INTRODUCTION
0.1 - Définitions
0.11 – La philosophie :
art de la réflexion ; analyse conceptuelle ; recherche de la clarté,
de la vérité et de la justice ; critique des sophismes et des préjugés ;
modèle de référence logico-mathématique.
Cf. Platon 428-348 & Aristote 384-322 ; Encyclo-philo.fr ;
Plato.standford.edu ; B. Russell, La méthode scientifique en
philosophie, 1914 ; P. Engel, Précis de philosophie analytique,
2000.
0.12 – Le design :
art de la conception ; recherche du beau et de l’utile ; critique de
l’inconfort et de la laideur ; modèle de référence architectural.
Cf. William
Morris 1834-1896 & Walter Gropius 1883-1969 ; G. Parsons, The philosophy
of design, 2005 ; S. Cardoso, Philosophie du design,
2013 ; S. Vial, Court traité du design, 2014 ; P-D. Huyghe,
A quoi tient le design, 2020.
Exercice : quelle est la relation entre la
philosophie et le design ?
0.2 – L’utilité de la philosophie pour le design
0.21 – Généralité. Définition
conceptuelle, cohérence interdisciplinaire ; contextualisation
large ; défragmentation disciplinaire ; perspectives
épistémologiques, esthétiques et éthiques des projets.
0.22 – Finalité.
Compréhension des systèmes culturels et de
la structure matérielle des dispositifs techniques ; anticipation des
conséquences et de l’impact socio-environnemental des projets.
0.23 – Responsabilité.
Réflexion critique, communication claire, aide à la décision, souci de la
liberté, de la justice et du bonheur.
Exercice : que peut apporter la philosophie au
design ?
0.3 – La méthode générale
0.31 – La préparation. Partir
d’une étude de cas ou d’une demande et dégager sur une carte mentale des
concepts, du vocabulaire, des définitions, des champs d’étude, des thèses, des
problématiques, des arguments, des exemples et des références (4w = who, what, when,
where).
0.32 – La rédaction
0.321 – L’introduction
Illustrer l’enjeu avec un exemple comme amorce. Formuler
la problématique sous forme d’une série progressive de questions correspondant
aux chapitres du plan, ce qui rend l’énoncé du plan facultatif (ex. « Le
design améliore-t-il la vie ? Peut-il la rendre plus difficile ?
Qu’est-ce qu’un bon design ? »). Rédiger cette introduction après le
développement et la conclusion (mais bien la présenter au début).
0.322 – Le développement
Différents plans sont possibles et combinables :
thèse antithèse, surface profondeur, analyse critique, problème solution,
opposition composition, champs d’études.
Les thèses présentées doivent être justifiées par des
arguments et étayées par des exemples ou des références (4w).
Les arguments sont des raisonnements organisés par des
connecteurs logiques. Les principaux connecteurs logiques sont la négation (ne
pas), les conjonctions additives (et, des plus, par ailleurs) ou restrictives
(mais, cependant, or, toutefois), les disjonctions inclusive (et/ou) ou
exclusive (soit, soit), le conditionnel (si… alors) et le biconditionnel (si et
seulement si), les quantificateurs (tous, quelques et aucun) et les modalités (nécessité,
possibilité et existence).
Les raisonnements fondamentaux sont les syllogismes avec
les prémisses et leur conclusion (si tous les hommes sont mortels et si x est
un homme alors x est mortel). Les prémisses et la conclusion sont des
propositions constituées de sujet(s) et d’un prédicat (x dort, x n’aime pas y).
Les sophismes sont des raisonnements inconséquents (si x est un homme et si x
est mortel alors tous les hommes sont mortels ; si tous les hommes sont
mortels et si x est mortel alors x est homme ; si tous les hommes sont
mortels et si x n’est pas un homme alors x n’est pas mortel).
0.323 – La conclusion
Récapituler les points importants et apporter une réponse
personnelle. Eviter les ouvertures et le relativisme (chacun son opinion) qui
donnent l’impression de ne pas avoir avancé.
Cf. D. Vernant, Introduction à la logique,
2011 ; J. Russ, Les méthodes en philosophie, 2017 ; R.
Pouivet, Philosophie contemporaine, 2018.
0.33 – L’exposition orale
S’aider d’une fiche mémoire pour oraliser. Interagir avec
le diaporama sans lire. N’écrire sur le diaporama que les titres, les mots
clés, les légendes et les sources (4w et non les URL). Ne pas remplacer
l’introduction par un simple sommaire et bien finir avec une conclusion.
0.4 – Plan du cours
I. LE LANGAGE ET LA CONNAISSANCE : les conditions
épistémiques nécessaires à l’étude des sciences, des arts et de la société. Les
signes linguistiques et non linguistiques. Les vérités scientifiques et non
scientifiques. La perception de la réalité. Les structures matérielles et
formelles de la réalité. Les espace-temps objectifs et relatifs.
II. LA NATURE, LA TECHNIQUE ET L’ART :
l’anthropologie à travers l’écologie, la technologie et l’esthétique. La connaissance de la nature. L’homme comme
animal technique. L’art comme technique symbolique. L’évolution du travail
comme histoire de la technique.
III. L’ETHIQUE ET LA SOCIETE : l’orientation éthique
du design. Les règles éthiques. Bioéthique et design. Liberté et contraintes.
La société structurée par les échanges. Les types de décisions qui modifient
les structures sociales.
I. LE LANGAGE ET LA CONNAISSANCE
I. 1 – Les signes et le langage
I. 11 – Les signes (ou
« signifiants ») sont les moyens physiques perceptibles de
représenter quelque chose pour les êtres conscients ou d’exprimer une idée. Les
signes sont donc compréhensibles et interprétables par des êtres intelligents.
- L’indice est un signe qui est causé par son
objet (symptomatique). Ex. fumée du feu, empreinte de pas, irritation de la
gorge, poids d’un paquet, nuage menaçant.
- L’icône est un signe qui ressemble à son objet
(analogique). Ex. carte, portrait, paysage, schéma, radiographie, planche
anatomique, plan, bd, photo, film.
- Le symbole est un signe qui est lié à son objet
par convention (arbitraire). Ex. drapeau, mot, solfège, insigne, blason, logo,
geste, costume.
Cf. CS Peirce (1839-1914), Ecrits sur le signe.
- Le media est le support des signes. Ex. Page, écran,
corps, affiche, emballage, écouteur, enceinte, mur. Cf. R. Debray, Cours de
médiologie, 1991.
Exercice : cherchez des exemples de médias et de
signes dans le champ du design.
I.12 – La référence et le sens
(« signifié »)
La référence est l’objet ou la classe d’objets, réel
ou non, concret ou abstrait, désigné par le signe. Ex. je, toi, Napoléon,
Astérix, les étudiants, les aliens, le courage, le PSG, les nombres impairs
etc.
Le sens dénotatif est le concept objectif et
invariable exprimable par une définition. Ex. Napoléon fut empereur de France. Le
chat est un mammifère de la famille des félidés. La chaise est un mobilier pour
s’asseoir. La même référence peut avoir différents sens objectifs et donc être
décrite différemment. Ex. x est la mère de y et la femme de z. Sartres fut
philosophe et écrivain. Cf. G. Frege, Ecrits logiques et philosophiques,
1925.
Le sens connotatif est relatif et variable. Il exprime
une évaluation individuelle ou culturelle, esthétique ou éthique. Ex. Napoléon
fut un tyran ou un grand homme. Les Beatles sont démodés ou indémodables. Le
chien est un animal fidèle ou servile. Cf. R. Barthes, Mythologies, 1957 ;
L’aventure sémiologique, 1995.
Exercice : cherchez les sens connotatifs et
dénotatifs d’un ouvrage design (produit, architecture, graphisme, etc.).
