RESEAU TANGIBLE
Avec le développement des nouveaux moyens de communication, on observe une dématérialisation des relations. La proximité villageoise des sociétés traditionnelles a cédé la place aux réseaux sociaux sur internet. Si certains trouvent moyen de faire coïncider leurs rapports virtuels avec leurs relations réelles, d'autres, entend-on dire, souffriraient d'isolement et perdraient contact avec la réalité. Pour les industriels en quête de nouveaux marchés et pour les usagers qui voudraient améliorer leur mode de communication, la question qui se pose alors est celle des objets tangibles de communication susceptibles d'enraciner davantage les réseaux virtuels dans la réalité. Toutefois, cette volonté, si on la considère attentivement, pose question. N'est ce pas l'essence même de la communication d'être immatérielle ? Un réseau social ne suppose-t-il pas un rapport symbolique entre ses membres et donc une relation immatérielle ? Quel serait donc le rôle exact de l'objet tangible dans nos rapports sociaux ?
I. La communication
On désigne par "virtualisation des rapports humains" le fait que la relation aux autres se fait entre les esprits mais au détriment du corps, de la présence réelle. Un personne qui passe davantage de temps derrière son ordinateur ou devant sa télévision entretient un rapport virtuel avec les hommes et le monde en général. Cette situation conviendrait sans doute aux anges, esprits sans corps, mais non aux hommes dans la mesure où ils sont d'essence aussi bien corporelle que spirituelle.
Cependant, remarquons d'abord que la notions de relation appartient par définition au champ de l'immatériel. Si ma cuillère est à gauche de ma tasse, le fait d'être à gauche n'est pas à proprement parler un objet matériel. C'est une relation. Si je dis "Paul et Virginie s'aiment", la relation d'amour qu'il y a entre Paul et Virginie est un rapport métaphysique entre deux êtres physiques. Ensuite, bien que nos corps se touchent ou se croisent dans l'espace, ce n'est pas ces événements physiques qui constituent la relation humaine proprement dite. La relation en question est une relation spirituelle, que l'on discute de Platon ou de Football. Or cette relation spirituelle n'est pas en principe matérielle.
Quant au concept de virtualité, il n'est pas exactement synonyme d'immatérialité. Le virtuel s'oppose dans l'usage qui en est fait ici au réel. Le monde virtuel des jeux vidéos, par exemple, est un monde fictif, pour de faux, celui de la simulation. Ici, le rapport homme-monde ou homme-homme est discrètement remplacé par celui homme-machine. Il n'est donc pas tout à fait exact de parler de "rapport virtuel" aux autres avec les nouvelles technologies, dans la mesure ou justement il y a bien un rapport réel avec autrui. Je communique réellement au téléphone et sur internet. Seulement, je le fais sur un mode qui n'implique qu'une partie réduite de mon corps. L'autre n'est pas directement en face ou présent. Il l'est partiellement, par la voix ou son texte. On peut alors parler de rapport immatériel.
Cependant, la matérialité n'a pas intégralement disparu. Elle a fortement diminué, réduite à un son, une image ou un texte. On peut donc dire que les nouveaux médias conservent des rapports réels entre les gens mais diminuent leur implication physique. Même si je ressens bien dans tout mon corps la joie, la peine et les émotions que provoquent en moi une bonne ou une mauvaise nouvelle, la perception de l'autre est altérée par l'interface.
Il y a donc une diminution de la relation physique dans les nouvelles communications. L'autre est réduit à un texte sur un écran, une voix au téléphone ou une image sur un écran. Demain peut-être sera-t-il restitué sous forme d'hologramme et pourquoi pas reconstitué ici où là atome par atome. Dans ce cas, on ne parlera plus d'immatérialité mais de transmatérialité. On comprend ici que ce qui interdit la présence globale d'autrui, c'est l'interface. Plus l'autre sera rendu présent, plus l'interface se fera absente. Ceci non pas nécessairement sur le plan technologique, car la machine transmatérielle, qui nous fera voyager instantanément dans l'espace, doit être un instrument complexe, mais invisible, car autrui sera présent en chair et en os. On peut noter que le barrage temporel de l'interface a été résolu, puisqu'on communique en temps réel. La question actuelle alors est celle de dissoudre les limites spaciales à travers l'augmentation de la résolution et de la restitution.
