dimanche 1 mars 2009

La pensée politique de Lénine


Introduction


Les bibliographies de Lénine ne manquent pas. Elles expliquent très clairement son rôle central dans la révolution russe d’octobre 1917. Malheureusement, les passages concernant ses écrits restent souvent évasifs, comme s’il s’agissait d’un aspect secondaire. Or non seulement les brochures de Lénine sont tout à fait intéressantes, précises et bien écrites. Mais, en plus, elles constituent une complément important des travaux de Marx et Engels. Si ceux-ci, à travers leurs analyses et leur engagement, ne délaissèrent pas la pratique politique, l'œuvre de Lénine offre un développement théorique important de cette pratique. Car, au delà de ses analyses de l’évolution du capitalisme, il fournit une réflexion fondamentale sur l’organisation révolutionnaire du mouvement ouvrier. C’est pourquoi il m’apparaît nécessaire d’essayer de donner une vision synthétique de ces travaux. Ceci l’est d’autant plus que nous continuons aujourd’hui à nous poser les mêmes questions qui ont déjà été posées il y a un siècle sur la manière de parvenir à changer la société.

J’essaierai d’aborder la pensée de Lénine ici en historien des idées et non en idéologue - ou alors en idéologue au sens premier d’ « analyste des idées ». Je n’ignore pas la réticence que provoque la prise en compte en 2021 des écrits de Lénine. Une bonne partie de la gauche elle même le considère comme responsable du totalitarisme soviétique et de ses avatars asiatiques ou est-européens. Mais je pars du principe que cette réduction ne permet pas de rendre compte des enjeux complexes de la pensée de Lénine par rapport à ses adversaires politiques et de l’enseignement que nous pouvons en tirer en matière de philosophie politique. On notera tout de même qu’en créant une continuité sans nuance entre Lénine et Staline, on fait l’impasse sur ce qu’on a appelé les purges staliniennes. 

J’ai travaillé jusqu’à présent sur la pensée anarchiste et tenté de distinguer différentes tactiques politiques : l’éducation, le syndicalisme, l’insurrection (cf. Anarchisme et stratégie). La lecture de Lénine prolonge pour moi celle des anarchistes. Il franchit une étape dans l’organisation à laquelle le fédéralisme anarchiste se refuse en rejetant le centralisme démocratique jugé autoritaire. Mais la position de Lénine vise avant tout à donner une efficacité à l’organisation révolutionnaire, là où pour lui les autres tendances sont condamnées à l’échec.

Notre exposé prend la forme de notes de lecture résumant les textes importants de Lénine que l’on peut trouver en accès libre sur le site marxists.org. Aussi le style peut s’avérer à certains moments hachés. Le point de vue adopté est fidèle au texte sans ajout de remarques critiques. C’est donc au lecteur de faire son idée, en espérant qu’il saura replacer le propos dans le contexte de la Russie du début du vingtième siècle. Je termine cette conclusion par un remerciement à Stéphane dont les conseils m’ont été précieux pour écrire ce texte.


1. Le développement du capitalisme en Russie (1898)

Lénine étudie, dans cet ouvrage conséquent, la formation du marché intérieur et le développement du capitalisme russe. Il le fait à travers une interprétation marxiste, politiquement opposée aux “populistes” de son époque qui imaginent développer un socialisme à partir des communautés paysannes sans passer par le stade capitaliste. Les populistes ne voient dans le capitalisme que le déclin de la production populaire et non la transformation de l'économie patriarcale en économie capitaliste. Ils s’opposent à l’exode rural et à la civilisation urbaine. Ils condamnent en bloc la démolition capitaliste et ne voient pas le développement qu’il représente par ailleurs. 

Les « populistes » de la fin du dix-neuvième siècle en Russie, comme aussi en partie certains « socialistes révolutionnaires » au début du vingtième siècle, privilégiaient les attentats d'une minorité au lieu de l'action de masse de la classe ouvrière urbaine et des paysans pauvres. Ils se concentraient pour certains (car les courants « populistes » et « socialistes révolutionnaires » étaient variés) sur la paysannerie, avec l'idée de développer un socialisme à partir des communautés paysannes. Ils repliaient l'échelle du combat au niveau local (un peu comme certains anarchistes libertaires avec les squats ou les ZAD ; ou encore les zapatistes du Mexique dont l'horizon de coexistence avec l'Etat capitaliste conduit en réalité à laisser l'Etat capitaliste en place et la bourgeoisie au pouvoir).

Au contraire des « populistes », la vision marxiste du capitalisme par Lénine est nuancée, puisque le devenir capitaliste de la Russie, selon Lénine, fournit un tremplin au socialisme. Le servage a été aboli en 1861 et le nombre de paysans diminue. Le commerce et l’industrie entraînent la ruine des petits producteurs et le développement du marché. Le capitalisme intensifie le travail, dont celui des femmes et des enfants, et génère plus de chômage. Mais il détruit aussi le patriarcat et augmente partiellement le contrôle social par les travailleurs. Il amène le progrès malgré ses aspects sombres. C’est pour Lénine un stade transitoire. Il ne fait pas l’apologie du capitalisme, comme le prétendent les populistes. Seulement, le capitalisme entraîne le développement des forces productives et de la collectivisation. Lénine en reste à une approche marxiste des choses : les capitalistes révolutionnent la société pendant un temps au niveau technique, industriel et intellectuel, avant de plonger la société dans la catastrophe avec la guerre impérialiste et ses millions de morts. Ce rôle, les bourgeois l'ont assuré dans un certain nombre de pays européens notamment. Mais en Russie, la situation s'avère différente. La bourgeoisie a certes commencé à révolutionner les choses mais avec des limites. C'est une bourgeoisie faible : numériquement, politiquement, financièrement. Au point, on le verra de 1905 à 1917, d'être prête à laisser le pouvoir à l'aristocratie, à maintenir la Russie au niveau d'une économie dominée les dettes vis-à-vis des Etats impérialistes. Cette situation, celle d'une bourgeoisie incapable de faire avancer la société, on la voit aujourd'hui dans les économies "du tiers monde", où les bourgeoisies locales « nationales » continuent leur rôle de parasite des richesses produites au niveau national, tout en négociant avec les bourgeoisies impérialistes leurs parts du gâteau, laissant les économies et les populations dans l'état que l'on sait.

La vapeur amène la grande industrie et sa mécanisation. Le bois est remplacé par la houille. La manufacture devient fabrique. Le capitalisme augmente la production d’abord pour augmenter le profit. Avec les machines, il y a plus de problèmes sanitaires. La manufacture réclamait un fort apprentissage, une habileté manuelle mais créait aussi des infirmités. L’agriculture et le textile se sont industrialisés mais l’agriculture se distingue davantage de l’industrie. Certains se spécialisent comme marchands. 

Avec le capitalisme, la machine s’est développée au dépend de l’implantation des petits paysans, entraînant le développement d’un prolétariat de salariés paysans. Le développement du capitalisme est lié à celui de la machine et de l’industrie et permet l’apparition du prolétariat moderne. Autrement dit, la hausse du salariat, pour produire la plus value, est corrélée au développement des moyens de production ainsi que l’extension du capitalisme. Avant, on distinguait les terres seigneuriales et paysannes, avec la corvée et le servage. Mais les salariés ont remplacé les serfs. La corvée laisse place à l’exploitation capitaliste. Quant à l’usure, elle se transforme parfois en investissement dans la production.

Il y a eu une double tendance de développement d’un patronat, avec embourgeoisement d’une minorité, et de prolétarisation. Les petits producteurs se sont divisés en employeurs et ouvriers. Le développement de l’économie de marché et du capitalisme amène donc la division entre bourgeois et prolétaires. Il y eut un développement du capitalisme agricole et industriel avec l’apparition de deux classes. Avec la division en classes des capitalistes et des travailleurs, les écarts de culture et de richesse se creusent. Les propriétaires du matériel et des machines sont les capitalistes. Les ouvriers sont sans propriété. L’abolition du servage a été suivie du salariat. Le salariat remplace la dépendance personnelle.

