mardi 10 mai 2011

L'ASSURANCE SANTE



On assiste aujourd'hui à une privatisation du système de la santé. Des mutuelles complémentaires proposent un service supplémentaire payant pour compléter et améliorer la couverture maladie universelle. Ce fait est d'autant plus intéressant que la sécurité dans le domaine santé est une valeur particulièrement précieuse dans nos société. Le thème de l'assurance santé se rapporte donc à la fois à nos préoccupations économique et médicale. Politiquement, on peut se demander si la mutualisation privée ne risque pas de creuser les inégalités d'accès aux soins.

Le système de l'assurance permet d'éviter de tout perdre en cas de coup dur, en partageant d'avance les dommages, avant même qu'un membre ait eu un accident. "Assurance" vient de assecurare qui signifie « mettre en sécurité, protéger ». Il s'agit donc de se mettre à l'abri du danger, aussi lointain soit-il. L'assurance offre une sécurité dans la mesure où on est sûr de ne pas tout perdre en cas de problème. Quelqu'un qui tombe malade ne risque pas en plus de se trouver sans ressources. La sécurité repose sur la prise en compte de ce risque. L'objet du risque est l'accident, qui par essence est un cas particulier. On profite donc d'une période normale pour, peu à peu, se préparer pour le moment inopportun, lequel va occasionner des dépenses particulières. Cette prévision n'est pas une prédiction mais une précaution. Il ne s'agit pas de se préparer à ce qui va nécessairement arriver mais plutôt à ce qui va probablement arriver. Comme on sait seulement quoi (c'est-à-dire ce qui peut arriver), mais non à qui quelque chose va arriver, on se mobilise à plusieurs pour protéger le premier qui sera affecté par tel ou tel mal.
En même temps, cette assurance est liée à une mutualisation et donc à l'entraide. Il ne s'agit pas simplement d'une épargne individuelle mais aussi d'une mise à contribution de la collectivité dans l'intérêt de tous et de chacun. La mutualisation entre dans le cadre humain de la politique au sens de l'organisation de la vie sociale. Les hommes sont solidaires et s'entraident. Ainsi chacun verse de l'argent à une caisse commune qui profite au premier qui a un problème. Au fond, la mutualisation est la base de la chose publique. Selon ce principe, chacun participe modestement à créer les conditions de soutien aux plus défavorisés. La retraite, l'allocation chômage, la sécurité sociale fonctionnent sur ce principe qui est un mode de répartition et de partage des richesses.
La santé est devenue une préoccupation majeure. Garder la santé est aujourd'hui tout aussi important que gagner le paradis autrefois. La santé est la version laïque du salut. Cela veut-il dire que la santé est plus concrète ou réelle que le salut ? En un sens, la santé est également abstraite. On ne connaît vraiment ce qu'est la santé qu'une fois que l'on a été malade. On réalise également que l'on est en bonne santé lorsque l'on se compare à ceux qui souffrent. Le bien en général est saisit comme ce que l'on ne possède pas ou comme ce que l'on redoute de perdre. On se représente un bien le plus souvent comme un meilleur. Dans ce cas le bien est est défini négativement comme l'absence de problème. Mais le problème est ce qui fait apparaître les choses. Par exemple, je me rend compte que la nourriture est un bien lorsqu'elle vient à manquer. Mais ce qui ne peut manquer est au fond indifférent et ne peut être un bien. L'assurance santé est donc une assurance sur un désir : la santé comme horizon d'attente.
L'assurance santé est intéressante pour nous dans la mesure ou les soins préventifs, comme les soins curatifs, peuvent grâce à elle être pris en charge. Ce qui évite de laisser une situation empirer ou de ne pas aller chez le médecin faute de moyens. La santé réclame prévention et guérison (Hygée et Panacée), c'est-à-dire une double dépense avant et pendant la maladie ("après la maladie" équivaut à "avant une prochaine maladie". Je continue un traitement parfois après la maladie pour m'assurer de ne pas rechuter). Si l'on est très pauvre, on s'en remet à la chance de ne pas tomber malade. Mais si l'on a plus de moyen, personnellement ou grâce à l'entraide, on prend des mesures plus concrètes. La prévoyance nous rend moins vulnérables au hasard.