On ne saurait d'ailleurs nier l'ambivalence de nos interfaces, qu'il s'agisse des mots ou mêmes de puissants outils de calcul. Oui elles s'interposent entre vous et moi, entre nous et le réel mais, en même temps, elles autorisent la découverte de l'autre et du monde. Le langage est un artifice qui s'interpose entre nous et le monde mais sans lequel le monde et l'homme ne seraient pas conçus, sans lequel notre intelligence serait strictement animale. Il faut donc d'abord connaître le monde par nos instruments pour ensuite comprendre que ces instruments nous isolent du monde.
On comprend maintenant que nos rapports humains, bien que de nature spirituelle, requièrent une base physique, aussi faible ou lointaine soit-elle. Il est difficile de croire, à moins de parler de transmission de pensée (télépathie), que nos rapports spirituels soient nullement matériels. Car l'usage des signes est nécessaire, bien qu'ils n'aient parfois sur le plan matériel qu'un faible poids, comme celui des mots écrits ou parlés.
Les rapports humains sont des rapports immatériels qui reposent sur une base matérielle. La question qui est ici en jeu est celle d'une dématérialisation croissante des rapports humains. Il semblerait que celle-ci n'ait rien d'inquiétant puisque l'essence de la communication est immatérielle. On peut même dire que plus les rapports sont immatériels, plus on communique. L'e-mail par rapport au courrier postal est moins matériel et plus rapide. Un coup de fil est moins physique qu'un déplacement et également plus rapide. Cette rapidité entraîne une multiplication. J'envoie des informations plus rapidement, donc je peux en envoyer davantage. La sur-information dont on parle aujourd'hui est une conséquence de l'accélération, elle même issue de la dématérialisation de nos échanges.
Comme les livres du moyen âge, les gros ordinateurs nous obligent à rester statiques. Puis les formats réduits de livres ou d'ordinateurs nous ont rendu plus mobiles. L'électronique permet d'aller plus loin dans la mobilité et la miniaturisation. On peut implanter des prothèses directement sur le corps (lunettes, casques). Mais cela nous isole en un sens du monde. Il ne faut pas confondre en tous cas ergonomie et contact avec l'extérieur. Au contraire, certains outils sont si ergonomiques qu'ils nous coupent de l'extérieur. Le confort des voitures, par exemple, représente un danger dans la mesure où nous perdons conscience de la vulnérabilité des piétons ou de la dangerosité de notre conduite.
"L'un des principaux effets de la numérisation, écrit Derrick de Kerckhove, est de rendre liquide tout ce qui est solide (...). Cette flexibilité fait que la matière, jadis perçue comme constituée de substances mutuellement hétérogènes et impénétrables, semble aussi fluide aujourd'hui que la pensée elle-même" (L'Intelligence des réseaux, Odile Jacob, 1997). Le monde est donc en apparence en train de devenir de la pensée. L'opposition entre la matière lourde et pesante et l'esprit subtil et fluide est, semble-t-il, en train de disparaître. Mais, si tout devenait pensée, il n'y aurait plus de monde, plus de réalité. Cela signifierait que nous aurions entièrement remodelé le monde à l'image que nous aurions choisie. Les problèmes environnementaux, médicaux ou sociaux sont là pour nous rappeler que le monde matériel persiste et oppose une résistance à non projections virtuelles. On ne peut nier l'extraordinaire extension dans le monde de nos interfaces cognitives, sensorielles, communicatives, etc. Mais cela ne doit pas nous faire oublier que, comme le rappelle Bernard Stiegler, notre monde soit disant immatériel est en même temps hyper-matériel (Economie de l'hypermatériel, 2008). Car les instruments et les infrastructures qui permettent les échanges immatériels eux sont bien matériels. Certes, nous usons moins de papier avec les ordinateurs. Mais il faut aussi produire des ordinateurs, l'énergie qu'ils consomment et gérer les déchets qu'ils entraînent.
