier aux paysans pauvres. 12. La guerre devra être menée contre la bourgeoisie et non contre les travailleurs des autres nations. 13. La dictature du prolétariat se substituera à la démocratie bourgeoise. 14. Le soviet harmonisera les différents comités en lutte. 15. Les pays coloniaux concentrent une combinaison de stades de développement et de luttes. 16. Le fascisme, la forme dictatoriale du capitalisme, n'est fort que parce que l'antifascisme est faible. 17. L'URSS est un Etat ouvrier dégénéré dont il faut renverser la bureaucratie. 18. L'opportunisme sème la confusion et doit laisser la place à un parti aux principes clairs. 19. Le sectarisme isole des masses et est voué à l'échec. 20. Il faut se méfier du carriérisme des anciens et s'ouvrir aux jeunes et aux femmes. 21. La quatrième internationale, basée sur le centralisme démocratique et le programme de transition, émerge des décombres des internationales précédentes. 

La première grande idée de ce texte rejoint le point de vue de Lénine sur la nécessité d'un parti d'avant-garde pour mener la révolution. Il s'agit d'un concept intermédiaire entre deux écueils, celui anarchiste de la spontanéité des masses et celui autoritaire d'un guide suprême monarchique ou oligarchique. Autrement dit, sans avant-garde, pas d'organisation forte et centralisée mais sans processus démocratique (formation, élection, révocation) pas de contact réel avec les besoins des masses (avec le risque de trahir leur confiance par opportunisme). L'idée est, pour paraphraser Bacon à propos de la nature, de commander les masses en leur obéissant. Ensuite, outre les revendications démocratiques réformistes habituelles sur la liberté de la presse, d'association etc., Trotsky formule les revendications de l'échelle mobile des salaires et des heures, pour lutter contre le chômage et la vie chère (revendications financées en prenant sur les profits de la bourgeoisie). Ces revendications sont un préalable au contrôle ouvrier de l'économie et à l'expropriation de l'industrie et de la finance. Au niveau de l'organisation, Trotsky insiste sur le rôle du syndicat pour atteindre les masses, tout en ajoutant qu'il ne peut suffire et doit être complété par les comités d’usine, les soviets et le parti d'avant-garde. Ensuite, Trotsky insiste sur l'armement des ouvriers pour défendre leurs intérêts, mener la guerre aux capitalistes et sortir des conflits nationalistes. Puis, il évoque les différents types de régime de son époque : colonial, soviétique, fasciste qui coexistent face aux régimes des démocraties bourgeoise. Pour terminer, c'est plutôt le profil type des militants dont il est question, en écartant les opportunistes, les sectaires et s'ouvrant aux jeunes et aux femmes.

Que nous apporte ce texte aujourd'hui ? Il est clair et nettement formulé dans le texte lui-même que les critiques ne manquent pas contre le point de vue de Trotsky. Il est accusé par les anarchistes et les démocrates de proposer un système militaire ou totalitaire. Les staliniens et les maoïstes eux l'accusent de faire le jeu de l'impérialisme américain en minimisant la question nationale. Néanmoins ce texte fournit une trame cohérente de mesures essentielles à adopter pour aller le plus directement possible vers une révolution socialiste. En ce sens, il s'agit bien d'une boussole idéologique essentielle si l'on prend au sérieux l'idée de combattre le capitalisme (défini comme la recherche du profit personnel au dépend du bien commun) pour construire une société juste, pacifique et habitable. Cette société est appelée communiste par les marxistes. Les anti-marxistes la rejettent en s'appuyant sur les erreurs et les déviations parfois bien réelles parfois fantasmées des régimes qui se sont inspirés des idées de Marx et Engels. Toutefois, on peut répondre à ces critiques que ces régimes ne furent que partiellement communistes et que rien n'interdit de penser que le communisme à venir évitera de tels écueils. On use et abuse du nombre de victimes du communisme, sans trop se demander si c'est bien le communisme qui est responsable et si d'autres régimes, en particulier le capitalisme et le fascisme, n'ont pas fait de nombreuses victimes. Si donc il existe un communisme à venir, car ce courant est tout neuf à l'échelle de l'histoire humaine, on ne peut prédire a priori à quoi il ressemblera. Comme Marx l'a défendu, il doit naître de la critique du système actuel et non d'un modèle préconçu appliqué de force. En ce sens, le programme de transition ne représente pas un mode d'emploi communiste mais un guide pour s'acheminer vers lui. 


Claude Saboundjian  



(1) Ce texte ne se veut nullement une synthèse exhaustive du texte de Trotsky « Programme de transition, l’agonie du capitalisme et les tâches de la IVème Internationale », mais une invitation à lire le texte lui-même. Disponible sur maxists.org (https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/trans/tran.htm), ou en format brochure (https://www.lesbonscaracteres.com/livre/le-programme-de-transition).



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