La production s’est concentrée. Le décloisonnement des petites divisions conduit à la division en classes. Les travailleurs isolés sont socialisés. L’exploitation est plus visible. Il y a plus de centralisation. Il y a concentration de la production au lieu de son morcellement. Le capitalisme entraîne également une transformation morale. Des associations nouvelles apparaissent. La société s’émancipe des traditions. Il y globalement plus de richesse et de culture.

Le chômage est lié aux crises du capitalisme. Les machines entraînent des licenciements. Les migrations se développent. Le servage a laissé place au commerce, à la spécialisation professionnelle, à la socialisation de la production et la mondialisation. Le capitalisme développe ses territoires. Ce développement se fait par bonds et crises. Les crises du capitalisme sont liées à la recherche de nouveaux marchés et à l’accroissement de l’échelle de production du capital. La production excède la consommation. L’industrie exporte de la production. Le capitalisme et la modernisation s’étendent sur le Caucase. La modernisation entraîne la colonisation. Les frontières du marché intérieur et extérieur ne recoupent pas celles de l'État. Le Capital s’étend et entraîne la colonisation et l’impérialisme.


2. Que faire (1902)

Cette brochure de 1902 est une des étapes importantes dans les débats entre les socialistes russes. Lénine y développe les points de vue des militants regroupés autour de la revue Iskra (Etincelle) en matière d’organisation de l’activité militante. Lénine polémique avec les militants qui restreignent l’activité « social-démocrate » (on ne disait pas encore « communiste ») à une politique «trade-unioniste» (syndicale) économiste, c’est-à-dire qui réduit l’horizon politique des travailleurs, au lieu de garder comme but le renversement du système politique en place.

Lénine critique notamment Bernstein qui défend le réformisme en rejetant la dictature du prolétariat (c’est-à-dire un gouvernement par et pour les prolétaires) et la lutte des classes. Les réformistes social-démocrates acceptent d’entrer dans le ministère bourgeois. Derrière leur “critique” apparente,  ils sont opportunistes, c’est-à-dire suivent leur intérêt et non des principes clairs. Ils utilisent le mot “liberté” comme un paravent. Avec ce qu’ils appellent la “liberté critique”, ils prétendent combattre ce qu’ils appellent le « dogmatisme » et le « doctrinarisme ». 

Lénine rappelle Marx qui disait que l’on peut certes passer des accords en vue de buts pratiques mais qu’il ne faut faire aucune concession théorique. C’est ce qui distingue le stratège de l’opportuniste. Par conséquent, il n’y a pas de mouvement révolutionnaire sans théorie révolutionnaire. Il faut lier le théorique, le politique et l’économique. L’élément spontané n’est que la forme embryonnaire du conscient. Le culte de la spontanéité se retrouve dans l’économisme. La diminution de la conscience révolutionnaire renforce en fait l'idéologie bourgeoise. Et cette conscience dépend de la science. Il n’y a pas de milieu entre l'idéologie bourgeoise et le socialisme et le trade-unionisme est un asservissement à la bourgeoisie. Le culte de la spontanéité correspond à l’enfance du mouvement qui doit s’accomplir dans le travail théorique et  politique  d’organisation. Les économistes s’inclinent devant la spontanéité ouvrière et les terroristes devant l’indignation cruelle. Mais il faut cueillir les ruisseaux d’indignation ouvrière et mêler théorie, propagande, agitation et organisation. Il faut placer des hommes dans toute la société et créer un journal national. Les révélations politiques contre le gouvernement doivent s’ajouter aux révélations économiques. Le spontanéisme et le trade-unionisme sont donc selon Lénine des instruments de la démocratie bourgeoise. Il faut au contraire une organisation centralisée de révolutionnaires professionnels, pas « une bande de paysans armés de gourdins ».

Lénine discute de la séparation arbitraire entre combat économique (que mèneraient les ouvriers), et combat politique (que mèneraient les intellectuels). Au contraire, pour Lénine, il ne faut pas séparer ces deux combats. Il importe de développer la conscience politique de la classe ouvrière contre le spontanéisme. Mais comment s’y prendre ? Lénine reconnaît que la situation politique, différente selon que l’on milite en Russie en régime autoritaire ou dans des pays dotés de liberté politique, a des conséquences sur le rapport au syndicalisme et au politique : en « dictature » toute lutte économique se retrouve teintée de politique.

Il faut selon Lénine rompre avec « les méthodes artisanales » et construire une organisation de révolutionnaires qui ne s’habituent pas à ses faiblesses. Lénine développe donc dans cette brochure sa conception du militantisme dans un contexte de clandestinité, avec des militants révolutionnaires professionnels, disciplinés, travaillant de concert à la confection de tracts, l'élaboration d’un plan, à la nomination d’une équipe de dirigeants pour chaque quartier de la ville, chaque groupe d’usine, chaque établissement d’enseignement. Il donne comme objectif la formation des révolutionnaires ouvriers qui, sous le rapport de l’activité dans le parti, soient au même niveau que les révolutionnaires intellectuels.

Opposer de façon binaire la réalité à la théorie fait le lit de l’impréparation. Les spontanéistes « contemplent religieusement le postérieur du prolétariat russe ». La lutte doit être organisée par des professionnels de l’action révolutionnaire pour assurer la stabilité du mouvement. Il ne faut pas préférer la foule aux dirigeants mais les bons dirigeants aux mauvais. Sinon on sape la confiance des masses envers les têtes intelligentes. Sans dirigeants stables, pas de mouvement solide. Il faut éduquer des révolutionnaires professionnels. La centralisation consolide l’organisation. Un tribun vaut mieux qu’un secrétaire mou. Il faut élever l’ouvrier au niveau du révolutionnaire et non l’inverse. L’homme de talent sait utiliser toutes les forces. Quant à ceux qui sont incapables d’être des révolutionnaires professionnels, ils sauront exécuter des tâches précises. La spécialisation présuppose la centralisation. Le professionnel ne peut passer onze heures à l’usine mais doit vivre aux frais du parti. L’homme dévoué jouit de la confiance des masses. Ceci diffère de l’économisme inconsistant ou du « terrorisme excitatif ».

Lénine développe le projet d’un journal politique pour toute la Russie, qui soit un « organisateur collectif » (liaison de ville en ville, régulier, centralisant les informations dans leurs diversités…), avec pour but une parution hebdomadaire. Le journal serait une « sorte de gigantesque soufflet de forge qui attise chaque étincelle de la lutte de classes et de l’indignation populaire, pour en faire jaillir un immense incendie ». Lénine appelle à avoir de l’ambition révolutionnaire, à travailler de façon sérieuse au renversement du système capitaliste. « De quelle organisation nous avons besoin ? » Demande Lénine : « Nous devons toujours faire notre travail quotidien et toujours être prêts à tout (l’insurrection armée du peuple), parce que très souvent il est presque impossible de prévoir l’alternance des périodes d’explosion et des périodes d’accalmie ». Il en tire comme conclusion qu’il y a des différences radicales entre les deux tendances au sein de la social-démocratie russe, et que la rupture avec les économistes est inévitable.

Lénine présente le plan d’un journal politique national. D’abord, les divulgations d'usines dans un journal sont un levier important. Mais le but est de supprimer l’ordre social et pas seulement d’obtenir des conditions avantageuses. Il faut éduquer la conscience politique de la classe ouvrière. L’autocratie, l’oppression policière et l’arbitraire absolutiste doivent être dénoncés. Toutes les manifestations de l'oppression doivent être visées et pas seulement celles économiques. Lénine distingue deux tactiques. Le propagandiste inculque beaucoup à peu et l’agitateur peu à beaucoup, l’un par l’écrit l’autre par la voix. Mais l’agitation fait des révélations et ne se contente pas de revendications économiques. La police elle-même donne un caractère politique aux luttes économiques par sa répression. Le caractère politique de la lutte politique doit aboutir à des mesures législatives et économiques.