On peut se demander si c'est la matière qui devient davantage esprit ou l'esprit qui devient davantage matière. Il s'agit au fond du problème de la liberté. Lorsque l'homme devient matière, il se comporte de façon machinale, comme les masses des systèmes totalitaires. "Les images de télévision, constate Serge Tisseron, sont de plus en plus façonnées par un collectif dans lequel les intentions de chacun et les initiatives personnelles sont effacées au profit des interrelations entre les différentes instances intervenant dans la fabrication de ces images. Autrement dit, celles-ci sont produites par des dispositifs plus que par des personnes" (Comment l'esprit vient aux objets, 1999). Il y a donc ici une mécanisation de l'homme plus qu'une libération. Une convention implicite lie le réalisateur et son public. On peut même se demander à quel point notre système politico-économique est volontaire. C'est peut être justement le système qui se déploie selon sa propre logique au delà des volontés individuelles.
L'hypothèse selon laquelle la matière devient humaine et se trouve animée par notre volonté et nos choix, ne relève peut-être que du fantastique ou du religieux. "Nous voulons, ajoute Derrick de Kerckhove, que nos machines répondent (...). La réponse est un nouveau miroir, dont nous avons plus besoin que d'autres. C'est le miroir de nos sentiments, de notre intérieur". Mais le monde fut toujours notre miroir, notre projection, même si, effectivement, le miroir cybernétique s'anime. "Toute forme est un visage qui nous regarde" écrit Serge Daney (Persévérance, 1992). Le monde est perçu en même temps que nous nous apercevons en train de rire ou de pleurer. Pourquoi dessinons-nous si spontanément des visages ? Notre visage est en filigrane dans ce que nous voyons, notre voix dans ce que nous entendons, notre humeur dans ce que nous sentons. Je dirais que l'homme est spontanément animiste, qu'il transfère son esprit partout, même si notre éducation matérialiste nous apprend à ne pas confondre les hommes et les choses. Cela réapparaît lorsque par exemple vous parlez à votre ordinateur. L'intelligence artificielle et le monde moderne réactualisent une sorte d'animisme. Nous ne voyons plus des ancêtres dans les pierres, des génies dans le vent, mais les voitures nous désobéissent ou nous menacent, les affiches publicitaires nous séduisent, nos ordinateurs nous attendent à la maison. On pourrait appeler ça l'effet Pinocchio.
II. L'Objet
La joie d'un visage ou l'austérité d'une bâtisse sont des signes ayant une certaine densité matérielle. L'architecture est un langage. Tous les objets, au fond, sont des signes. Les objets sont parfois fonctionnels mais toujours aussi symboliques. Ils ont une utilité mais aussi un sens et expriment un statut. Si je me promène avec un fusil de chasse dans le tramway, on ne se dira pas en priorité "cet homme a là un instrument de chasse". Immédiatement l'objet laissera penser certaines choses à mon propos. Il s'instaurera une relation humaine particulière, méfiante et hostile, entre les voyageurs et moi. Le fusil est perçu comme un signe avant d'être vu comme un outil.
Le design consiste bien souvent non pas à remettre en cause la fonction (une chaise est une chaise) mais la symbolique (une chaise d'écolier ou de notable). Le design, aujourd'hui étendu à tout (au corps, à l'espace, aux images etc.), est avant tout une production symbolique de formes, de styles et de modes. Le design génère aussi de nouveaux usages, qui à leur tour deviennent symboliques. Au début du téléphone portable, les rares personnes à utiliser des mobiles dans la rue se distinguaient des autres par leur statut. Notre manière de parler, de marcher, de vivre n'est pas anodine du point de vue symbolique.