I. 13 – La relation entre le signe
et le sens
- Le signe est polysémique s’il a plusieurs sens.
Ex. « Orange » : fruit, couleur, etc. ; quiproquo « un
grand homme ». De même, un objet-signe peut être polyvalent et avoir plusieurs
fonctions (dénotations). Ex. la chaise comme assise, escabeau, repose pied,
porte manteau. Il peut avoir aussi plusieurs valeurs (connotations). Ex. un
costume élégant ou snob.
- Les signes sont synonymes s’ils ont le même
sens. Ex. « voyou », « vaurien », « chenapan », « racaille »,
« délinquant ». On a parfois considéré que la logique et les
mathématiques relèvent de la synonymie, tout comme la traduction, puisque la
conclusion exprime rigoureusement les prémisses. Si la dénotation reste la même
dans la synonymie, la connotation peut varier, comme c’est le cas avec les
tropes ou les traductions. Ex. « défi » ou « challenge » ;
« salarié » ou « collaborateur ». De même, des objets-signes
peuvent être équivalents et avoir la même fonction. Ex. une échelle ou un
escalier ; un banc ou une chaise. Cf.
Aristote, Les catégories, Ch1-3.
Exercice : cherchez un exemple de polysémie et un
exemple de synonymie
I. 14 – La relation entre le
signe et la référence
- Les signes influencent notre perception des référents.
Notre système symbolique participe à l’organisation du flux perceptif. Il
précise la distinction des couleurs, des sons, des odeurs, des goûts, des
émotions, des objets, des actions. Ex. « carmin », « bordeaux »,
« vermillon », « pourpre », « amarante »,
« ocre ».
- Toutefois, notre système symbolique de représentations véhicule
des illusions. Ex. généralités, préjugés, mythes, distorsion, propagande,
manipulation, etc. La philosophie critique aussi bien les imperfections du
langage ordinaire que les illusions savantes de la métaphysique.
Cf. H. Bergson, La pensée et le mouvant, 1934 ;
L. Wittgenstein, Recherches philosophiques, 1953.
Exercice : cherchez un exemple d’organisation
symbolique de la perception et un exemple de préjugé véhiculé par nos
représentations.
I. 15 – Les niveaux
linguistiques
- Le langage universel : toute langue possède
une double articulation en phonèmes (ex. p-a-r-a), soit des unités de
son ; et en morphèmes (ex. para-pluie), soit des unités de sens. Les êtres
humains possèdent tous la même compétence linguistique, quel que soit la langue,
avec des règles communes grammaticales et génératives qui permettent leur
traduction. On peut comparer cela avec le fait que toute architecture suppose
des murs, une toiture, des ouvertures, etc.
Cf. N. Chomsky, Le langage et la pensée, 1967 ;
Anna Wierzbicka, Semantic primitives, 1972.
- Les langues particulières : chaque groupe
social, en fonction du pays, de l’époque, de l’activité etc. possède sa propre
langue. Celles-ci peuvent être traduites les unes dans les autres. On peut
comparer cela avec les différents styles en architecture ou dans la mode.
Cf. F de Saussure, Cours de linguistique générale,
1916 ; ET. Hall, La dimension cachée, 1966.
- La parole singulière : chaque énoncé est
situé dans un contexte précis. L’analyse pragmatique de la performance verbale tient
compte de l’identité du locuteur et de celle de l’interlocuteur, c’est-à-dire
de l’intention du premier (illocution) et de la réaction du second
(perlocution). Le locuteur exerce des actions en parlant, comme demander,
promettre, séduire, déclarer, assigner, etc. (celles-ci correspondent à ses
attitudes propositionnelles comme vouloir, croire, douter, etc.). L’interlocuteur
réagit par la confiance, la méfiance, la joie, la colère, la fuite, etc. Si la
réaction de l’interlocuteur correspond à l’attente du locuteur, l’acte de
parole réussit. Sinon il échoue, comme lorsque quelqu’un n’apprécie pas une
blague. On peut comparer cela avec la manière dont une architecture influence
les usagers, comme le fait de se taire dans un lieu sacré.
Cf. JL. Austin, Quand dire c’est faire, 1962 ;
E. Goffman, Les rites d’interaction, 1967 ; P. Bourdieu, Ce que parler
veut dire, 1982.
Cette dimension pragmatique du langage explique la
création de fait institutionnels comme le mariage, l’argent, le diplôme, le
jeu, etc. Seul un agent mandaté par une institution peut créer une réalité
sociale reconnue, comme dire que x compte comme un billet de banque, y comme
une œuvre d’art, z comme un but de foot, a et b comme un couple marié, etc. On
peut comparer cela avec la manière dont la possession d’un objet design nous
confère un statut social (ex : posséder une belle voiture).
Cf. J. Searle, La construction de la réalité sociale,
1995 ; F. Recanati, Philosophie du langage, 2008.
Exercice : cherchez des exemples qui montrent que le
design peut exprimer la particularité d’un groupe social et exercer une action
sur des usagers.
I. 2 – La vérité et les sciences
I. 21 – Les conditions de
vérité des propositions
- La cohérence : si deux termes ou deux propositions
dans un même contexte sont contradictoires alors l’énoncé n’est pas valide. Ex.
Il est impossible d’être marié et célibataire, chauve et chevelu, malade et
bien portant en même temps. Il faut également respecter l’usage grammatical. Ex.
les phrases « vert et où » ou « des idées vertes incolores
dorment furieusement » sont dénuées de sens. Tous les systèmes symboliques
possèdent une certaine grammaire. Ex. solfège, cartes, plans, etc.
- La correspondance : l’adéquation entre les
mots et les choses suppose d’ajuster le sujet et son prédicat à l’objet et sa
propriété. Ex. « il reste deux pommes dans le frigo » est vrai s’il
reste bien deux pommes dans le frigo. Cf. L. Wittgenstein, Tractatus
logico-philosophicus, 1921. En sens inverse, faire correspondre la réalité
à une représentation, en changeant la direction d’ajustement, consiste à
réaliser une idée. Ex : liste de course, architecture, design. Cf. GEM.
Anscombe, L’intention, 1957.
Exercice : cherchez des exemples de représentation
de la réalité ou de réalisation de la représentation, si possible en lien avec
le design (architecture, graphisme, produit).
I. 22 – Les types de
non-vérités
- L’erreur est l’inadéquation involontaire entre la
proposition et le fait. Ex. « La terre est à 150 km du soleil ».
- Le mensonge est l’inadéquation volontaire entre la
proposition et le fait. C’est une feinte unilatérale, i.e. inconnue de
l’interlocuteur. Ex. ruse, escroquerie, propagande, manipulation.
- La fiction est une feinte bilatérale, i.e.
reconnue par l’interlocuteur. Ex. jeu, théâtre, roman, mythe, projet.
- L’opinion (ou croyance) est indécidable, i.e. on
ignore si la proposition est vraie ou fausse. Ex. « Dieu est mort »,
« C’était mieux avant ». Un ensemble systématique d’opinions ou de
croyances forme une idéologie. Ex. Le libéralisme, le communisme, le fascisme.
Cf. K. Popper, Conjectures et réfutations,
1962 ; H. Arendt, Du mensonge à la violence, 1972 ; M. Renauld,
Philosophie de la fiction, 2014 ; D. Colon, Propagande, 2021 ;
H. Frankfurt, De l’art de dire des conneries, 1986 ; P. Engel, Manuel
rationaliste de survie, 2020.
Exercice : cherchez des exemples de non-vérité, si
possible en lien avec le design (architecture, graphisme, produit).
I. 23 – La méthode
expérimentale
Avec R. Bacon (1214-1294), Galilée (1564-1642) ou C.