La presse doit illustrer l’action révolutionnaire. L’organisation unique économise les forces dispersées et assure la stabilité. Une usine est plus puissante que des ateliers éparpillés. Donc les intérêts locaux sont mieux défendus par des organes non locaux. La presse doit révéler les vices essentiels. Il faut une armée de reporters social-démocrates. Il faut se regrouper par profession et pas uniquement par lieu de travail. Les exemples d’ici encouragent les luttes d’ailleurs. Le journal est comme le fil qui aide le maçon à placer ses pierres, ou comme l'échafaudage. Le journal est propagandiste, agitateur et organisateur. Une troupe déjà rassemblée et organisée peut préparer des manifs. La police a plus de mal à découvrir les racines d’un journal non local. Le journal est l’étincelle de l’incendie. L’insurrection est la riposte du peuple au gouvernement.


3. Un pas en avant deux pas en arrière (1904)

L'article de Lénine « Un pas en avant, deux pas en arrière » répond à l'article de Rosa Luxemburg « Questions d'organisation dans la social-démocratie russe ». Après le deuxième congrès du parti en 1903, Lénine y justifie la division entre bolcheviques (majoritaires) et mencheviques (minoritaires), c’est-à-dire entre révolutionnaires et opportunistes (réformistes). L’opportuniste est instable, inconséquent.

Lénine regrette que l’organisation sociale-démocrate manque de verticalité, de cohésion, de sélectivité dans les membres du parti. Il oppose les intellectuels petits bourgeois, les anarchistes ou autonomes aux défenseurs du centralisme. Les opportunistes et “anarchistes” mencheviques sont opposés aux “bureaucrates” “formalistes” bolchéviques. 

L’accusation de “bureaucratisme” vient en fait de ceux qui sont contre la direction. Mais le vrai bureaucratisme, c’est la préséance, la soumission aux intérêts de carrière et non à la cause, l’attention au poste plutôt qu’au travail.  

Le parti doit être bien organisé. Il ne se confond pas avec l’ensemble de la classe ouvrière afin de garder une certaine cohérence. Lénine condamne aussi l’esprit de cercle, par rapport à celui de parti, qui divise le mouvement en chapelles. L’intellectuel petit bourgeois manque de discipline. Cependant, les capitalistes et les intellectuels peuvent prendre part à la lutte du prolétariat. Il ne faut pas confondre l’antagonisme de classe entre bourgeois et prolétaire et celui entre individus. Toutefois l’intellectuel se situe en principe entre le prolétaire et le bourgeois. Economiquement, il est prolétaire, mais son état d’esprit est différent. 

Le prolétaire agit comme parcelle d’une masse. Les prolétaires sont préparés à l’organisation et la discipline. La fabrique a un côté exploiteur mais aussi un côté organisateur. L’organisation est l’arme de la lutte des classes. La haine de la discipline vient de l’aigreur. L’intellectuel défend sa personnalité. Il est réfractaire à la discipline, comme on le voit avec Nietzsche ou Ibsen. Les anarchistes veulent ainsi des droits individuels illimités.


4. Deux tactiques de la sociale démocratie (1905)

Ce texte revient sur les textes tout juste adoptés, quelques semaines avant, par le troisième Congrès du Parti Ouvrier Social Démocrate de Russie, auquel n’ont participé que les bolcheviks. Lénine discute dans ce texte de différents scénarios, de différentes politiques que pourraient vouloir jouer les différentes parties de la bourgeoisie. Face à cela, Lénine y développe la politique que doivent mener les sociaux démocrates. C’est une brochure où Lénine polémique avec d’autres sociaux démocrates que les bolcheviks, notamment les militants regroupés autour de « la nouvelle Iskra ». Cette brochure vise à convaincre tous les socio-démocrates de la politique de Lénine.

Lénine prône le maintien de structures clandestines, tout en développant aussi des structures plus légales, pour se préparer à un changement de contexte politique où le prolétariat doit augmenter sa place politique dans la lutte de classe, et ne pas laisser l’initiative politique à la bourgeoisie. Lénine y revient aussi sur la polémique sur le mot « dictature », qui signifie en fait « gouvernement ». Lénine polémique dans cette brochure avec ceux qui nient le rôle du parti social démocrate, car cela revient à ne pas se doter de l’outil pour aller jusqu’au bout de la prise du pouvoir par les travailleurs. Sans l’action politique du prolétariat révolutionnaire, il n’y aura pas de prise du pouvoir par ce prolétariat révolutionnaire.

Les anarchistes sont contre la participation à tout gouvernement alors que Marx entend y faire entendre l’influence des révolutionnaires pour l’insurrection. L’insurrection sera suivie d’un gouvernement révolutionnaire provisoire. La commune de Paris était trop confuse. Sans action par en haut, l’assemblée sera sans force. Lénine défend l’action par la base des travailleurs mais pas sans une direction politique. La dictature du prolétariat suppose une assemblée active avec la force révolutionnaire, l’unité de la volonté et de l'intérêt du peuple ouvrier et paysan. La victoire de la révolution repose sur le peuple du prolétariat et de la paysannerie. Le rôle de la classe ouvrière dans la révolution est fondamental. Mais elle sera l'œuvre des ouvriers éduqués. L’éducation des ouvriers est importante. 

Lénine pense que la politique des anarchistes et des populistes ne remet pas vraiment en cause la place prépondérante de la bourgeoisie dans la situation politique. Anarchistes et populistes refusent l’étape bourgeoise. Or le salut du socialisme est dans le passage par le capitalisme. Car la révolution bourgeoise abolit le servage. Mais le bourgeois conserve les vestiges du passé. Il réforme uniquement. Il faut retourner contre la révolution bourgeoise ses armes. Le prolétariat souffre des atermoiements réformistes de la bourgeoisie. La force vive se confronte à une superstructure archaïque. La vieille superstructure craque et la nouvelle existe de fait. La transformation sociale est inéluctable mais il y a deux possibilités : la révolution ou le compromis entre le Tsar et la bourgeoisie. Lénine critique l’idéologie inconsciente petite bourgeoise des sociaux-démocrates. Une révolution bourgeoise ne remet pas en cause le capitalisme. La sociale-démocratie doit choisir sa tactique. Elle hésite entre syndicalisme ou insurrection. Or, la lutte ne doit pas être qu'économique mais aussi politique. Elle doit conduire à la dictature du prolétariat et suppose l’insurrection armée. Lénine compare la position révolutionnaires contre les opportunistes à la terreur jacobine plébéienne contre la réforme girondine pendant la Révolution française, même s’il y a une différence entre la république française et la révolution russe. Il faut vraiment souhaiter la victoire quand on combat et s’en donner les moyens. La révolution n’est pas pour autant un acte de violence gratuite. C’est une réaction aux actions de répression. Le pacifisme de la classe bourgeoise face au tsar a une visée conservatrice. 

L’exposé abstrait doit être remplacé par la transformation de la société avec des mots d’ordre. Les paroles creuses valent moins que des mots d’ordre. Les revendications portent sur : la journée de travail, l’instruction, l’inspection ouvrière, les comités, les élections. Mais quand des concessions sont faites aux ouvriers par la bourgeoisie, c’est pour étouffer l’esprit de révolte. Les mots d’ordre, les tactiques politiques, peuvent aider le prolétariat révolutionnaire à comprendre la situation, et à marcher vers la prise du pouvoir et de là vers la transformation de la société, tout au long de ce processus. Lorsque les travailleurs expérimentent de véritables assemblées générales, où ce sont vraiment eux, après avoir eu le temps de débattre, qui décident des revendications, des moyens d’action, y compris en révoquant éventuellement tel ou tel dirigeant de la grève, on fait à la fois agir les travailleurs, on les rend plus conscients politiquement, on met en place un double pouvoir. On installe la base de la transformation de la société si la situation perdurait dans le temps.

