Les révolutions
industrielles ont bouleversé tous les aspects de la vie partout sur
la planète, dans notre façon de nous distraire, de travailler,
d'habiter, de nous nourrir, etc. Ces bouleversements concrets sont
considérés comme des progrès en termes de confort, de sécurité,
d'abondance, etc. Néanmoins, cette vision idyllique fut remise en
cause lorsque des conséquences imprévisibles et inquiétantes
surgirent avec, par exemple, les guerres modernes (camps, armement)
et les catastrophes industrielles, mais aussi les bouleversements
sociaux (crises, chômage, misère).
Nous nous concentrerons
sur la question alimentaire pour étudier cette évolution impulsée
par les technologies, à travers la questions des organismes
génétiquement modifiés qui touche au rapport du monde industriel
aux êtres vivants. Peut-on considérer les évolutions
technologiques comme des améliorations du vivant et de nos modes de
vie, au même titre que les progrès accomplis par les générations
passées depuis la préhistoire ? Doit-on s'inquiéter que certaines
limites aient été franchies et au-delà desquelles nous nous
mettons en danger ainsi que notre environnement ?
I. Le génie génétique
La génétique moderne
se distingue de la sélection massale des meilleures semences, du
bouturage, du marcotage et du greffage, en ce qu'elle se pratique en
laboratoire à une échelle microscopique (transgenèse). Cette
technologie valorise la place de l'expert et du scientifique par
rapport à celle de l'agriculteur. Elle rend possible une hybridation
et une mutation des espèces auparavant impossibles.
Ces modifications
génétiques des organismes s'inscrit clairement dans le projet
cartésien de "se rendre comme maître et possesseur de la
nature" ; avec des espoirs aussi divers que la disparition de la
famine, de la maladies, de la mort, voire la résurrection des
espèces disparues (Jurassik Parc). L'action des scientifiques
en général s'étend aujourd'hui en profondeur, au cœur de la
nature, pour atteindre les cellules, les molécules et les atomes.
Ainsi elle influence les processus naturels à la racine, à
l'origine (genos en grec). Dans le cas de la génétique, ce
n'est pas uniquement sur l'individu que l'on agit, mais sur toute
l'espèce, à travers l'hérédité, et à plus long terme sur les
autres espèces et tout l'environnement.
La démarche radicale du
scientifique s'inscrit dans la recherche d'efficacité et de
puissance propre à la technologie et au productivisme, mus par la
quête de l'abondance (hormone de croissance, sélection et transfère
des gènes d'intérêt, multiplication du rendement pour accompagner
l'essor démographique, optimisation des organismes). Cette logique
de croissance et d'expansion est propre également au modèle
capitaliste, au détriment des principes d'équilibre et de mesure.
Elle se justifie socialement par la promesse utilitariste de
l'abondance et d'un plus grand bonheur pour le plus grand nombre. La
culture des Ogm se veut écologique et saine. Elle prétend nous
débarrasser des intrants, grâce à des Ogm capables de se défendre
seuls contres les parasites, tout en produisant aussi des Ogm
résistants aux herbicides. Y. Chupeau, dans Ogm, quels risques ?,
prétend, que l'association du glyphosate, puissant herbicide, et de
la semence modifiée qui y résiste est une solution écologique et
pratique. L'industrie génétique nous promet des plantes plus
nourrissantes, résistant au gel, à la sécheresse et au soleil. Sur
le plan de la santé, la modification génétique doit permettre de
traiter le diabète, les épidémies, le cancer, l'hémophilie, la
cécité, la myopathie et la maladie de parkinson. Les applications
militaires doivent également représenter un progrès aux yeux des
ministères de la défenses.
La question de la
modification génétique des plantes n'est donc qu'un aspect de la
modification des organismes vivants. Les techniques sophistiquées
liées à la procréation en sont un autre aspect, qu'il s'agisse du
clonage, de la thérapie génie, de la PMA, etc. Ces technologies
côtoient d'autres technologies concernant l'inerte, comme la chimie
moléculaire, la fission atomique, les nanotechnologies, etc. La
logique reste la même qui consiste à intervenir de manière
volontariste au cœur de la matière, a tenter tous les bricolages,
afin de transformer la nature et de la rendre plus adaptée à
l'homme, ou du moins à une certaine idée de l'homme. La nature est
conçue comme un Méccano, un Légo ou un code. Son principe
mécanique repose sur l'articulation de briques traduisibles en
symboles, que ce soit les éléments de Mendeleiev, le langage
binaire des ordinateurs ou les quatre bases de l'Adn (adénine,
thymine, cytosine, guanine). Cette approche galiléenne, comme le
fait remarqué Husserl dans La crise des sciences, réduit la
vie à un vêtement d'idée et l'être à une méthode.