Bernard (1813-1872), la méthode scientifique est devenue expérimentale, au lieu
de reposer uniquement sur l’autorité des textes, la déduction ou l’observation
superficielle. On peut la schématiser ainsi :
- La phase 1 d’observation directe ou non
(témoignage, archive, instrument) accompagnée d’un sentiment d’étonnement stimulant
la curiosité. Ex. perturbation de l’orbite d’Uranus (U. Le Verrier 1811-1877), fièvre
puerpérale (IP. Semmelweis 1818-1865).
- La phase 2 d’hypothèse où l’on imagine une cause
raisonnable non visible. Ex. l’influence de Neptune, la contamination par des
cadavres.
- La phase 3 de vérification grâce à une
expérimentation qui confirme ou réfute l’hypothèse. Ex. Observation de Neptune,
lavage des mains. A mesure que les instruments se perfectionnent (lunettes,
horloges, etc.), les hypothèses théoriques sont progressivement corrigées pour
permettre l’évolution des sciences.
Cf. G. Bachelard, La formation de l’esprit
scientifique, 1938 ; CG. Hempel, Eléments d’épistémologie, 1966 ;
AF. Chalmers, Qu’est-ce que la science ?, 1990.
La méthode expérimentale s’applique aux enquêtes
scientifiques, journalistiques et policières. Elle est également comparable à
la démarche créative des inventeurs, des designers et des artistes : phase
de veille, phase de conception et phase de prototypage.
Exercice : imaginez un protocole créatif de design
sur le modèle de la méthode expérimentale.
I. 24 – Le conflit des
méthodes
- Les sciences naturelles (mathématique,
mécanique, astronomie, géologie, physique, chimie, biologie, zoologie) reposent
sur des explications causales, des relations objectives entre des phénomènes,
des mesures et des calculs, des lois permettant des prédictions. Ex : lois
de la gravitation, la relativité, la thermodynamique, etc.
- Les sciences humaines (histoire, géographie, anthropologie,
ethnologie, sociologie, psychologie, linguistique, économie) incluent la
reconstitution et la compréhension des raisons et motifs des agents,
l’interprétation de leur vécu et de leurs états mentaux. Pour cette raison, les
sciences humaines sont considérées comme moins rigoureuses que les sciences
naturelles.
Cf. W. Dilthey, Introduction aux sciences de l’esprit,
1883 ; E. Durkheim, Les règles de la méthode sociologique, 1895.
Exercice : que peuvent apporter les sciences
naturelles et humaines au design ?
I. 3 – La perception
I. 31 – Les sens externes et
internes sont les organes qui nous fournissent des données sensibles
(sens data), des stimuli et des qualia (qualités sensibles).
- Nos sens externes nous informent sur le monde
(extéroception). Les sens proximaux (goût, odorat, toucher) nous connectent au
monde chimique ou mécanique de manière intime. Les sens distaux (vue, ouïe)
nous connectent aux formes, aux couleurs et aux sons du monde électromagnétique
et acoustique.
- Nos sens internes nous informent sur nous-mêmes
(intéroception). La proprioception regroupe la statesthésie et la kinesthésie. La
statesthésie nous donne notre position dans l’espace ; la kinesthésie, la
sensation motrice. La somesthésie comprend la proprioception ainsi que la
pression, la chaleur (thermoception) et la douleur (nociception).
On peut distinguer les sens internes et externes des
fonctions supérieures de la théorie de l’esprit : la cognition
(perception, imagination, mémoire, raison), la conation (volonté, désir,
motivation) et l’affect (sentiment, émotion, humeur).
Exercice : cherchez des exemples d’expériences
sensibles liées au design.
I. 32 - La déformation du
réel et la correction des apparences
- La déformation corporelle du réel fait que nous ne le
percevons qu’à travers son apparence pour nous. Cela se traduit par la
disparition momentanée des objets existants, leur réapparition périodique, la diminution
de leur taille et de leur vitesse apparente ou encore du volume sonore avec la
distance, leur modification selon la perspective, l’évolution des couleurs
selon la lumière, l’apparente immobilité des astres ou des plantes, l’inattention
à notre environnement, les reflets, ou encore les qualités secondes (poids,
chaleur, couleur, odeur, etc.) qui n’existent pas par elles-mêmes mais résultent
de l’interaction de notre corps avec les choses.
- Malgré leur apparence nous savons identifier les êtres grâce
à leur concept et leur nom et possédons une conception stable et structurée de
la réalité. Nous reconnaissons les personnes et les objets quand ils
réapparaissent, et nous nous situons dans l’espace et le temps. C’est comme si
nous possédions toutes sortes de fichiers, de cartes et de plans mentaux nous
permettant de nous repérer quand nos facultés intellectuelles fonctionnent
correctement.
Exercice : cherchez des exemples d’illusions
subjectives par rapport à la réalité objective.
Cf. C. Tinoco, La sensation, 2018 ; A. Berthoz, La
vicariance, 2013 ; J. Dokic, Qu’est-ce que la perception, 2004 ;
T. Thomas Nagel, Qu’est-ce que ça fait d’être une chauve-souris ?,
1974 ; M. Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, 1945.
I. 4 – Les matières et les formes
On peut distinguer différentes sortes de matières et de
formes et les hiérarchiser pour permettre de décrire la réalité selon
différents niveaux d’organisation, de la partie vers le tout et du microcosme
vers le macrocosme.
I. 41- La matière physique est
une construction théorique destinée à rendre compte de la constitution ultime
de la réalité non visible à l’œil nu. Ex. Quarks, électrons, atomes, molécules
(ex. ADN), cellules (ex. neurone), etc. La connaissance de la matière physique
repose aujourd’hui sur des instruments de mesure. Dans l’Antiquité, elle est
conçue par Démocrite (460-370) comme constituée d’atomes indivisibles et
éternels. Aristote (384-322) l’envisage plutôt comme quelque chose d’indéterminé
et d’inconnaissable mais néanmoins de continu et de persistant.
I. 42 – La matière sensible désigne
les composants perceptibles et utilisables des choses. Ex : pierre, bois,
métal, lait, sang, chair, eau etc. Pour Aristote, les éléments ont déjà un
début de forme et sont sensibles : froid = terre + eau ; humide = eau
+ air ; chaud = air + feu ; sec = feu + terre.
La cause matérielle (ex. le marbre) devient cause
formelle (la statue), grâce à la cause efficiente (le sculpteur) en vue de la
cause finale (l’ornement). Pour les êtres naturels, la génération est le
passage spontané de la matière potentielle à la forme actualisée ; et la
corruption est le retour de la forme à la matière. Aristote considère les
monstres comme des erreurs de finalité lorsque la forme n’actualise pas
correctement la matière en vue de son but naturel.
I. 43 – La forme particulière
correspond à la morphologie et à la configuration d’un individu. Cette
structure individuelle apparaît selon le point de vue particulier de son
observateur. Par exemple, un visage est nécessairement perçu de face ou de
profil, ou une maison selon un certain angle. La forme particulière d’un
individu existe d’abord à travers une matière donnée. Mais elle peut être
dupliquée dans d’autres milieux matériels. Ainsi le visage réel d’une personne
pourra être représenté par une peinture ou une photo. Un morceau de musique
peut transiter sur une partition ou dans un enregistrement.