Dans la préface écrite en 1905, Lénine rappelle avec ses mots un principe marxiste : c’est l’existence qui détermine la conscience. La révolution enseignera donc aux masses ouvrières de Russie le social-démocratisme. Les travailleurs, durant leurs luttes, dans leurs grèves, dans leurs débats, apprennent, se politisent. La révolution confirmera dans la pratique le programme et la tactique de la Sociale Démocratie défendue par Lénine et ses camarades. Elle montrera la nature véritable des diverses classes sociales. C’est toujours à travers l’analyse de classe que l’on peut comprendre qui est qui, qui fait quoi, dans telle ou telle situation politique. La révolution montrera le caractère bourgeois de la démocratie actuelle et les aspirations véritables de la paysannerie, qui n’est « révolutionnaire » que dans le sens démocratique bourgeois, porteuse non pas de l’idée de socialisation, mais d’une nouvelle lutte de classe entre la bourgeoisie paysanne et le prolétariat rural.

 Mais la situation objective, la lutte de classe, le contexte politique, l’action des sociaux-démocrates, va permettre une scission entre la bourgeoisie paysanne - car la paysannerie n’est pas homogène - et les travailleurs des champs. La révolution instruira les socio-démocrates et les masses populaires. Ce dont il s’agit, pour un parti politique engagé dans la lutte, c’est de savoir s’il sait enseigner quelque chose à la révolution, s’il sait mettre à profit la justesse de sa pensée sociale démocrate, sa liaison avec le prolétariat, seule classe révolutionnaire jusqu’au bout, pour marquer la révolution d’une empreinte prolétarienne, pour l’amener à une victoire décisive en fait et non en paroles. 

Lénine revient à ses idées développées dans Que Faire : le rôle du parti. L’issue de la situation politique dépendra du parti, s’il réussit à intervenir, ou pas, dans ce contexte politique. Est-ce que le parti sera assez discipliné dans son action, utilisera les bonnes tactiques, la bonne stratégie d’implantation des idées sociales démocrates parmi les travailleurs, pour non pas seulement porter le socialisme en paroles, mais en obtenant la victoire décisive, c’est-à-dire enlever le pouvoir à la classe bourgeoise ?

  Il ne faut pas se limiter à une révolution comme celle de 1789, où la classe ouvrière jouera le rôle d’un auxiliaire de la bourgeoisie, puissant par l’assaut qu’il livre à l’autocratie, mais impuissant politiquement. La classe ouvrière devra diriger la révolution populaire jusqu’à prendre la situation politique en main, jusqu’à ce que ce soit la classe ouvrière qui soit déterminante, et jusqu’à balayer non seulement l’autocratie aristocrate du pouvoir, mais aussi la bourgeoisie. Les mencheviks voudront en rester au fait d’évacuer l’aristocratie, voire même seront prêts à un retour des blancs au pouvoir. Les bolcheviks suivront Lénine dans la seconde approche. La brochure revient aussi sur le caractère politique autocratique de la prise du pouvoir de 1789 comme révolution bourgeoise de par sa nature économique et sociale. La bourgeoisie réclame « la liberté » pour ses seuls intérêts : c’est pour cela qu’il ne faut pas en rester à réclamer « la liberté ». Les travailleurs et les sociaux démocrates doivent se battre pour la liberté politique. Ce combat doit être mené autour du prolétariat, seul biais pour ne pas en rester à un scénario à la 1789 qui amène la bourgeoisie au pouvoir.

Lénine développe donc l’idée qu’il faut faire attention à ce que l’on dit aux travailleurs. L’élaboration de décisions tactiques correctes a une importance énorme pour un parti qui veut diriger le prolétariat dans un esprit rigoureusement marxiste et non pas simplement se laisser remorquer par les évènements. Lénine martèle, répète, reformule ses idées pour qu’elles soient comprises par les militants qui l’entourent, dans le contexte des polémiques avec les mencheviks, et dans celui des efforts de Lénine pour être compris de ses camarades, malgré l’éloignement géographique, dans une période où internet n’existait pas, dans une situation où réunir régulièrement et souvent les militants était très compliqué, pour des raisons tant géographiques, financières, que policières.


5. Marxisme et révisionnisme (1908)

Lénine reconnaît la victoire du marxisme dans le mouvement ouvrier. Par contre, il relève un anti-marxisme dans le marxisme depuis 1890 qu’il appelle révisionnisme et dont Bernstein est un représentant important. Philosophiquement, il repose sur un néokantisme antimatérialiste et donc une sorte d’idéalisme clérical qui s’oppose à Hegel et à la dialectique.

En économie politique, les révisionnistes ne comprennent pas l’évolution du capitalisme et la lutte des classes. Ils ont un point de vue de propriétaire et non de prolétaire. Ils nient les crises. Ils sont pour une alliance avec la bourgeoisie et pour le parlementarisme. Le révisionnisme est sans but révolutionnaire. Il touche les couches moyennes des petits patrons. La lutte contre le révisionnisme au sein du mouvement socialiste est donc un prélude au grand combat révolutionnaire, avec la prise du pouvoir, qui est l'aboutissement de la lutte de classe.

Le but de la propagande révolutionnaire est de faire mûrir politiquement un certain nombre de travailleurs des usines et des champs, en cette période de guerre sous l'uniforme, pour préparer justement la désagrégation de l'armée aux mains de la bourgeoisie, afin qu'au moment de l'insurrection les choses se passent au mieux. C'est ce qui se passera d'ailleurs quelques mois plus tard en octobre. De plus, la révolution ne saurait être que nationale, il faut prendre l'initiative d'une Internationale Révolutionnaire.

Lénine est accusé de vouloir une guerre civile au sein de la démocratie révolutionnaire. Il répond qu’il n'est pas pour une guerre civile au sein des soviets. Il souhaite juste polémiquer sur la politique qui y est menée majoritairement (les bolcheviks y étaient minoritaires à ce moment), à la fois dans les soviets, mais aussi dans les entreprises, les casernes, les campagnes, pour faire évoluer politiquement les travailleurs, soldats, et paysans pauvres.


6. Matérialisme et empiriocriticisme (1909)

Lénine poursuit sur le terrain philosophique sa lutte politique contre le “révisionnisme” de ceux qui défendent un marxisme vidé de son matérialisme. L’empiriocriticisme constitue le modèle de ce révisionnisme. Il est basé sur la philosophie de Mach, laquelle se rattache selon Lénine à l’idéalisme de Berkeley. L’idée principale est qu’il n’existerait pas de matière extérieure à l’expérience de la conscience et des sensations. Le monde serait construit par le sujet pensant à partir de ses sensations. Ce point de vue “positiviste” (selon lequel on ne peut rien connaître au-delà de ce qui nous apparaît), apparenté aussi à celui de Kant, est qualifié de solipsiste. La matière ne serait alors qu’une catégorie métaphysique construite à partir de l’expérience sensible. Lénine oppose à cela, en s’appuyant  sur la théorie de l’évolution, que le monde existe avant qu’on l’observe. Il existe une nature matérielle avant l’histoire humaine. De même les choses existent sans être perçues. Cette idée, présente chez Marx, se trouve déjà chez Hegel lorsqu’il affirme que « le plumage multicolore des oiseaux brille, même s’il n’est vu par personne » (Esthétique). Par ailleurs, précise Lénine, nos sensations et nos pensées proviennent de notre cerveau, qui est lui aussi matériel. 