Les objets ont donc deux fonctions, l'une utilitaire et l'autre symbolique. Certes la fonction utilitaire apparaît comme nécessaire et la fonction symbolique accessoire. S'il fait moins quinze dehors et que je me retrouve à la porte de chez moi en pyjama pour une raison ou une autre, je ne vais pas refuser un manteau que l'on me tend sous prétexte qu'il est ringard. Toutefois, la fonction symbolique des objets et des gestes obéit à une certaine nécessité sociale. Il y a des manières de se tenir, de s'habiller et de parler différentes en fonction des situations et disqualifiantes si on ne les respecte pas. Si je faisais mon intervention ici allongé sur le dos, cela ne changerait rien au contenu de ce que je dis mais pourrait me faire perdre ma crédibilité.
Par définition, l'interface, comme l'écran de notre ordinateur, s'interpose entre nous et autrui. Mais d'autres produits, nos vêtements, nos véhicules, nos accessoires nous permettent de communiquer. Ces produits sont même capables de supporter nos affects, comme le doudou, le nounours ou le foulard de l'aimé. Les objets singularisés peuvent devenir fétiches, c'est-à-dire pouvoir accueillir une âme et transmettre une relation émotive. Les objets les plus affectueux sont des objets qui ont comme une personnalité et donc une singularité. Par contre un objet standardisé, comme une petite cuillère, est considéré comme indistinct, massif, c'est de la petite cuillère, comme on dirait c'est de l'eau ou du vent.
Avec la nourriture ou la cigarette, on observe cependant un rapport sinon affectif du moins sensuel. On peut en plus s'attacher à telle marque de cigarette, en fonction de son image ou de sa saveur. On remarque aussi que nous sommes plus sensibles à la palpation et l'audition qu'à la vision qui met les choses à distance. C'est pourquoi les objets ou les matières les plus sensuelles sont celle que l'on touche, que l'on sent, que l'on goûte ou que l'on entend. On peut comparer à nouveau la lettre manuscrite au mail. La lettre est un objet tangible, que l'autre a touché et sur laquelle il a écrit avec sa main. Les jeunes amoureuses laissent parfois une trace de baiser au rouge à lèvre pour accentuer cela. Ainsi, la lettre manuscrite, qui tout à l'heure en tant que symbole était moins rapidement accessible qu'un mail, est plus intense en terme affectif et qualitatif.
L'objet personnel n'est pas l'objet personnalisé du marketing, qui n'est que l'objet spécifique d'une gamme. L'objet fétichisé aura la trace de notre action propre, notre odeur sur un foulard, notre bricolage sur une voiture tuning, notre autocollant sur notre ordinateur. Mais l'objet sorti d'usine, même en série limitée, n'a pas encore eu le temps de se charger d'affect par son frottement avec la vie.
On peut distinguer plus précisément l'objet personnel individuel (oreillette, mouchoir), l'objet interpersonnel (dont la "saleté" est un gage d'intimité, comme le tee-shirt porté par l'aimé), l'objet collectif utilisé individuellement (cabine téléphonique, fauteuil) et l'objet collectif utilisé collectivement (baby foot, wagon, cinéma). Notre transfert affectif est plus difficile sur des objets collectifs utilisés individuellement qui sont alors souvent perçus comme sales, à la différence des objets personnels ou interpersonnels. L'objet collectif utilisé collectivement, par contre, dégoûte un peu moins (le ballon de Rugby, la piscine).
On pourrait opposer l'objet-fétiche affectif, personnel ou interpersonnel, à l'objet-totem symbolique collectif en reprenant la distinction de Frazer rapportée par Freud : "Le totem se distingue du fétiche en ce qu'il n'est jamais un objet unique, comme ce dernier, mais toujours le représentant d'une espèce, animale ou végétale, plus rarement d'une classe d'objets inanimés, et plus rarement encore d'objets artificiellement fabriqués (Totem et tabou, 1913). Le fétiche est davantage le résultat d'une transition affective alors que le totem est le symbole d'une valeur. "Le totémisme, écrit Freud, est un système à la fois religieux et social" (Totem et tabou, 1913). Le totem est un support de réseau en nous attachant à une valeur transcendante qui nous permet de nous fédérer aux autres de manière impersonnelle.