1. 44 – La forme générale est
commune à plusieurs formes particulières. Ex. La forme générale humaine est une
idée (une classe ou un modèle) instanciée dans chaque personne, tout comme
l’espèce se retrouve dans chaque individu. Les noms communs, comme « la
pie », « la mésange », « le moineau » etc., désignent une
forme générale, même si nous pouvons les appliquer à des individus
(« cette pie »). La forme générale d’une architecture subsiste dans
le plan de l’architecte (comparable à la partition musicale ou au patron du
couturier). Il s’agit d’un type qui peut donner lieu à plusieurs occurrences de
maisons identiques. Lorsqu’on dit que l’on possède le même livre ou la même
paire de chaussure que quelqu’un d’autre, on se réfère à la forme générale.
Exercice : choisissez un objet et déterminez ses
niveaux d’organisation matériels et formels.
Cf. Aristote, La physique, La métaphysique ;
B. Russell, Les problèmes de philosophie, 1912 ; L. Wittgenstein, Tractatus
logico-philosophicus, 1921 ; H. Focillon, Vie des formes, 1934 ; P.
Guillaume, La psychologie de la forme, 1937.
I. 5 – L’espace et le temps
I. 51 – La représentation
objective de l’espace et du temps
L’espace peut être considéré comme la relation de coexistence
(longueur, largeur, profondeur) et le temps comme la relation de succession
(avant, après) entre des états de chose. Cette relation est mesurable et
calculable à l’aide d’étalons (le mètre, la minute). Cette relation est bien
réelle même si elle n’est pas directement perceptible.
La mesure objective du temps, comme toute mesure (kilos,
degrés, euros), est socialement utile. Elle permet des corrélations comme le
rapport entre la distance et la durée, entre le salaire et le temps de travail,
entre la longueur et le prix, etc. Le modèle de la représentation objective de
l’espace et du temps (comme points et comme segments) est mathématique (arithmétique,
géométrie).
Cf. B. Le Bihan, Qu’est-ce que le temps ?,
2019.
I. 52 – L’expérience du temps
La conscience présente du passage du temps déborde
l’instant (point mathématique) pour saisir le moment orienté à la fois vers le
passé (rétention) et vers l’avenir (protention). L’extension de ce moment
dépend de l’action en cours (l’heure, la journée, l’année). Ce qui est fait
partie du moment en cours est l’actualité, ce qui n’en fait plus partie est
l’histoire. La présence du passé dépend de la mémoire et celle de l’avenir de
l’imagination.
Cf. H. Bergson, Essai sur les données immédiates de la
conscience, 1889 ; E. Husserl, Leçon pour une conscience intime du
temps, 1916
Il existe toutes sortes de souffrances psycho-sociales liées
à l’expérience du temps que le design peut tenter d’apaiser : stress,
appréhension, impatience, ennui, surmenage, distraction, désynchronisation,
insomnie, etc.
Cf. N. Aubert, Le culte de l’urgence, 2003 ; H.
Rosa, Accélération, 2010 ; J. Crary, 24/7, 2016.
I. 53 – L’expérience de
l’espace
La perception de l’espace relative à chacun ou à chaque
groupe social dépend de la représentation que l’on en a. Les lieux sont chargés
d’imaginaire. Ils dégagent une certaine ambiance qui varie en fonction de notre
capacité d’action. Une personne habituée à fréquenter les salles de concert
bondées s’y sentira à l’aise. Dans un hôpital, le personnel de santé ne vit pas
la même expérience que les patients. Un pays où les transports sont développés
et où des ponts franchissent les cours d’eau nous paraîtra moins étendu et inaccessible
que si ce n’était pas le cas.
On peut repérer une foule d’expériences psycho-sociales
liées à notre expérience de l’espace : confinement, agoraphobie,
claustrophobie, promiscuité, isolement, dématérialisation, déracinement, enfermement,
exclusion, exil, etc. De même il existe des solutions en design, aménagement,
scénographie, architecture, urbanisme, etc.
Cf. M. Heidegger, Bâtir, habiter penser,
1951 ; G. Bachelard, La poétique de l’espace, 1957 ; H.
Lefebvre, Le droit à la ville, 1968 ; M ; Foucault, Surveiller
et punir, 1975 ; Des espace autres, 1967 ; Marc Auger, Non-lieux,
1992 ; P. Bachelet, L’espace, 1998.
Exercice : cherchez des exemples d’expériences du
temps et de l’espace.
II. LA NATURE, LA
TECHNIQUE & L’ART
II. 1 – La nature
II. 11 – L’artificialisation
de la nature
- La nature brute désigne les matières et les
formes non travaillées par l’homme, soit tout ce qui existe dans l’univers
avant et indépendamment de l’homme. Ce qui est produit par les animaux non-humains
(architectures animales) est naturel. L’homme est lui-même naturel, à la
différence de ce qu’il produit. Toutefois, certains aspects de l’humain sont
produits par l’homme lui-même (médecine, cosmétique). De plus, les artefacts
humains restent partiellement naturels, en tant qu’ils restent soumis aux lois
de la physique.
- La nature
artificialisée apparaît il y a deux millions d’années avec l’homo
habilis. Depuis, le niveau d’artificialisation n’a cessé d’augmenter avec
le développement technique. L’artificialisation résulte de la production
humaine, qui une action préméditée, volontaire et consciente (ex. l’agriculteur
et l’éleveur agissent intentionnellement). Toutefois, la production humaine
peut avoir un double effet positif et négatif. Et l’effet négatif
peut-être plus ou moins ignoré (pollution, gaspillage, accident, pression
sociale). Si cet effet est indésirable et involontaire. Et si la production artificielle
est une production volontaire. Alors l’effet indésirable doit être considéré
comme naturel. Ex. la prolifération incontrôlée des lapins introduits en Australie
au XVIIIe s.
Cf. Aristote, La physique ; R. Descartes, Principes
de la philosophie, 1644. ; C. & R. Larrère, Penser et agir avec
la nature, 2015 ; P. Dupouey, La nature, 2023.
Exercice : comment distingue-t-on la production
naturelle et la production humaine ?
II. 12 – Les représentations
de la nature
- Les valeurs esthétiques et éthiques
de la nature :
Notre perception de la nature change selon les cultures
et les époques. Ex. les nus et les paysages en peinture sont des
représentations culturelles de la nudité et des pays réels. Cette artialisation
de la nature peut avoir lieu in visu (peinture) ou in situ (jardin,
touage). Cf. A. Roger, Nus et paysages, 2001 ; Court traité du
paysage, 2017.
Ce qui est naturel est conçu comme premier et originaire.
Cela peut avoir une connotation de pureté, d’innocence, de virginité, de
simplicité, d’authenticité ; ou au contraire, de brutalité, de
grossièreté, de violence, de sauvagerie, de stupidité. Cf. T. Hobbes, Le
léviathan, 1651 ; JJ. Rousseau, Discours sur l’inégalité, 1755.
On retrouve une rhétorique naturaliste dans les rapports
de domination, opposant le « sauvage et le civilisé » (enfants et
adultes, femmes et hommes, étrangers et natifs, peuple et élite) ou en encore « le
normal et le pathologique », « le pur et le dégénéré ». Cf. J.
Derrida, De la grammatologie, 1967 ; E. Saïd, L’orientalisme,
1978 ; P. Descola, Par-delà nature et culture, 2005.
- Les théories « scientifiques »
de la nature :
Le géocentrisme antique envisage la terre comme
immobile au centre d’un monde clos où le temps s’écoule circulairement. Chaque
être possède un lieu naturel et le monde sublunaire est différents du monde supra
lunaire. La science est contemplative et l’éthique est traditionnaliste. Cf.
Aristote, Du ciel ; C. Ptolémée 90-168, L’almageste.
L’héliocentrisme moderne envisage la planète dans
un univers infini où le temps s’écoule linéairement. Tous les êtres sont
mobiles et tout l’espace est homogène. La science est active et l’éthique est
progressiste. Cf. N. Copernic 1473-1543 ; Galilée 1564-1642 ; E.