Contre l’idéalisme subjectif, Lénine affirme donc, comme Hegel contre l’agnosticisme de Kant, que la chose en soi est connaissable, c’est-à-dire que les choses matérielles peuvent être connues. La connaissance des choses se précise en étant corrigée peu à peu par la pratique. Il ne faut donc pas confondre les vérités objectives avec de simples croyances collectives. S’il existe bien un relativisme historique, il ne s’agit pas d’un relativisme absolu. Les vérités relatives sont des étapes vers la vérité objective. Aussi, l’homme ne crée-t-il pas les lois naturelles mais il les découvre. Il ne crée pas non plus l’espace et le temps, qui ont bien une réalité dans la matière hors de notre conscience. Sur un plan éthique, la liberté n’est pas l’arbitraire de la volonté mais la conscience de la nécessité. 

Pour Lénine, nos représentations ne sont pas des symboles arbitraires des choses mais des images qui reflètent le monde. La pensée est l’aspect supérieur de la réalité. Elle reflète la nature au lieu de simplement projeter sur elle des lumières métaphysiques. Pour Lénine, la remise en cause de la matière est réactionnaire. Elle réduit la réalité objective à une foi utile. L’empiriocriticisme est qualifié de fidéiste. Ce qu’il produit, ce n’est pas la connaissance de la matière mais des abstractions de nature théologiques. Lénine entend bien distinguer science et religion, savoir et foi, en insistant sur le fait que les hypothèses scientifiques ne se réduisent pas à des hypothèses religieuses. 

Ce qui a pu contribuer à développer ce nouvel idéalisme, c’est en science le remplacement de l’atome par l’électron, de la matière par l’énergie, qui fait croire à un mouvement sans matière. Pour l’idéaliste, le monde physique résulte de l’organisation de l’expérience. Or cette organisation relative est une étape vers la connaissance absolue. La matière n’est pas qu’une notion métaphysique. Dans les sciences sociales, cela implique que l’existence sociale ne se réduit pas à la conscience sociale, comme l’affirmait Marx. Ceux qui nient cela font de leur science un fatras verbal.


7. Trois sources du marxisme (1913)

Lénine présente, dans ce  texte, ce qu’il considère comme les trois sources principales du marxisme : la philosophie allemande, l’économie politique anglaise et le socialisme français. L’ordre de présentation est important. Lénine parle d’abord du matérialisme de Marx qui devient dialectique, c’est-à-dire inclut le changement, en s’appuyant sur Hegel. De manière plus spécifique, la dialectique historique s’occupe des changements sociaux, par exemple le passage de la féodalité au capitalisme. Le matérialisme historique considère que l’évolution sociale reflète l’évolution économique, tout comme les transformations dans la nature reflètent des processus physiques. 

Cette attention à la base économique conduit à la seconde source du marxisme, l'économie politique anglaise de Smith et Ricardo. Marx reprend l’idée de valeur travail (la valeur des marchandises dépend du temps de travail social nécessaire à leur production). Il insiste sur le fait que le rapport entre marchandises dissimule le rapport entre les hommes, c'est-à-dire les rapport de production. Il montre la formation du capital à partir du surtravail, c’est-à-dire du travail gratuit fourni par les travailleurs à l’origine du profit. Il insiste sur le rôle des machines et l’apparition du chômage pour faire baisser les salaires. Le capitalisme se caractérise par une hausse de la productivité, une socialisation de la production et paradoxalement une privatisation des revenus, ce qui engendre une anarchie et des crises économiques, ainsi qu’une lutte entre la classe des travailleurs et celle des capitalistes. 

D’où l’intérêt de Marx pour une troisième source, le socialisme français (Fourier, Saint Simon, Proudhon) dont il critique l’utopisme. La version scientifique de Marx doit aider à préparer la révolution en dévoilant les intérêts réels en jeu. Il s’agit également d’organiser la lutte du prolétariat. Lénine rend hommage dans ce texte au travail de Marx d'analyse de la société capitaliste, mais rappelle que Marx ne dit pas seulement qu'il faut comprendre le monde : "pour briser la résistance de ces classes, il n'y a qu'un moyen : trouver dans la société même qui nous entoure, puis éduquer et organiser pour la lutte, les forces qui peuvent - et doivent de par leur situation sociale - devenir la force capable de balayer le vieux et de créer le nouveau." C'est un appel au militantisme, à l'action, vers le prolétariat.

 Ce texte renvoie à des concepts, des idées, abordés par Marx et Engels dans le Manifeste Communiste. Pas une seule liberté politique n'a été conquise sur la classe des féodaux sans une résistance acharnée. Pas un seul pays capitaliste ne s'est constitué sur une base plus ou moins libre, démocratique, sans qu'une lutte à mort n'ait mis aux prises les différentes classes de la société capitaliste.


8. Opportunisme et faillite de la deuxième internationale (1915)

Lénine critique ce qu’est devenue la deuxième internationale, fondée en 1889 et qui prit fin avec la première guerre mondiale (la première internationale avait été fondée en 1864 avec les anarchistes et se termina en 1876). Ce texte a été publié en 1916, après la Conférence de Zimmerwald de septembre 1915, réunion internationale de militants socialistes internationalistes contre la guerre de 14-18 en cours. Ce texte est une étape dans l’analyse politique matérialiste de la faillite de la deuxième Internationale et vers la décision de construire de nouveaux partis socialistes, qui s’appelleront « communistes », avec la création d’une troisième Internationale en 1919 (la quatrième internationale sera crée par Trotsky en 1938). 

Lénine s’attaque en particulier au social-chauvinistes impliqués dans la première guerre. Il distingue la guerre impérialiste, comme celle de 14-18, des guerres de libération nationale (la politique à mener pour les socialistes vis-à-vis de la question nationale a été un sujet de débat entre les socialistes de l’époque). Il insiste sur le fait que la guerre impérialiste est une guerre contre le prolétariat. Il s’oppose à l’idée de collaboration de classe. Lénine compare la politique menée par les partis de la deuxième internationale, avec « le Manifeste de Bâle » de 1912, adopté contre la guerre avant son déclenchement. Il montre que la plupart des dirigeants des partis socialistes ont bafoué leurs engagements, montré leur opportunisme, sont devenus « social chauvins » (des socialistes en parole, des chauvins dans les faits) et qu’ils sont prêts à défendre « leur » patrie même lorsque cela consistait à asservir les patries étrangères.

Ce texte centre la discussion sur la dégénérescence des partis socialistes, qui sont devenus opportunistes vis-à-vis de la bourgeoisie de chacun de leur pays, ce qui est contraire aux objectifs affirmés sur le papier par ces partis. Lénine reproche à la deuxième internationale l’abandon des idées révolutionnaires et la diffusion des idées bourgeoises parmi les prolétaires. L’opportunisme, c’est-à-dire l’absence de principes clairs, s’oppose à l’organisation révolutionnaire. Lénine développe une analyse matérialiste de la dégénérescence politique de ces militants et de ces partis : « Le caractère relativement «pacifique» de la période 1871-1914 a nourri l'opportunisme, état d'esprit d'abord, tendance ensuite, et enfin groupe ou couche formée par la bureaucratie ouvrière et les compagnons de route petits bourgeois. Ces éléments ne pouvaient se soumettre le mouvement ouvrier qu'en reconnaissant en paroles les objectifs révolutionnaires et la tactique révolutionnaire. Ils ne pouvaient gagner la confiance des masses qu'en jurant que tout le travail «pacifique» n'était qu'une préparation à la révolution prolétarienne. Cette contradiction était l'abcès qui devait un jour percer, et qui a percé. »


9. L'impérialisme, stade suprême du capitalisme (1916)

Lénine reproche aux réformistes et aux chauvins de soutenir politiquement l’impérialisme. L’impérialisme soumet les pays pour piller leurs ressources. Il ne peut déboucher sur aucune solution vertueuse, comme le prétend Kautsky avec son “superimpérialisme”. Le libre échange, avec le chauvinisme et la guerre des monopoles, doit disparaître pour laisser place au socialisme.