On peut encore assimiler le totem à l'image-objet et le fétiche à l'objet-image, si l'on reprend l'analyse de Serge Tisseron : "Alors que l'image-objet réduit l'image matérielle à la représentation qui orne l'une de ses faces, l'objet-image prend en compte l'ensemble des relations que nous entretenons avec elle. Ces relations engagent sa matière, sa taille, son poids, son épaisseur, le jeu de son recto et de son verso, mais aussi la possibilité de le manipuler et de la transformer (...). Le modèle de notre relation aux images sera de moins en moins le miroir devant lequel nous nous immobilisons, comme devant un tableau, et de plus en plus les premières traces de l'enfant avec lesquelles il établit une relation interactive (...). Autrement dit, dans la relation qu'il a avec ces images, ce n'est pas le regard qui importe, c'est l'interaction entre l'oeil et la main comme moyen d'appropriation psychique des expériences du monde" (Comment l'esprit vient aux objets, 1999). L'objet-image introduit donc rapport intime et affectif aux interfaces. On peut donc postuler que l'invention de nouvelles interfaces, davantage interactives, nous conduit à passer d'un système totémique à un système fétichiste. Ceci est corroboré par le fait que notre société soit plus individualiste et narcissique que les sociétés traditionnelles.
DW Winnicott a introduit le terme d'objets tansitionnels et de phénomènes transitionnels "pour désigner l'aire intermédiaire d'expérience qui se situe entre le pouce et l'ours en peluche, entre l'érotisme oral et la véritable relation d'objet" (Jeu et réalité,1971). L'objet transitionnel est donc dérivé d'un rapport narcissique. C'est un rapport auto-érotique qui se déplace en utilisant l'objet comme intermédiaire. Il ajoute plus loin : "Le bout de couverture (ou n'importe quoi d'autre) est symbolique, c'est vrai, d'un objet partiel, du sein, par exemple. Cependant, ce qui importe n'est pas tant sa valeur symbolique que son existence effective. Que cet objet ne soit pas le sein (ou la mère), bien qu'il soit réel, importe tout autant que le fait qu'il soit à la place du sein (ou de la mère)" (Jeu et réalité,1971). Selon le point de vue affectif, l'objet est antérieur à autrui. Autrui devient, après l'objet, le dernier stade du rapport auto-érotique médiatisé. Lorsque un fétiche porte la trace d'autrui, et non plus la mienne, il s'agit d'un retour tardif à l'objet médiatisé par autrui. En ce sens, la personnification des machines n'est plus nécessairement concevable comme un transfert symbolique d'autrui sur l'objet, mais comme un transfert affectif de soi sur l'objet.
III. Le réseau
L'interaction réelle concerne le rapport homme-homme, quand je discute avec quelqu'un dans la rue par exemple. L'interaction virtuelle (interactivité) concerne le rapport homme-machine, quand je joue aux échec avec mon ordinateur ou commande des billets sur internet. L'interaction immatérielle concerne le rapport homme-machine-homme, lorsque j'échange des mails ou des coup de fils. Le rapport immatériel par les machines est une sophistication du rapport par l'outil (la machine est un outil avec un moteur). Les rapports humains sont médiatisés par l'outil (langage, vêtement, porte manteau, horloge, tableau, arrêt de bus, salle d'attente). Le domaine de la sensualité (parentale ou sexuelle) échappe en partie à l'outil dans la caresse ou la fessée. Mais bien souvent il passe par l'outil : les mots, les cadeaux, le martinet. Autrement dit, le rapport immatériel est un accroissement du rapport ustensile qui est un rapport au fond répandu. Il peut même se substituer utilement au langage. "Lorsque le chef suprême d'Hawaï rencontra, en 1779, le capitaine Cook, il ôta sa cape et enveloppa les épaules du navigateur : c'était lui offrir un présent d'une grande valeur en signe de bienvenue et de respect" (B. Geoffroy-Schneiter, Arts premiers, 1999).