Un corollaire de cette
approche galiléenne, quantifiable et interventionniste, est la
marchandisation et l'appropriation de la nature. Celle-ci, modifiée
dans le cadre d'investissements scientifiques et industriels, entre
dans le processus d'exploitation capitaliste qui avait commencé avec
les enclosures au XVIe en Angleterre et s'est poursuivie avec la
conquête des terres amérindiennes. Une fois les corps vivants
brevetés par les industries qui ont découvert et modifié leur
structure, ces industries exercent une domination commerciale sur
ceux qui utilisent leur semences. Yves Chupeau, qui défend les Ogm
contre J. Testard, compare lui-même l'étude des gènes à la
cartographie des continents par les explorateurs de la Renaissance.
Il considère également que la rétribution des performances
intellectuelles (brevets) est ce qui stimule l'innovation. Marie
Monique Robin, dans Le monde selon Monsanto, montre comment la
firme ruine les agriculteurs avec le monopole qu'elle exerce grâce à
ses semences brevetés. Sur le site Infogm, on peut lire que les
barons du soja de divers pays d'Amérique du sud font expulser les
habitants et détruisent les forêts pour étendre leurs champs de
soja (C. Noisette, 2004). Plus globalement, l'analyse génétique
permet d’accroître le contrôle et le fichage des populations à
titre commercial (assurances) et sécuritaire (polices). L'entreprise
Sooam biotech propose aussi de cloner votre animal domestique. Nous
voyons donc que, en plus de l'impact sur l'environnement, la
technologie génétique modifie nos conceptions de l'économie et de
l'éthique.
II. La résistance au
progrès.
Se rendre comme maître
et possesseur de la nature implique donc de la transformer. Bien sûr,
des modifications ont déjà lieu dans la nature, comme le montre la
théorie de l'évolution, laquelle a remis en cause la conception
stationnaire de la nature héritée d'Aristote. Mais ces
modifications diffèrent de celles opérées par l'homme. Elles
semblent plus lentes et relativement modestes. Le modèle
cybernétique qui est le nôtre aujourd'hui remet en cause cette
différence entre les processus et les rythmes naturels et techniques
pour un plasticité encore plus grande. En 1953 Crick et Watson
modélisent le principe de la séquence d'Adn. Quelques années
avant, Norbert Wiener inventait la cybernétique, selon laquelle le
vivant comme la machine reposent sur un principe d'échange
d'informations. Ainsi on peut supposer qu'une mutation génétique
est réductible à un bug informatique, soit une erreur de codage. En
maîtrisant cette erreur, on parvient donc à une sorte de rhétorique
génétique.
Nous sommes tentés de
faire de Leibniz, philosophe du XVIIe, un précurseur de la
cybernétique lorsqu'il affirme, "chaque corps organique d'un
vivant est une espèce de machine divine ou un automate naturel"
(Monadologie). Il s'agit en quelque sorte d'un réductionnisme
faisant du corps et de l'esprit une même substance. La pensée
cybernétique aujourd'hui à pour conséquence de réduire la
distance entre l'homme et la machine, par exemple en employant le mot
"performance" à la place du mot comportement. La réduction
du vivant au mécanique permet de simuler des molécules de synthèse
(design organique) dans un environnement virtuel numérique ou de
projeter la réalisation d'ordinateurs moléculaires qui
utiliseraient l'Adn pour effectuer des calculs.
Avec la cybernétique,
la nature se réduit donc à un ensemble d'informations où toutes
les combinaisons sont possibles, sans faire de différence entre
celles opérées par l'homme ou sans l'homme. Le principe
d'"équivalence en substance" vise à détruire la
différence entre l'artificiel et le naturel pour affirmer a priori
l'innocuité des Ogm. Pour reprendre les terme de Simondon, la
concrétisation technique rejoindrait le concret organique. Cette
approche permet de forcer les frontières biologiques en toute
indifférence, en transférant des gènes d'une espèce à l'autre,
et de négliger le problème de la contamination d'autres espèces
par les Ogm. Que ce passerait-il par exemple si les gènes
Terminator, qui empêchent la réutilisation des semences lors de la
saison suivante pour des raison commerciales, se répandaient aux
autres espèces et stérilisait toute la végétation ? Quelles
seraient les conséquences environnementales mais aussi sociales
d'une monoculture monopolisée par les grandes firmes au dépend de
la biodiversité et des petits agriculteurs ?