Les grandes puissances coloniales et les capitalistes se partagent le monde pour la matière première et à travers des monopoles électriques, pétroliers et métallurgiques. Lénine insiste sur le rôle joué par les chemins de fer et la technologie dans ce pillage. Si le développement technique contribue à la socialisation de la production, l’appropriation elle reste privée. Ce qui aboutit à la concentration des richesses et aux monopoles. Les capitalismes industriels et financier s’interpénètrent. A l’exportation des marchandises s’ajoute celle des capitaux.

Lénine analyse la situation du capitalisme, qui a pendant un temps apporté un certain niveau de vie à une petite partie du monde, mais qui désormais, rendu à son « stade suprême », « l’impérialisme », où l’antagonisme entre les différentes bourgeoisies nationales est à son comble, apporte la guerre. Pour Lénine, ce contexte économique fait que l’on est à la veille de la révolution socialiste. Il rappelle son analyse de la guerre en cours : elle est de part et d’autre une guerre impérialiste, une guerre faite pour déterminer à quel groupe de bourgeois nationaux reviendra la plus grande part du butin. Face à cette situation, le mouvement socialiste s’est divisé, entre « sociaux-chauvins » (socialistes qui se sont adaptés à leur bourgeoisie nationale), et internationalistes (qui restent fidèles aux intérêts de tous les travailleurs, quelles que soit leur nationalité). Lénine rappelle le congrès de Bâle de 1912,  auquel participèrent Jean Jaurès et Clara Zetkin, organisé par la deuxième Internationale, où les socialistes dénonçaient la guerre qui venait. Lénine explique que la scission du mouvement ouvrier est liée à la situation objective de l’impérialisme, c’est-à-dire à la situation économique du capitalisme.

Lénine estime que la lutte politique et la polémique contre les courants traîtres aux intérêts des travailleurs est une nécessité. Il explique aussi que, dans ce contexte, il faut travailler à arracher à la bourgeoisie et aux « sociaux chauvins » les petits patrons qu’elle a dupés, de même que des millions de travailleurs placés dans des conditions de vie plus ou moins petites bourgeoises. C’est d’ailleurs en leur sein que s’est développé, grâce au gigantesque surprofit fait sur le dos des travailleurs des pays impérialistes, une couche supérieure de l’aristocratie ouvrière. Des chefs ouvriers ont été corrompus, par mille moyens, directs et indirects, ouverts ou camouflés. C’est cette couche d’ouvriers embourgeoisés qui est désormais le principal soutien de la deuxième Internationale. Et ce sont de véritables agents de la bourgeoisie au sein du mouvement ouvrier, des commis ouvriers de la classe capitaliste, de véritable propagateurs du réformisme et du chauvinisme.


10. L’Etat et la révolution (1917)

Lénine définit la doctrine marxiste de l’Etat et les tâches du prolétariat dans la révolution dans cet ouvrage rédigé à son retour en Russie. Contre les théoriciens réformistes comme Kautsky, Lénine présente l’Etat comme un instrument d’oppression de classe. Il ne peut être réformé mais doit être renversé. L’état ouvrier doit s’opposer à la bourgeoisie et viser la socialisation des biens. Une fois la société sans classe réalisée, elle deviendra de fait une société sans Etat, puisque sans classe à combattre.

Après avoir analysé l’impérialisme, Lénine analyse donc le capitalisme monopolistique d’Etat. Il s’agit d’un organisme de domination de classe qui s’appuie sur la force publique. Or la disparition de l’Etat doit succéder à celle des classes. Mais avant, il faut abattre l’Etat bourgeois par la violence. Quant à l’Etat prolétarien qui lui succèdera, il s’éteindra de lui-même avec la disparition de l’antagonisme entre bourgeois et prolétaires. Lénine distingue donc l’Etat bourgeois et l’Etat prolétarien. La destruction du premier conduit à la dictature du prolétariat, contre celle actuelle de la bourgeoisie. Sur le modèle de la commune de 1871, il s’agit de remplacer le parlement et ses bavardages inefficaces par une assemblée de représentants ouvriers élus tendus vers l’action. L’unité nationale sera garantie par le centralisme démocratique (liberté dans la discussion, unité dans l’action) et non le fédéralisme (diversité dans l’action). A la destruction de l'État bourgeois succède l'organisation du prolétariat. Les anarchistes refusent de voir que l’autorité de l'État prolétarien fait la force de la Révolution dans un premier temps. L’évolution doit être graduelle, du stade du capitalisme, à celui du socialisme étatique puis du communisme et de la démocratie sans Etat. L’étape socialiste doit s’appuyer provisoirement sur le droit bourgeois. Mais, à la fin, seul régnera la loi communiste : de chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins. « La suppression de l’Etat prolétarien, c’est-à-dire la suppression de tout Etat, n’est possible que par voie d’extinction ».

Lénine, dans ce texte, développe, une synthèse de la doctrine marxiste de l’Etat et les tâches politiques qui en découlent pour les prolétaires afin d’être en capacité de se libérer de la dictature du capital. Lénine revient sur l’analyse marxiste de l’Etat (développée avant lui notamment par Engels dans L’origine de la famille, de la propriété privée, et de l’Etat publié en 1884). Il analyse la situation politique de la Révolution de 1848/1851, dont il fait le bilan, puis la Commune de Paris de 1871. 

L’Etat est l’instrument de l’exploitation de la classe opprimée. La question de l’accès aux armes est un point fondamental de la constitution de l’Etat. L’extinction de l’Etat par une révolution inclut la question de la violence. « Sans révolution violente, il est impossible de substituer l’Etat prolétarien à l’Etat bourgeois ». Lénine polémique à la fin de sa brochure avec les courants anarchistes réfutant l’utilisation de la violence pourtant nécessaire pour briser la résistance de la bourgeoisie. Il polémique également avec les socialistes devenus opportunistes comme Kautsky, qui éludent les tâches concrètes du prolétariat durant la révolution, ne parlant du socialisme qu’avec des mots généraux, et non en vue de réellement enlever le pouvoir aux capitalistes.


11. Thèses d’avril (1917)

Dans cet article, qui détermine les tâches du prolétariat dans la Révolution, paru dans la Pravda deux mois après la révolution de février et au retour d’exil de Lénine, il présente le pouvoir de la bourgeoisie à ce moment là comme une première étape vers le pouvoir aux ouvriers et aux paysans pauvres.

Pour Lénine, la guerre doit s’achever par le renversement du capitalisme. Le pouvoir doit aller de la bourgeoisie vers le prolétariat et les paysans pauvres. Lénine refuse donc de soutenir le gouvernement provisoire. Même minoritaires, les bolcheviques doivent valoriser les soviets. Ils ne veulent pas d’une république parlementaire mais d’une république des soviets, avec la suppression de l’armée, de la police, du corps des fonctionnaires, la révision des salaires des fonctionnaires, la confiscation et la nationalisation des terres, la fusion des banques en une banque nationale contrôlée par des députés ouvriers.


12. Sur l’infantilisme de gauche et les idées petites bourgeoises (1918)

Dans cet article édité dans la Pravda, Lénine s’attaque aux communistes de gauche de la revue Kommounist de Boukharine. Lénine accuse les socialistes qui se sont positionnés contre la paix pendant la première guerre mondiale d’avoir fait le jeu des impérialistes et d’ignorer les vrais rapports de force. Ils condamnent la “passivité” des masses et brandissent des sabres en carton. Mais la fanfaronnade guerrière petite bourgeoise et la creuse grandiloquence de la défense de la patrie n’ont rien de révolutionnaire ou de socialiste.