Husserl, La crise des sciences, 1954 ; A. Koyré, Du monde clos à
l’univers infini, 1957.
Le biocentrisme contemporain envisage l’homme dans
son écosystème (évolutionnisme), comme un organisme entrelacé à son
environnement dans une biosphère vulnérable. La science est à la fois
révélatrice (écologie) et destructrice (industrie). L’éthique tend au
catastrophisme (Hiroshima, Tchernobyl).
Cf. H. Jonas, Principe responsabilité, 1979 ;
JP Dupuy, Pour un catastrophisme éclairé, 2004 ; Arne Naess, Vers
l’écologie profonde, 2009 ; HS. Afeissa, Qu’est-ce que l’écologie
2009 ; R. Keucheyan, La nature est un champ de bataille,
2012 ; F. Flipo, Nature et politique, 2014 ; P. Servigne, Comment
tout peut s’effondrer, 2015 ; A Malm, L’anthropocène contre
l’histoire, 2017 ; JB. Fressoz, Sans transition, 2024.
Exercice : présentez un exemple de design lié à une
problématique environnementale.
II. 2 – La technique
II. 21 – La genèse de la
technique
- La genèse mythique de la technique est racontée
entre autres par Platon avec le mythe de Prométhée. Son frère Epiméthée, lors
de création du monde, n’ayant pas donné comme il le devait à tous les êtres
vivants les attributs nécessaires à leur survie, Prométhée dut voler à Héphaïstos
le feu, symbole de la technique. Il le
donna à l’homme pour qu’il fabriquât lui-même les outils (armes, vêtements) remplaçant
ces attributs manquants (crocs, griffes, fourrures). L’homme devient donc un
animal capable de se donner des pouvoirs à lui-même. Cela est rendu possible,
selon Aristote, par la main qui est le plus polyvalent des tous les outils. Elle
est l’instrument des instruments qui prolonge la raison humaine. Cf. Platon, Protagoras.
Aristote, Les parties des animaux.
- La genèse scientifique de la technique est
exposée par la théorie de la néoténie. Certaines espèces animales ont la capacité
de se reproduire à l’état larvaire (batraciens). L’homme serait ainsi un
primate prématuré (du fait notamment de la croissance exceptionnelle de son
cerveau et des risques pour l’accouchement). Suit une longue période de
croissance cérébrale à l’intérieur d’un environnement sociotechnique qui fait
de l’humain un être fondamentalement culturel.
Cf. L. Bolk, Le problème de la genèse humaine,
1926 ; D. Morris, Le singe nu, 1967 ; G. Lapassade, L’entrée
dans la vie, 1972 ; SJ Gould, Darwin, 1984 ; DR. Dufour, Lettre
sur la nature humaine, 1999 ; P. Sloterdijk, La domestication de
l’être, 2000 ; B. Lahire, Les structures fondamentales des sociétés
humaines, 2023.
II. 22 – La structure de la
technique
La technique permet d’agir sur la nature (ex. couteau), sur
les artefacts (ex. tournevis) et sur les hommes (ex. porte). Elle comporte
différents niveaux qui peuvent se combiner :
- La technique corporelle : schèmes sensori-moteurs acquis (ex.
hygiène, parole, sport, travail).
- La technique instrumentale : outils incorporés à
nos pratiques, transparents mais transformant la perception (ex. bâton
d’aveugle, bicyclette, lunettes).
- La technique symbolique : médias interprétables, indirectement
reliés à la réalité (ex. horloge, thermomètre, cadran, tableau, pancarte,
étiquette, vumètre, page, écran).
Cf. M. Heidegger, Être et temps, 1927 ; N.
Goodman, Langage de l’art, 1962 ; A. Leroi-Gourhan, Le geste et
la parole, 1964 ; D. Idhe, Technology and the lifeworld, 1990 ;
JY. Goffi, La philosophie de la technique, 1996 ; A. Feenberg, (Re)penser
la technique, 2004 ; G. Hottois, Philosophie des sciences,
philosophie des techniques, 2004 ; X. Guchet, Du soin dans la
technique, 2021.
Exercice : quels sont l’origine et le but de la
technique ?
II. 3 – L’art
II. 31 – La critique de l’art
- Platon dénonce l’art en le comparant la science. Il lui
reproche de nous éloigner de la réalité en produisant des illusions
(fictions). Les poètes et les peintres, comme les Sophistes, offrent une
imitation déformée de la réalité. En un sens, la critique de Platon met en
valeur le rôle persuasif de l’art. Il compare également l’art à l’artisanat en valorisant
l’artisan qui fournit un « vrai » lit (technique instrumentale) au
lieu d’une image de lit comme l’artiste (technique symbolique). Cf. La
République.
- La position de Platon évoque celle du fonctionnalisme
contre l’ornementalisme. Il s’agit de critiquer la dimension
culturaliste, subjective ou sentimentale de l’esthétique au profit d’une
approche rationaliste, utilitaire, objective et minimale. Le fonctionnalisme
rejette le superflu, le gadget, voire le luxe et la mode, pour se concentrer
sur le strict nécessaire.
Cf. JJ. Rousseau, Discours sur les sciences et les
arts, 1749 ; A. Loos, Ornement et crime, 1908 ; L.
Sullivan, Le grand immeuble de bureau artistiquement considéré,
1896 ; P. Souriau, La beauté rationnelle, 1904 ; Le Corbusier,
Vers une architecture 1923 ; G. Simondon, Du mode d’existence
des objets techniques, 1958 ; Mies van der Rohe, Réflexions sur
l’art de bâtir, 1969.
- Le paternalisme et l’élitisme de l’avant-garde. La
critique des opinions communes, des préjugés, des apparences, du divertissement,
des vaines occupations, du spectacle, de la culture de masse et du mauvais goût
est un leitmotiv en philosophie. Dès lors que l’on prétend pouvoir éduquer les
autres, on tend à adopter une posture aristocratique et condescendante qui
entre en tension avec les ambitions démocratiques.
Cf. B ; Pascal, Pensées, 1670 ; F. Nietzsche,
Généalogie de la morale, 1887 ; G. Lukacs, Histoire et conscience de
classe, 1923 ; J. Ortega y Gasset, La révolte des masses, 1929 ;
T. Adorno, La dialectique de la raison, 1944 ; G. Debord, La
société du spectacle, 1967 ; J. Baudrillard, Simulacres et
simulation, 1981.
II. 32 – La défense de l’art
- Aristote considère que l’art (la poésie) est naturel aux
hommes. L’imitation artistique leur apporte dès l’enfance des connaissances (plus
encore que l’Histoire, trop ancrée dans le particulier) et procure du plaisir. En
particulier, la catharsis (purification) permet de libérer dans la fiction les
affects refoulés dans la vie réelle. C’est pourquoi on peut trouver agréable
l’image des choses dont l’original fait peine à voir. Cf. La poétique.
- Hegel considère que l’art a plus de réalité que les
sensations ordinaires. Pour lui l’idéalisation artistique participe de la
spiritualisation et de l’intellection du monde sensible. L’art est une étape
importante du développement de la civilisation et de la liberté dans un monde
matériel déterminé.
Cf. GWF. Hegel, Esthétique, 1830 ; C.
Talon-Hugon, Histoire philosophique des arts, 2023.
- La conception romantique de l’art lui attribue un rôle
central dans l’épanouissement de la personnalité individuelle et de nos
facultés perceptives. Il permet aux hommes de se défaire des mécanismes
grégaires du quotidien.
Cf. F. Schiller, Lettres sur l’éducation esthétique,
1795 ; F. Nietzsche, La naissance de la tragédie, 1872 ; M.