Les notions de
responsabilité et de risque sont inhérentes à la pratique humaine
uniquement. Contrairement à ce qui arrive par fatalité, l'action
humaine nous rend en principe responsable des progrès ou des
dommages qu'elle entraîne. Or des philosophes comme Heidegger ou
Ellul se sont inquiétés du fait que la technique soit devenu
aujourd'hui un destin plus qu'un choix. Cet état de fait est
peut-être lié à un déficit démocratique et à la prédominance
des experts. Or il existe pour les Ogm des réseaux citoyens, comme
le Crireem, Infogm ou Rézogm, comparables au réseaux antinucléaires
de la Criirad ou Sortir du nucléaire, qui pratiquent une veille
citoyenne. Le modèle d'Act-up est également intéressant, puisque
cette association valorise l'expérience des patients contaminés
contre l'avis des médecins et des laboratoires. Il faut considérer
que les experts ne peuvent être neutres si l'on tient compte des
conflits d'intérêts, du pantouflage, de la corruption, chez les
politiques, les savants et les journalistes.
Évidemment, nous ne
saurions prévoir toutes les conséquences de ce que nous faisons.
Mais nous pouvons justement tenir compte de notre ignorance en nous
abstenant d'agir, selon un principe de précaution. Ce principe
consiste à tenir compte des risques potentiels, à la différence de
la prévention qui part des risques avérés. Le principe de
précaution part du principe que si un risque n'est pas prouvé, cela
ne constitue pas une preuve qu'il n'y a pas de risque. Le principe de
précaution, et même celui de prévention, devraient nous apparaître
aujourd'hui indispensables après les catastrophes industrielles
atomiques et chimiques mais aussi les scandales du sang contaminé,
de la vache folle, de l'amiante, des prothèses PIP ou du médiator.
Le traité transatlantique (Trans-Atlantic Free Trade Agreement)
prévu pour 2015 est préoccupant, puisqu'il risque de défaire les
réglementations environnementales européennes anti-ogm.
Face au risque, deux
mentalités s'affrontent. Il y a d'abord celle de l'entrepreneur
aventurier, qui part du principe que l'on est toujours trop méfiant
et qui qualifie la prudence et la précaution de réactionnaire et
conservatrice. La précaution revient pour eux à un infanticide
technique, purement idéologique et non scientifique, comme si la
recherche restait absolument neutre et objective. L'homme prudent,
qui accuse l'aventurier de se comporter de façon irresponsable,
égoïste et infantile, ne recule pas devant une heuristique de la
peur. Chez Hans Jonas, par exemple, il s'agit moins d'une peur pour
nous-mêmes, à la manière de Hobbes, mais pour nos descendants. On
reconnaît donc que le principe de précaution oppose une démarche
émotionnelle à la démarche scientifique. Pour autant, il ne s'agit
pas d'une position romantique infondée. On pourrait plutôt parler
d'un catastrophisme éclairé (JP. Dupuy).
Dans sa hâte,
l'entrepreneur semble prêt à ouvrir la boite de Pandore sans
mesurer par exemple les risques sanitaires. Selon un article du New
England Journal of medicine de 1996, les rats développent des
allergies aux gènes insecticides. Nous ignorons les effets à long
terme sur les hommes. Au niveau environnemental, on peut s'inquiéter
d'une diffusion du gène terminator à d'autres espèces et de leur
stérilisation. On peut aussi imaginer que les parasites développent
des résistances aux gènes insecticides ou herbicides, rendant le
recours aux intrants nécessaire avec pour conséquence la pollution
et la destruction des sols cultivables. D'un point de vue
sociaux-économiques, nous voyons les risques de faillite dus aux
brevetage des semences et au monopole des grandes firmes. De plus, Le
Meilleur des monde, de Huxley, paru en 1932, anticipe ce que
pourrait être une société totalitaire où la génétique
permettrait de concevoir une population produite selon des fonctions
et un ordre hiérarchique.