Puis Lénine appelle la confiscation et à la socialisation de la propriété bourgeoise. Il ne suffit pas de briser l’ancien ordre mais il faut aussi organiser la nouvelle société. Dans les décisions prises par Lénine et les bolcheviks, il ne s’agit pas seulement de briser l’ancien ordre mais aussi d’organiser la nouvelle société. Lénine défend le monopole d’Etat socialiste qu’il distingue de l’Etat bourgeois. Cet Etat socialiste permet de combattre, grâce au contrôle ouvrier, les paysans bourgeois qui s’enrichissent sur le dos de la richesse sociale. Le socialisme d’Etat représente un pas en avant vers la suppression des classes sociales contre l’anarchie sociale. C’est un instrument prolétarien contre la petite propriété privée.

L’état socialiste doit emprunter les techniques du capitalisme. Comme le prolétariat russe n’est pas éduqué, comme l’était le prolétariat anglais à l’époque de Marx, il faut s’allier les capitalistes cultivés. Il ne s’agit pas de « conciliation avec la bourgeoisie ». Les spécialistes venus des rangs capitalistes à la direction seront soumis au contrôle ouvrier. La culture et la technique bourgeoises doivent être appropriées par le socialisme. C’est une assimilation prolétarienne du capitalisme. Il faut exproprier les capitalistes, s’instruire auprès d’eux et non chercher à les éduquer. Mais le pouvoir doit revenir en dernière instance aux travailleurs. Cela consiste à faire en sorte que ce soit les travailleurs en lutte qui décident de leur grève et pas les bureaucrates. Les militants doivent être formés dans ce sens. L’approche de Lénine consistant à prendre les choses utiles et les compétences acquises de l'ancienne société, mais sous le contrôle des travailleurs ou de leurs représentants, a aussi été utilisée au niveau militaire, avec l'utilisation d'anciens officiers, mais contrôlés par des commissaires politiques.

 

13. La révolution prolétarienne et le renégat Kautsky (1918)

Dans cette brochure, Lenine s’oppose à kautsky qui critique la dictature du prolétariat dont se réclame Lénine et l’usage de la violence. Pour Lénine, la dictature est nécessaire pour préserver la révolution et réaliser le socialisme. Selon lui, Kautsky dénature Marx. La position de Kautsky relève du chauvinisme, de l’opportunisme et de l’impérialisme et est détachée de tout horizon révolutionnaire. Avec Kautsky, la démocratie bourgeoise remplace la dictature du prolétariat. Kautsky fait de Marx un libéral et non un révolutionnaire, à la manière de Bernstein. Pour Lénine, la démocratie bourgeoise est un leurre. Le suffrage ne sert au peuple qu’à recruter ceux qui l’exploitent. A la différence des soviets dans une démocratie ouvrière, les parlementaires ne représentent pas le peuple. Pour Lénine, l’Etat bourgeois est toujours répressif et violent et faussement protecteur. L’utilisation du parlement bourgeois est toujours limité. Dans ce cas, la violence des exploités contre la bourgeoisie n’est nullement une violence contre une vraie démocratie. La violence révolutionnaire répond à la violence réactionnaire. L’armée, qui sert de rempart au capitalisme, doit être défaite par les ouvriers en armes pour former une nouvelle armée. Ainsi il ne peut y avoir de révolution sans violence. 

Lénine entend renverser l’impérialisme et certainement pas le corriger. Il rejette toute collaboration de classe. Selon les préjugés bourgeois, le pouvoir du peuple serait arbitraire. Mais l’assemblée constituante que préfère la bourgeoisie possède un contenu de classe. La destruction de l’Etat bourgeois conduit à la formation d’un Etat prolétarien. Le soviet devient alors un Etat populaire qui abolit la propriété terrienne et la nationalise. Le but de la révolution n’est pas seulement l’expropriation mais aussi une autre gestion qui n’avantage aucun exploiteur. L’élection, dans un parlement bourgeois, peut servir occasionnellement de caisse de résonance des idées révolutionnaires. Mais il n’y a aucun espoir de changer les choses via cette structure. La prise du pouvoir par la classe des travailleurs se fera dans les entreprises, avec des conseils ouvriers, des soviets, des structures mises en place et contrôlées par les travailleurs, c’est-à-dire les ouvriers et les paysans pauvres (les paysans riches appartiennent à la bourgeoisie du fait de la spéculation sur le blé).

 Enfin Lénine oppose la lutte des classes au nationalisme petit bourgeois. Il place la classe au dessus de la nation. Il prône une révolution européenne vers la dictature du prolétariat, le pouvoir des soviets, le pouvoir des masses au dessus de celui des chefs. Puisque les bourgeois développent une complicité à l’échelle internationale, il faut développer des lienS internationalistes contre le brigandage, la guerre impérialiste et l’esclavage salarié.


14. De l’Etat (1919)

Ce texte est une conférence faite en juillet 1919 à l’université de Sverdov à Moscou qui traduit la vision marxiste de l’Etat. Pour comprendre la nature de l’Etat, Lénine se rapporte à l’Origine de la famille, de la propriété privée et de l’Etat de Engels qui décrit les étapes de son développement. Après le système clanique du communisme primitif, l’Etat est apparu comme appareil coercitif d’une classe sur une autre avec son armée et ses prisons. Lénine reprend la théorie des stades de Marx et Engels, en distinguant d’abord les périodes de l’esclavage puis du servage où les classes possédantes s’appropriaient les fruits du travail des travailleurs. Le développement de l’argent a mené au capitalisme et à l’utilisation de la force de travail des prolétaires.

La bourgeoisie idolâtre l’Etat dans la mesure où il défend ses intérêts. Le but de l’Etat est de maintenir la domination des exploiteurs sur la classe productive en l’obligeant à travailler pour eux. Ce qui n’est possible qu’avec la possibilité technique de produire un excédent de richesse à un certain stade de développement. Les Etats furent de formes diverses, comme par exemple celui esclavagiste contre lequel a eu lieu le soulèvement conduit par Spartacus.

Le socialisme s’oppose à l’Etat capitaliste qui protège la propriété et défend une fausse liberté. Car, en réalité, il soumet les travailleurs ouvriers et les paysans pauvres. L’illusion du suffrage universel, de l’assemblée constituante et du parlement ne doivent pas faire oublier que domine toujours le capitalisme. Lénine distingue la république bourgeoise de la république féodale. La république bourgeoise a permis l’évolution de la classe ouvrière, la culture des villes et l’apparition d’un parti socialiste même si règne le capital. Le but du socialisme est de s’emparer de l’appareil d’Etat pour détruire l’exploitation. Une fois celle-ci disparue, l’Etat n’aura plus lieu d’être.

Le processus de la révolution ouvrière, avec ses conseils de travailleurs dans les entreprises, coordonnés au niveau des villes, des régions, des pays, constituera un nouvel Etat aux mains des travailleurs armés qui, pendant un temps, comme le décrit Lénine, travaillera à faire disparaître les différentes classes sociales et à protéger, les armes à la main, le processus révolutionnaire. Cet Etat n'aura rien à voir avec les précédents, car il sera sous le contrôle de l'immense majorité de la population.