Proust, Le temps retrouvé, 1927 ; H. Bergson, La pensée et le
mouvant, 1934 ; M. Heidegger, L’origine de l’œuvre d’art,
1931 ; H. Marcuse, La dimension esthétique, 1977.
Exercice : à quoi l’art peut-il servir ?
II. 4 – L’œuvre
II. 41 - Le spectateur
- Le beau est un sentiment de satisfaction provoqué
par la perception d’un agencement remarquable de propriétés physiques. Il
entraine une évaluation positive par l’observateur de quelqu’un ou de quelque
chose, que ce soit une œuvre d’art, un objet technique ou une chose naturelle. Il
est parfois considéré comme objectif car transculturel. Le beau n’est pas la
seule propriété esthétique possible (sublime, jolie, élégant, laid, horrible, intéressant,
provocant, comique, etc.).
- L’agréable est une sensation de plaisir
provoquée par des propriétés physiques, en vertu de sa constitution corporelle
et de ses habitudes. L’évaluation dans ce cas est fortement relative selon les
personnes et les cultures. L’agréable est sollicité principalement par les arts
d’agrément (gastronomie, parfumerie, stylisme, décoration, paysagisme, érotisme,
design, jeux, etc.).
- L’utile est l’appréciation d’un moyen approprié de
parvenir à une fin. Il peut être jugé transparent (M. Heidegger) ou laid (T.
Gautier) mais sa beauté est problématique (ex. Duchamp, Fontaine, 1917). Ce qui
est utilisé est consommé et remplacé, alors que ce qui est beau est conservé et
protégé. Ex. bougie décorative, objets anciens, architecture patrimoniale.
Toutefois, on peut argumenter en faveur de la
compatibilité du beau et de l’utile. Un objet utile peut être beau, selon
Simondon, quand il est inséré dans son environnement et que l’on connaît sa
fonction (ex. tracteur, pylônes, navire, phare, etc.). On peut également voir
une affinité entre le beau et le bon (Aristote, St Thomas, Souriau). Enfin un
objet peut avoir un double aspect, beau d’un côté et utile de l’autre
(lunettes, automobile).
Cf. D. Hume, De la norme du goût, 1757 ; Kant,
Critique de la faculté de juger, 1790 ; P. Souriau, Op. Cit. ;
G. Simondon, Op. cit. ; H. Arendt, La crise de la culture,
1961 ; S. Réhault, La Beauté des choses, 2013 ; R. Pouivet, L’ontologie
de l’œuvre d’art, 2000.
Exercice : comment peut-on distinguer la beauté d’un
objet design et la beauté d’une œuvre d’art ?
II. 42 – L’auteur
- Les qualités intrinsèques de l’auteur sont
celles qui expliquent sa créativité et son inventivité à partir des
dispositions qui lui sont propres, comme le génie, le don ou le talent naturel.
Mais leur contingence fait d’elles des pseudo-explications circulaires. Dire
qu’un artiste qu’il est bon parce qu’il est doué c’est ne rien expliquer.
- Les qualités extrinsèques font intervenir des
circonstances historiques, sociales ou méthodologiques. On peut étudier
l’entourage d’un artiste, sa collaboration, sa manière de travailler, la part
de chance et sa manière d’en profiter (sérendipité), les étapes sociotechniques
qui mènent de l’invention (création) à l’innovation (diffusion), etc.
II. 43 – L’œuvre d’art
- W. Benjamin voit
dans l’icône religieuse l’ancêtre de l’œuvre d’art. L’icône est utilisée
de façon rituelle, lors de cérémonies, dans un contexte culturel spécifique. Elle
possède une dimension sacrée, une aura et un caractère authentique (autographique,
i.e. qui fait de sa copie une contrefaçon ou une image dégradée).
- L’œuvre d’art telle qu’on la conçoit aujourd’hui
est liée au développement des musées publics au XVIIIe en Angleterre et en
France et au souci des Lumières de démocratiser les connaissances. L’œuvre
existe dès lors in vitro plutôt qu’in situ. Elle acquiert une
fonction spectaculaire et mémorielle et non plus cultuelle. Le rite est
remplacé par une narration. Son but est la conservation et la démultiplication
(allographique, qui fait de la copie un équivalent de l’original :
partition, impression, enregistrement, etc.).
- L’œuvre devient marchandise à mesure que se
développe la production en série. Son but devient la consommation, le
divertissement et la rentabilité. L’art est de plus en plus accessible et sert plus
ou moins explicitement la propagande (cinéma, magazines, télévision, internet
etc.). A côté d’un art élitiste, onéreux et ostentatoire, se développe un art
de masse populaire qui tend à la standardisation mondiale. Quant aux folklores,
ils subsistent sous des formes plus ou spectaculaires (ex. tourisme). Néanmoins,
se développent de nouvelles techniques, de nouvelles formes d’expression et de
nouveaux styles (rock, BD., Street art, Séries TV, Jeux vidéo, etc.).
Cf. G. Gaglio, Sociologie de l’innovation, 2001 ; Pek
Van Endel, De la sérendipité, 2013 ; W. Benjamin, L’œuvre d’art
à l’ère de sa reproductibilité technique, 1936 ; N. Goodman, Op.
cit. ; C. Talon-Hugon, Op. cit. ; T. Adorno, Op. cit ; A. Danto,
La transfiguration du banal, 1989 ; R. Pouivet, L’œuvre d’art à
l’âge de sa mondialisation, 2003 ; Y. Saito, Everyday aesthetics,
2009 ; S. Réhault, Op. Cit. ; Y. Michaud, L’art à l’état gazeux,
2003 ; J. L’art, la musique et l’histoire, 1998 ; J. Dewey, L’art
comme expérience, 1931.
Exercice : comment l’art a-t-il évolué au cours des
siècles ?
II. 5 - Le travail
La technique et l’art sont produits à partir de la nature
grâce au travail. Celui-ci est une condition nécessaire du développement des
individus (ontogénèse) et des sociétés (phylogénèse). S’il est toutefois perçu
comme une source de souffrance, c’est en grande partie à cause de la manière
dont il est organisé.
II. 51 – La division sociale
du travail désigne son organisation par métiers (ex. les artistes et les
techniciens), laquelle n’a cessé de se complexifier depuis le néolithique avec
l’évolution technique.
- Avantages : acquisition individuelle d’une
expertise dans un domaine et constitution d’une société collaborative d’experts.
- Inconvénients : interdépendance, inégalités de
revenus et d’estime (ex. manuels vs. intellectuels).
II. 52 – La division
technique du travail désigne son organisation par taches (ex. travail à
la chaine). Si ce mode d’organisation n’est pas récent (cf. A. Smith, La
manufacture d’épingles, 1776), il s’est systématisé avec le management au XXe
siècle (H. Fayol, F. Taylor, H. Ford, G. Becker, E. Mayo, T. Ono).
- Avantages : productivité et rentabilité
- Inconvénients : contrôle, surmenage, iniquités,
déclassement, parcellisation, perte de sens.
II. 53 – L’organisation de la
consommation désigne l’extension du contrôle des états et des
entreprises sur les loisirs, notamment grâce au marketing et au développement
de la société de consommation.
- Avantages : absorption de la surproduction liée à
la productivité, concessions aux revendications syndicales sur les salaires,
les prix et le temps libre.
- Inconvénients : inégalités d’accès (tiers et quart
monde), incitations, endettement, standardisation, contrôle, pathologies,
pollution.
Cf. E. Durkheim, La division du travail,
1893 ; M. Weber, Economie et société, 1921 ; W. Lippmann, Le
public fantôme, 1925 ; H. Lasswell, Propaganda technique,
1927 ; E. Bernays, Propaganda, 1928 ; G. Friedman, Le
travail en miettes, 1956 ; H. Marcuse, L’homme unidimensionnel,
1968 ; J. Baudrillard, La société de consommation, 1970 ; M.