Globalement, le pouvoir
appartient aujourd'hui aux aventuriers et la prudence au peuple mal
écouté. L'expert voit les appréhensions populaires comme des
résistances primitives et obscurantistes au progrès. La savant
éclairé part du principe que la masse est dans l'illusion et
tremble inutilement dans sa caverne. Cependant, rien ne nous assure
que l'expert n'est pas lui-même dans l'erreur et que ce qu'il
envisage comme étant la réalité n'est pas autre chose qu'un
système abstrait (scientisme). Ainsi, y a-t-il peut-être plusieurs
réalités, plusieurs points de vue sur réel, au lieu d'une réalité
unique et scientifique qui s'opposerait à la fiction et l'illusion
de la foule. Aussi le déficit démocratique que nous observons
aujourd'hui, concernant l'aménagement du territoire ou les mesures
environnementales, ne serait-il pas seulement une faiblesse du
système, que des processus participatifs citoyens pourraient
résorber, mais son essence même.
Ce qui n'est pas pris en
compte dans la concertation orchestrée par les décideurs c'est qui
décide des modalités de la concertation. Dès lors que la société
civile prend elle-même l'initiative, elle est rapidement rejetée
dans l'illégalité (désobéissance civile, "violence").
Or les actes de sabotage et les manifestations organisée par les
habitants sont rendus nécessaires par la surdité et la cécité des
autorités. Celles-ci semblent convaincues que chaque poison
technologique a son remède technologique, sans voir que le
traitement est à la source de la maladie et que la iatrogénèse, la
maladie d'origine médicale, s'étend à l'échelle planétaire.
Cette fuite en avant technologique est rendue possible par une
banalisation par l'usure. Les victoires ponctuelles des opposants au
technologies néfastes et inutiles semblent incapables d'enrayer un
phénomène global et massif. La culture et la diffusion des Ogm ne
cesse de croître en dépit des désaccords.
III. L'organisation
sociale
La révolution
scientifique introduite au niveau cellulaire s'étend aux niveaux
supérieurs des individus, des sociétés et de leurs milieux. Un
organisme ne peut être appréhendé uniquement de manière abstraite
mais c'est un tout compris dans une autre totalité. Changer la
partie du tout revient à modifier la totalité. Ainsi, la
modification génétique altère non seulement l'individu mais toute
la société ainsi que son environnement. On ne s'étonnera donc pas
du lien qui existe entre l'évolution de l'alimentation,
l'accroissement des inégalités et la dégradation de
l'environnement.
Entre la nature et la
société, se trouve l'outil, qui est souvent le point aveugle des
analyses. Le laboratoire est le dispositif du gène, avec la
seringue, la pipette et l'éprouvette ; tandis que le champ est le
dispositif de la graine, avec la bêche, la charrue et la faux.
Derrière les outils, il y a des gestes, comme programmer, conduire
et pulvériser d'un côté ; ou bien semer, défricher et récolter
de l'autre. Les outils et les gestes industriels s'inscrivent dans un
système apparemment efficace mais également dispendieux,
insoutenable à long terme et destructeur de travail, de
savoir-faire, d'autonomie, de convivialité et d'entraide. Ainsi,
adopter ou non les Ogm c'est choisir un mode de vie.
Le monde des Ogm est un
monde inquiétant en raison également de la naturalisation des
phénomènes sociaux liés à la génétique. La pauvreté, la
maladie, la désobéissance, les différences culturelles et morales
seraient liés à des facteurs génétiques et biologiquement
traitable. Cette approche dispense de discuter les organisations
sociales. Non seulement l'approche génétique ne remet pas en cause
les inégalités sociales mais le monde Ogm est un monde profondément
inégalitaire, avec des nantis transhumains médicalement performants
et de l'autre côté des hommes ordinaires privés des moyens de se
prémunir contre la maladie et la mort dans un monde de plus en plus
toxique. Autrement dit, le monde Ogm maintient les inégalités et
même les creuse. Au contraire, on peut imaginer un monde sans Ogm
convivial et postindustriel, où les sociétés seraient émancipées
de la méga-machine qui nous domine. Nous serions alors capables de
construire et réparer les outils que nous utilisons. Au lieu du
monopole des professions mutilantes (professeurs, médecins,
scientifiques) et inutiles (managers, publicitaires, commerciaux),
les habitants de ces sociétés autonomes pourraient s'auto-suffire,
suivre leur rythme propre, et considérer la qualité de la vie
autrement qu'en terme de surpuissance, de surabondance et de
surpopulation.