15. Tâches de la IIIe internationale (1919)

Lénine réagit dans ce texte à un article de l’Humanité du 14 avril 1919 rédigé par Ramsay Mac Donald, chef du parti ouvrier indépendant britannique. Il qualifie ce parti d’opportuniste, de centriste et estime qu’il est dépendant de la bourgeoisie. Ramsay Mac Donald trouve la scission de la troisième internationale d’avec la deuxième inutile. Au contraire, selon Lénine, le point de vue de Ramsay Mac Donald prouve la nécessité de rompre avec les positions qui masquent la politique bourgeoise au sein du mouvement ouvrier. Les couches supérieures de la classe ouvrière se sont embourgeoisées. Ce qu’il appelle les socio-chauvins ce sont ceux qui mènent des politiques chauvines en utilisant un discours social. Les militants de la deuxième internationale ont en vérité des positions réformistes, opportunistes et chauvines. Ils ne sont socialistes qu’en parole. Lénine fait également une nette distinction entre la république parlementaire bourgeoise et la république des conseils (soviets). La liberté et l’égalité des propriétaires n’est pas celle des prolétaires. Ce qui importe surtout, c’est l’abolition de l’exploitation. La jouissance réelle vaut plus que le droit.

L’objectif de la guerre pour Lénine n’est pas la libération nationale mais la révolution prolétarienne. La guerre impérialiste doit donner l’impulsion de la Révolution. Contrairement à ce que pense les réformistes, il faut pousser à la guerre civile et parvenir à la dictature du prolétariat. Si les réformes sont acceptables, ce n’est pas parce qu’elles représentent un fin en soi, mais parce qu’elles constituent des moyens en vue de la révolution. Les paroles seront toujours moins puissantes que les armes. Les grèves, les manifestations, les meetings, les tracts, les organisations et les appareils sont le germe de la révolution à venir. Le succès de la révolution dépend aussi du long travail du parti. Les militants bolchéviques doivent savoir combiner l’action légale et l’action illégale.


16. La maladie infantile du communisme (1920)

Lenine critique dans cet essai la stratégie d’une partie de la troisième internationale qui refuse de participer aux élections et syndicats dans les régimes parlementaires au nom de  certains principes et qui se prive ainsi d’une tribune auprès d’une bonne partie de la classe ouvrière. Rédigé au printemps 1920, en vue des débats du deuxième congrès de l’Internationale Communiste, cette brochure fut distribuée à tous les délégués. Elle a pour objectif de transmettre l’expérience et d’apporter aux militants de l’Internationale Communiste le capital politique des bolcheviks, alors que la révolution russe est toujours isolée. L’idée de Lénine est d’apporter à ces militants socialistes (désormais renommés « communistes »), qui n’ont pas vécu de l’intérieur les combats politiques, les tactiques des bolcheviks pour gagner en influence parmi les travailleurs et une synthèse des conditions du succès des bolcheviks en Russie. Lénine souligne l’importance de la démarcation politique entre les communistes et leurs ennemis au sein du mouvement ouvrier, ainsi que le rapport entre parti et classe.

Lénine récapitule les étapes de la révolution. En 1903, trois tendances cohabitaient : les partis bourgeois, petits-bourgeois et prolétariens. En 1905, apparurent les soviets (conseils ouvriers). En 1907, les bolchéviques durent apprendre à alterner l’offensive et la retraite dans leur stratégie. En 1910, il fallait maîtriser à la fois la légalité et la clandestinité. En 1914, ce fut le moment de l’exil et de l’analyse. En 1917, les soviets furent de retour avec la révolution. Lénine tire de cette brève histoire de la révolution la leçon qu’il faut savoir faire utiliser différentes tactiques. Les gauchistes eux sont dans l’opposition de principe. Or il faut distinguer le compromis par nécessité, quand il n’y a pas le choix, et les compromis par trahison qui caractérisent l’opportuniste. Il y a le compromis par nécessité (ne pas vendre un journal ouvertement dans une entreprise du fait des lois réprimant l’activité politique parmi les travailleurs), et le compromis par trahison (ne pas faire de propagande parmi les travailleurs pour s’assurer une meilleure place). Lénine ne s’oppose pas catégoriquement à l’utilisation du parlement bourgeois. L’ignorer ne le détruira pas. Si l’on ne fait aucun compromis, on ne peut gagner en influence. C’est justement le problème des gauchistes. Pour Lénine, il faut viser avant tout à diffuser les idées communistes, à travers la participation au parlement et la diffusion d’un journal.

Lénine se distingue aussi des gauchistes sur le rôle des chefs et de la discipline qu’il défend dans le parti. Selon lui, on ne peut s’appuyer uniquement sur les masses et les syndicats sans faire le jeu de la réaction. Lénine s’interroge sur les conditions du succès de la révolution bolchéviques qui représente un modèle à ses yeux. Cela tient d’abord à la discipline du parti. Cette discipline découle d’une réflexion et d’une organisation qui a eu lieu durant l’exil de ses militants.



17. Testament (1922)

Dans les notes de Lénine écrites à la fin de sa vie que l’on nomme Testament, il recommande d’augmenter l’effectif du comité central pour le renforcer contre le risque de scission. Dans un contexte de guerre et de famine, il s’agit de stabiliser le pouvoir. Lenine voudrait que l’on recrute des jeunes, car les vieux membres du soviet ont de mauvaises habitudes. La manière dont s’effectue la planification économique est remise en cause. Au lieu d’une approche réellement scientifique, elle est corrompue par l’excès bureaucratique.

La cohésion du comité central est menacée par les tension entre Staline et Trotsky. Lénine note que Staline possède trop de pouvoir et dénonce sa brutalité. Il voudrait le remplacer par quelqu’un de plus tolérant. Staline prend des décisions de façon inappropriée. Il doit être remplacé dans sa fonction de secrétaire général par un militant plus patient, plus loyal et plus attentionné aux autres. Lénine juge Trotsky plus compétent, en dépit de sa tendance à ne considérer que le côté administratif des choses et à montrer un peu trop d’assurance. Il défend la position internationaliste de Trotsky contre celle nationaliste de Staline et déplore le manque d’aide des autres pays. Il accuse Staline de ne pas avoir d’approche internationaliste et même de faire preuve de chauvinisme.


Conclusion

Lénine ne mène pas uniquement son combat politique et intellectuel contre le capitalisme mais également contre certaines tendances petites-bourgeoises du mouvement ouvrier de la seconde internationale. Il ne craint donc pas de s’opposer aux autres mouvements ouvriers, dès lors qu’ils mettent en échec la réussite de la révolution prolétarienne. Il condamne leur idéalisme, leur manque de discipline et d’organisation, leur absence de scientificité. 

Lénine cherche à rester fidèle aux principes de Marx et Engels, tout en les réactualisant. Le capitalisme des années vingt, sous sa forme impérialiste, s’est transformé par rapport à celui qu’a connu Marx à la fin du XIXe. Lénine analyse le phénomène des monopoles étatiques, industriels et bancaires, le développement du colonialisme et de la technologie. Il réfléchit au rapport que le prolétariat doit entretenir avec l’Etat pour s’émanciper de sa domination, tout en profitant de sa force organisationnelle dans le combat contre la bourgeoise. Enfin la méthode de Lénine est à la fois historique, de par l’étude des processus révolutionnaires, et dialectique par son souci d’éviter les écueils d’un côté de l’opportunisme (absence de principes, réformisme) et de l’autre du gauchisme (absence de sens tactique, idéalisme,  sectarisme).

 Le combat de Lénine est à la fois un combat sur le fond. Il reprend à son compte le projet communiste de Marx et Engels et les expériences de 1848 et 1871 en vue d’une révolution socialiste expropriant la bourgeoisie et abolissant les classes sociales. Et sur la forme, il montre que le courant communiste en Russie a réussi à convaincre, à survivre, à ne pas trahir, grâce à l’utilisation de la polémique et de tactiques répondant aux différents débats et situations. Tout cela n’aurait pas pu vivre non plus sans la constitution d’une organisation, qui à travers ses journaux et la diffusion des débats, cultivait, politisait un maximum de militants.


Solène  Quéry


Image : Victor Deni, Le camarade Lénine balaie l'écume de la terre, 1920

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