Les mutuelles privées sont, selon certains observateurs, inégalitaires par rapport au système social étatique (cf. Cécile Prieur, "Le système de santé en voie de privatisation ?", Le Monde du 09.07.09). Avec le système de santé public, chacun cotise en fonction de ses moyens et reçoit en fonction de ses besoins. Mais chacun reçoit en fonction de ce qu'il aura réussi (ou non) à payer avec la mutuelle privé. Si la mutualisation est en soi une bonne chose, il faut bien distinguer la mutualisation privée et la mutualisation publique. Nous allons voir que les critiques de la privatisation du système social reposent sur la dénonciation de la répartition inégalitaire des richesses.
Peu à peu les services publics sont privatisés. Aujourd'hui près de 92 % des français possèdent une couverture complémentaire. C'est, selon les défenseurs libéraux, une manière de réduire les charges de l'Etat ainsi que le montant des impôts et de stimuler la concurrence entre les entreprises. Des secteurs de l'Etat, comme le transport ou l'électricité, ont ainsi été transférés à des entreprises en concurrence. Celle-ci se doivent d'être rentables, c'est-à-dire de gagner de l'argent. On peut alors craindre de voir la logique du profit supplanter celle de la solidarité. Dans ces circonstances, l'argent pourrait passer avant la sécurité (celle des usagers comme des employés). La privatisation des chemins de fer en Angleterre, par exemple, a semble-t-il diminué leur fiabilité pour cette raison. Pour être compétitif et ne pas trop perdre en bourse, les dépenses pour la sécurité peuvent être économisées. Réparer l'accident est peut-être même parfois moins coûteux que de le prévenir. De nombreux accidents industriels semble résulter de ce calcul.
La solidarité d'Etat n'a en droit aucun but lucratif. Le plus important n'est pas le déficit de moyens financiers mais l'objectif hédoniste de veiller au bien de tous. Le rôle de l'Etat est de chercher des fonds et de les répartir correctement. Si les dépenses de santé augmentent dans notre civilisation en raison de l'allongement de la durée de vie et des progrès de la médecine, l'Etat peut adapter les impôts et la répartition du budget national. Il peut aussi légiférer sur le coût de la médecine et imposer des limites à l'industrie médicale. Mais une autre voie est engagée qui consiste à privatiser la sécurité sociale, c'est-à-dire à déléguer à des entreprises d'assurance la couverture maladie. La politique n'est-elle pas dans ce cas déléguée à l'économique, puisque la régulation du système n'est plus l'objet d'une décision publique mais d'un équilibre plus ou moins stable entre des entreprises privées ?
La privatisation du système social déleste l'Etat d'un certain poids. Au lieu de payer des impôts, on cotise. Mais cette manière de faire est individualiste. On met de l'argent de côté pour soi ou ceux du même rang que soi. L'idée alors n'est plus d'améliorer l'ensemble de la société. En cela ce mode de répartition creuse les différences sociales. 7 % des français échappent à toute couverture complémentaire. Pour ces personnes, qui ne peuvent bénéficier de la CMU, adhérer à une mutuelle représente un trop gros effort financier. La proportion de personnes " sans mutuelle " est ainsi de 15 % chez les ouvriers et de 18 % chez les chômeurs contre 5 % chez les cadres. La solidarité privée privilégie les plus riches car la qualité de la protection dépend de la somme versée à l'assurance. Il s'agit donc d'un mode de placement et non rigoureusement d'une redistribution des richesses. Ceux qui en ont les moyens s'entraident entre eux en ayant une mutuelle qu'ils peuvent payer. Ceux qui n'en ont pas n'ont pas de couverture sociale ou ont une couverture minimum. Ce qui signifie qu'ils n'ont pas accès aux soins comme les autres. On peut accepter cette réalité au nom du pragmatisme, en disant que dans toute société les pauvres ont moins de privilèges que les riches. Ou alors, on peut s'y opposer et dans ce cas militer en faveur d'avantages compensatoires pour les pauvres de la part de l'Etat.
La distinction entre riches et pauvres n'a jamais été aussi forte que dans les civilisations modernes. Cette distinction purement économique n'existe probablement pas dans les "sociétés primitives". Celles-ci se caractérisent par une solidarité mécanique, une notion introduite par Émile Durkheim dans De la division du travail social (1893). Contrairement à la solidarité organique des sociétés modernes, la solidarité mécanique résulte de la proximité. Les individus vivent ensemble dans des communautés. Le poids du groupe est très important (famille, travail). Les individus partagent des valeurs communes très fortes : la conscience collective est élevée et aucun écart à la norme n'est toléré car, en remettant en cause la conscience collective, c'est la cohésion sociale dans son ensemble qui peut être mise en question. Les membres de la société sont peu spécialisés et peu différenciables par leurs fonctions, il y a une très faible division du travail. Au contraire, dans nos société organiques, la division et les écarts économiques sont élevés.
De plus, la santé et la sécurité, dans nos société, sont devenues des enjeux commerciaux (industrie pharmaceutique, dispositifs sécuritaires, etc.). On peut alors se demander s'il est moral de faire entrer ainsi dans le business la question de la sécuité. Peut-on par exemple considérer que la police puisse protéger uniquement ceux qui ont le moyen de s'offrir ses services et laisser les autres citoyens se débrouiller avec leur délinquants ? Transformer des services publics en entreprises risque donc d'engendrer des inégalités. On affirme parfois que la concurrence entre les services les oblige à les faire progresser. Mais ce n'est parfois qu'une compétition concernant la communication à laquelle on assiste et non une course à la qualité réelle. La publicité se fait d'autant plus mensongère dans ce cas qu'elle absorbe les efforts financiers au détriment de la qualité des services. Autrement dit, les publicitaires devraient veiller à être honnête sur la nature de ce qu'ils présentent. En outre, trop souvent la publicité met en avant l'avantage personnel que représente une dépense. Le message principal est rendez-vous service à vous-mêmes en acquérant ceci ou cela. Mais on ne peut faire l'impasse sur la portée collective et symbolique d'un service. Nos décisions portent autant sur des choix de société que sur des avantages personnels. C'est ce que prouve encore l'existence des campagnes de prévention ou de sensibilisation à des causes humanitaires.

Le système de protection sociale est naturellement lié à la dimension politique de l'homme. Les peuples par principe sont unis et solidaires. Cependant, les sociétés modernes, en vertu de leur taille et de leur complexité, tendent à creuser les inégalités sociales. La valorisation d'une mutuelle repose donc sur sa dimension d'entraide et sa vertu sécurisante pour tous. Mais on ne peut oublier derrière les apparences de ce genre de communication les disparités dans l'accès à la protection sociale. Les systèmes de santé privés sont évidemment bénéfiques uniquement pour ceux qui y ont accès. Ils le sont aussi pour les entreprises de la santé en perpétuelle recherche de clients consommateurs. La question est donc de savoir comment concilier une logique de marché avec une logique de solidarité, et comment cette tension peut se retrouver dans la conception d'un service et d'une communication dédiés à une assurance santé.


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