Les partisans du monde
génétiquement modifié mettent en avant divers arguments : la
sécurité alimentaire, le confort, la santé, l'allongement de
l'espérance de vie, le développement des pays développés, en voix
de développement ou sous-développés, l'abondance, la disparition
des famines, le développement de la recherche et de la connaissance
et la création d'emplois d'avenir propres et valorisant socialement.
Ceux qui s'opposent à cela, qualifiés généralement de fascistes
verts, recherchent-ils dans ce cas la maladie, la mort, la famine,
l'injustice, la régression et l'ignorance ? Bien au contraire, les
détracteurs des Ogm essaient de montrer que le véritable visage des
industrie biotechnologiques est plus inquiétant qu'il ne paraît.
Marie Monique Robin, dans son enquête sur Monsanto, montre
l'implication de cette firme dans l'armement chimique américain
durant la guerre du vietnam, et les différents scandales et
mensonges liés à la firme (Pcb, Ddt, Round up, dioxine, hormone de
croissance). On peut donc s'opposer aux OGM pour défendre la qualité
de la vie, le recul de la marchandisation de la nature et des hommes,
l'autonomie des sociétés, avec leur alimentation et leurs
techniques, la préservation de la santé et de l'environnement, la
préservation de l'emploi et un développement culturel qui ne se
réduirait pas à l’ingénierie mais qui serait aussi artistique,
poétique, artisanal et philosophique. Le refus du développement,
qui n'est pas celui d'un certain progrès, c'est le rejet des
promesses intenables, naïves et mensongères, pour une véritable
créativité et une richesse plus complexe que l'abondance de biens
et d'argent qui nous sont promis par les biotechnologies et la
technoscience en général.
Au modèle de l'usine
planétaire, nous pouvons opposer celui des communaux, avec leur
autonomie, leur auto-construction, leur rejet de l'appropriation
privée (enclosure). Cette décentralisation impliquerait aussi une
réforme des démocraties en les rendant directes. Les villages et
les quartiers pourraient décider sans se soumettre au monopole et au
gigantisme de quelques firmes. Ce municipalisme permettrait d'assurer
la diversité biologique et sociale dans un projet égalitaire. Les
circuits courts permettraient de réduire la pollution liée au
transport. La fin de l'exploitation de la nature serait aussi la fin
de celle de l'homme en réduisant les spécialisation notamment entre
manuels et intellectuels. Au lieu d'une société génétiquement
transformée, soumise à des normes et des contrôles centralisés,
ou encore d'une société rétrograde arc-boutée sur la terre des
ancêtres, la société que nous désirons est une société où la
technique et la science n'effaceraient pas la nudité du visage
d'autrui, pour parler comme Levinas.
Conclusion
Nous avons montré la
logique galiléenne dans laquelle s'inscrivent les OGM et le génie
génétique. Puis nous avons vu que les modifications apportées
posent des questions de responsabilité, de choix et de démocratie.
Enfin, nous avons clairement montré en quoi la question des OGM
correspond à un choix de société. Or ce choix ne saurait se
réduire à une alternative entre archaïsme et progrès. Le modèle
industriel, qui tend à s'étendre de manière illimitée, de la
matière inerte, au vivant jusqu'à l'intelligence, doit être
aujourd'hui réévalué honnêtement et lucidement. Nous pouvons
apprécier les bénéfices partiels de la technologie, tout en
regrettant la destruction de certaines techniques traditionnelles.
Ces techniques d'habitation, d'agriculture, de soin et d'enseignement
que les hommes ont mis des siècles à élaborer devraient-elles
disparaître subitement pour des technologies inexpérimentées ?
Poser cette question ce n'est pas s'opposer au progrès ou réclamer
un retour vers le passé, mais chercher à faire évoluer l'idée
même de progrès, en réfléchissant à ce qui doit être préservé
ou non, ce qui doit être tenté ou non. Or cela n'est possible qu'au
sein d'une démocratie qui ne se réduit pas aux profits à court
terme ou aux spéculations infantiles des lobby industriels et des
dirigeants qu'ils financent.
Raphaël Edelman, Rencontres de Sophie, Nantes 2015
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