Foucault, Surveiller et punir, 1975 ; M. Clouscard, Le
capitalisme de la séduction, 1981 ; Y. Clos, Le travail sans
l’homme, 1995 ; L. Boltansky, Le nouvel esprit du capitalisme,
1999.
Exercice : comment le travail a-t-il évolué au cours
des siècles ?
III. ETHIQUE ET SOCIETE
III. 1 – Les règles et leur application
III. 11 – Les critères
d’évaluation de nos actions
Nous supposons qu’à travers l’histoire les normes ont
évolué en vue de la stabilité sociale. Malgré les différentes coutumes et
conventions, il existe des thèmes invariants de codification de nos actions,
concernant le mensonge, le vol et l’homicide, par exemple. Des principes, comme
« ne pas faire à autrui ce qu’on ne voudrait pas subir », « ne
pas traiter autrui comme un moyen », « ne pas nuire à autrui »,
« agir selon des règles universalisables » satisfont notre sens
moral.
On appelle déontologisme le fait de respecter ce
genre de règle de manière inconditionnelle, sans égard à notre intérêt ou aux
conséquences. Si cette attitude permet de poser des limites claires, comme
l’interdiction du sacrifice ou de l’esclavage d’autrui, elle peut témoigner
d’une attention excessive aux intentions et d’une cécité par rapport à la
réalité. Pour protéger quelqu’un ou soi-même, il faut bien parfois utiliser la
ruse ou la violence.
III. 12 – L’application
des règles au contexte
Lors de l’application des règles au contexte, il faut
tenir compte des circonstances particulières, des facteurs aggravants et
atténuants (ex. légitime défense) ou des dilemmes entre plusieurs principes
(liberté ou sécurité).
On appelle conséquentialisme le fait de
privilégier les conséquences de nos actes et de s’intéresser à l’amélioration
de l’état du monde, au détriment du respect rigoureux des règles (ex. torturer
un poseur de bombe pour sauver des vies, dilemme du tramway, etc.). L’idée est
de viser le plus grand bien, le moindre mal et d’accepter le mal nécessaire.
On appelle éthique des vertus le fait de compter
sur les qualités des personnes (prudence, courage, tempérance, sagesse) plutôt
que sur de grands principes abstraits comme le déontologisme ou le
conséquentialisme. L’éthique du care (sollicitude) va à peu près dans le
même sens, en développant l’attention aux détails de la vie interpersonnelle.
III. 13 – Les domaines
d’application éthique
On trouve des problèmes éthiques dans une multitude de
domaines : les mœurs (inceste, pédophilie, viol, harcèlement, prostitution),
médecine (euthanasie, eugénisme, don d’organes, expérimentations), environnement
(épuisement des ressources, biodiversité, pollution, modifications génétique,
brevetage du vivant), affaires (fraude, profit, exploitation, cupidité, discrimination,
licenciement abusif), sécurité (proportionnalité, violence policière, crime
contre l’humanité, génocide), médias (censure, secret des sources, vérification
de l’information, lancement d’alerte, diffamation, impartialité).
Ce qui distingue la dimension légale et juridique de la
dimension morale et éthique, c’est l’établissement de sanctions claire par la
loi. Toutefois cette légalité (droit positif) doit pouvoir être révisée à la
lumière de la légitimité morale (droit naturel).
Cf. Aristote, Ethique à Nicomaque ; E. Kant, Fondements
de la métaphysique des mœurs, 1785 ; JS. Mill, L’utilitarisme, 1863 ;
J. Rawls, Théorie de la justice, 1971 ; A. McIntyre, Après la
vertu, 1981 ; R. Ogien, L’éthique aujourd’hui, 2007 ; M.
Marzano, L’éthique appliquée, 2018 ; C. Gilligan, Une voix
humaine, 2024 ;
Exercice : choisir une question de société et
montrez le dilemme moral posé.
III. 2 – La bioéthique et le design
Hippocrate (460-377) peut être considéré comme un
précurseur de la bioéthique. Le serment prescrit les devoirs d’être utile,
juste et discret par rapport au patient. Pour l’époque contemporaine, on peut citer
les procès de Nuremberg (1947), la Déclaration d’Helsinki (1964) ou le rapport
H. Beecher, Ethique et recherche clinique (1966).
Les designers aussi possède un code de déontologie, comme
bien d’autres métiers. On peut citer les lois de J. Vienot (1952) ou les
principes de D. Rams (1976). Tous deux insistent sur deux points : la sincérité
des designers vis-à-vis des usagers (i.e. interdiction de l’imposture et de la
charlatanerie, comme le greenwashing) et la bienfaisance (i.e. la
non-nuisance et l’utilité). De nombreux autres designers ont écrit sur
l’éthique de leur métier (E. Mari 1974, V. Papanek 1971, G. Clément 2004 ;
A. Dune 2013, M. Wizinski, 2022).
Pour compléter leurs travaux, on peut également chercher
à transférer les principes éthiques d’un domaine à un autre, ici de l’éthique
médicale à l’éthique du design, en dégageant trois principes :
III. 21 – L’autonomie est
un principe de respect du consentement du patient en médecine, ou de l’usager
en design. Il part du principe démocratique que le patient et l’usager sont les
mieux placés pour connaître leurs propres besoins (anti-paternalisme). Le
principe de sincérité appartient à cette catégorie, dans la mesure où
l’usager a besoin d’une information fiable pour donner son consentement
éclairé. Le principe d’autonomie peut être précisé à l’aide de l’échelle de la
participation d’Arnstein, qui distingue les niveaux de l’information, de la
consultation, de la négociation, de la décision et du contrôle.
III. 22 – La justice se
comprend soit comme égalité, en permettant un égal accès à tous aux
droits fondamentaux comme se loger, se soigner, s’alimenter, gagner sa vie,
etc. ; soit comme équité, en modulant la distribution des biens
selon les situations. Les designers, comme les médecins, doivent œuvrer de
manière à ce que tout le monde ait accès au confort et à la santé, et veiller
au bien-être et à la vie décente de chacun.
III. 23 – La bienfaisance consiste
d’abord à ne pas nuire, puis à veiller à bien équilibrer les risques et les
bénéfices dans nos actions. Il s’agit au moins d’être prudent quand un risque est
probable ; et au mieux précautionneux en s’assurant de l’absence de risques
avant d’agir.
Cf. C. Ambroselli, L’éthique médicale, 1988 ;
B. Hoerni, Ethique et déontologie médicale, 1997 ; G. Hottois, Qu’est-ce
que la bioéthique ?, 2004 ; L. Beauchamps, Les principes de
l’éthique biomédicale, 2008 ; O. Sicard, L’éthique médicale et la
bioéthique, 2025.
Exercice : cherchez des exemples de démarches
éthiques en design.
III. 3 - La liberté
III. 31 – La responsabilité.
Si nos actions, en tant que médecin ou designer par exemple, n’étaient pas
libres, nous ne serions pas jugés responsables. C’est le cas par exemple des
enfants, des déments, des animaux ou des phénomènes physiques (sans faire
l’amalgame). Autrement dit, l’éthique guide les personnes « rationnelles »
dans leurs choix. On peut décrire ici la rationalité comme le fait d’être
capable d’anticiper ses actions et de les contrôler en les modélisant grâce au
langage et la pensée (JC. Pariente).
III. 32 – Le déterminisme.
On a parfois douté de l’existence de la liberté, en la considérant comme une
illusion liée à l’ignorance des causes qui nous déterminent (Spinoza). Pour un
scientifique, tout phénomène possède une cause extérieure, même si elle est
ignorée. Mais s’il est indéniable que nos actions sont soumises à des conditions
physiques et sociales, elles ne s’y réduisent pas pour autant. Il s’agit de
circonstances atténuantes et aggravantes qui n’entament pas totalement notre
liberté de choix.
III. 33 – L’autonomie.
Le terme d’« autonomie » permet de concilier liberté et déterminisme,
en définissant la liberté non pas comme absence de déterminisme, mais comme
choix délibéré parmi plusieurs déterminismes. Autrement dit, la liberté serait
un déterminisme choisi et non subi. C’est « l’obéissance à la loi qu’on
s’est prescrite » (Rousseau). C’est une forme de liberté différente de
celle qui consisterait à se laisser porter par ses pulsions (ce qui revient en fait
à être déterminé par elles). Ex. obéir aux lois qui nous protègent, accepter
les contraintes qui nous sont utiles.
III. 34 – Les tactiques
- Le fatalisme correspond à une autonomie minimale
consistant à agir sur soi pour changer ses désirs par rapport à l’ordre du
monde (Descartes). Il permet de faire des concessions lors de négociation et plus
généralement d’éviter l’insatisfaction et la frustration.
- Le volontarisme consiste à agir sur son
environnement pour changer l’ordre du monde par rapport à nos désirs, et à s’en
rendre comme maître et possesseur (Descartes). Il faut savoir pour cela commander à la nature
en lui obéissant (Bacon) ou changer les obstacles en outils (Sartre). Ex.
L’utilisation du vent et de la houle par le navigateur.
Cf. JJ. Rousseau, Du contrat social, 1762 ; JP.
Sartre, L’être et le néant, 1943 ; I. Berlin, Eloge de la
liberté, 1990 ; M. De Certeau, L’invention du quotidien, 1990 ;
D. Dennet, Freedom evolves, 2004 ; C. Morana, La liberté,
2010 ; C. Michon ; Qu’est-ce que le libre arbitre, 2011 ;
P. Pettit, Just freedom, 2014 ; JB. Guillon, Le libre arbitre,
Encyclo-philo.fr 20016.
Exercice : en quoi consiste la liberté du
designer ?
III. 4 – Les échanges
Sans échanges matériels et « immatériels » (affects,
connaissances) entre les individus et les groupes il n’y aurait pas de société.
Les échanges déséquilibrés posent de problèmes moraux. Ex. le mensonge, le vol
(escroquerie, fraude, pillage), le meurtre (voler la vie). Ces déséquilibres se
traduisent par des rapports de domination ou d’exploitation. Ex. vis-à-vis des femmes
(familial), des pauvres (national), des étrangers (international). L’exploitation
(esclavage, servage, salariat) définit le fait que certains travaillent plus et
d’autres moins que nécessaire pour subsister (J. Roemer).
III. 41 – L’homo oeconomicus
« Les bons comptes font les bons amis ». Les
échanges calculés du troc et de la vente permettent exactitude et équité. La
monnaie (pure valeur d’échange) est une réalité institutionnelle. Comme les diplômes
ou les contrats, elle résulte d’une convention. Il est décidé socialement que
tel objet ou telle personne ait telle valeur (Cf. I. 15 – Les niveaux
linguistiques).
Les avantages de la monnaie sont son équivalence
universelle, sa transportabilité, sa divisibilité, sa conservabilité, et
l’indépendance qu’elle permet entre les individus. Ses inconvénients
sont les phénomènes d’accumulations et d’inégalités illimités. Ils viennent de
ce que l’argent devient une fin de l’échange au lieu de rester un moyen
(chrématistique, plus-value, maximisation du profit). Le rapport vendre (marchandise-argent)
pour acheter (a-m) s’inverse en rapport acheter (a-m) pour vendre (m-a’), avec
une augmentation a’ du capital initial (Marx).
III. 41 – L’homo donator
« Entre amis on ne compte pas ». Le don appelle
un contre-don. C’est un échange non calculé. La dette est donc infinie. Le
matériel peut s’échanger contre l’« immatériel » (estime de soi,
reconnaissance). Le don inclut les activités non rémunérées tribales, familiales,
amicales, bénévoles, civiques et même professionnelles (zèle, dévouement, professionnalisme,
déontologie).
Le don peut être instrumentalisé (appât, incitation,
volontariat abusif). Il peut avoir un côté non-altruiste, ostentatoire ou agonistique
(potlatch). Certaines formes d’échanges irrationnels sont comparables au don. Selon
l’effet Veblen, un prix élevé (luxe) peut susciter l’intérêt chez l’acheteur,
afin de se distinguer des autres (différentiation statutaire). Quant à
l’offrande sacrificielle, elle vise à assurer la sécurité ou la cohésion du
groupe.
Cf. Aristote, La politique ; K. Marx, Le capital,
1867 ; T. Veblen, La théorie de la classe de loisir, 1899 ; G.
Simmel, Philosophie de l’argent, 1900 ; M. Mauss, Essai sur le
don, 1923 ; J. Baudrillard, Le système des objets, 1968 ; R.
Girard, La violence et le sacré, 1972 ; P. Bourdieu, La
distinction, 1979 ; J. Roemer, General theorie of exploitation,
1982 ; J . Searle, La construction de la réalité sociale, 1995 ;
A. Caillé, L’anthropologie du don, 2007.
Exercice : cherchez des exemples de relations basées
sur le calcul ou le don.
III. 5 – Les décisions
Si l’auteur de la décision est seul, on parle de monarchie ;
si c’est un groupe, d’aristocratie ; si c’est tout le monde, de démocratie.
Les dérives respectives sont la tyrannie, l’oligarchie et l’anarchie. Les
décisions ont des impacts économiques (cf. III. 4 – Les échanges) et des
justifications éthiques (sincères ou hypocrites). Elles ont pour objet des lois
générales ou des opérations particulières.
III. 51 – Le conservatisme est
un modèle politique qui défend le respect des traditions, des hiérarchies et
des différences communautaires. Il se considère comme réaliste, dans la mesure
où il veut préserver le statu quo. Cf. Burke, Bonald, De Maistre, Cortes,
Maurras, Scruton, Léo Strauss, McIntyre.
En design, le conservatisme « revient à » défendre ou restaurer des formes
historiques d’architecture ou d’artisanat.
III. 52 – Le libéralisme
a pour principe le respect des libertés individuelles, les doits de l’homme et
le contrat social. Il est issu de l’humanisme, de la réforme protestante et de
l’éthique capitalisme. Il a pour objectif la limitation de l’absolutisme étatique
et la liberté des échanges. Cf. Locke, Hobbes, Smith, Constant, Rawls, Aron, Hayek,
Nozick. En design, le libéralisme « correspond à » une approche favorable
aux lois du marché et au marketing (Cf. R. Loewy).
III. 53 – Le socialisme
vise l’égalité et la disparition des classes sociales, la démocratie radicale, la
régulation de l’économie, la redistribution et la socialisation des richesses. Cf.
Rousseau, Proudhon, Marx, Bernstein, Jaurès, Cohen, Habermas. En design, il « se
traduit par » une tendance à favoriser le collectif et la mutualisation
(constructivisme, modernisme socialiste, Senezh studio).
Cf. C. D. Weinstock, « Philosophie politique »,
in Précis de philosophie analytique, 2000 ; C. Audard, Qu’est-ce
que le libéralisme ?, 2009 ; JP. Vincent, Qu’est-ce que le
conservatisme ?, 2016 ; M. Gianni, Théorie politique,
Baripédia.org, 2020 ; R. Keucheyan, Histoire globale des socialismes,
2020.
Exercice : en quoi le design peut-il avoir une
portée politique ?
Raphaël Edelman, Nantes, Juillet 2025
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