Pouvons-nous interagir avec des services ou des réseaux sociaux, comme on le fait avec les personnes, grâce des dispositifs ou des objets ? Avant de répondre voyons ce qu'est un réseau. "Réseau" vient de rez, filet, et désigne concrètement des lignes croisées, un entrelacs (rets, résille) mais aussi une relation physique (réseau sanguin, téléphonique) ou sociale (réseau d'ami, de collègues), un groupe ou une classe. On peut insister sur l'aspect capteur et paralysant de la toile (B. Stiegler). L'araignée immobilise sa proie sur sa toile pour la dévorer. En un sens, la toile nous vampirise, nous rend contrôlable, classable. En un autre, elle nous rend mobiles, fuyants. Au fond la toile, comme la terre, offre libertés et contraintes, physiques et humaines. On est empêché sur internet par des obstacles techniques, comme des montagnes, et refoulés de frontières ou bloqués par des péages.
"Par le terme de réseau, précise Siegfried Nadel, je ne veux pas seulement indiquer les liens entre les personnes : le terme de relation suffit à cela. Je veux plutôt indiquer qu'il y a liaison entre les liens eux-mêmes" (1957). "La triade, conclut Pierre Mercklé, s'impose donc aux yeux d'un grand nombre de chercheurs spécialisés dans l'analyse des réseaux sociaux comme la figure élémentaire du social, l'unité atomique de son analyse ; il y a entre la dyade et la triade une différence de nature, et pas seulement de nombre. Une triade n'est pas la somme de trois individus, elle n'est pas non plus la somme de trois dyades. La logique n'est plus additive, elle devient combinatoire, ouvrant la possibilité d'étudier les stratégies de coalition, de médiation, la transitivité ses affinités, etc." (Sociologie des réseaux sociaux, 2004). Le réseau est un effet impersonnel des relations et est donc à distinguer de la relation interpersonnelle.
Les relations réticulaires ou interpersonnelles peuvent être égalitaires ou hiérarchiques. Il y a des rapport interpersonnels égalitaires (amoureux) et hiérarchiques (sado-masochistes ou filiaux), comme des rapports réticulaires égalitaires (cercle d'amis, web) ou hiérarchiques (religion, politique, enseignement, santé, famille, médias de masse).
Les objets communicants concernent habituellement la relation interpersonnelle (peluche, bouquet) et non les réseaux qui concernent plus de deux personnes. L'hostie, cependant est un des objets qui permettent la communion sur un mode hiérarchique réticulaire, de l'un au multiple, de la main du curée à la bouche de chaque croyant. Par contre le vin des banquets est davantage réticulaire. Tout le monde trinque avec tout le monde d'égal à égal. La communication tangible de multiple à multiple peut encore se faire lorsque l'on tire au chapeau. Chacun met un papier et chacun en retire un. L'ordinateur est un dispositif qui reçoit lui aussi de multiples sources et émet à des cibles multiples. On a plusieurs mails sur sa boite et on envoie un mail groupé. Mais ce qui manque avec l'ordinateur, c'est la dimension tangible. Si l'on observe les vêtements, on émet avec eux des signes dans la rue à tous et on en reçoit de chacun. Le vêtement est donc un support de réseau plus tangible que l'ordinateur.
La famille est un réseau dès lors que l'on considère la séquence triadique père-mère-enfant. Pour Aristote, les parents chérissent leurs enfants comme étant quelque chose d'eux-mêmes et les enfants leurs parents comme étant quelque chose d'où ils procèdent (Ethique à Nicomaque, VIII). La famille est un réseau hiérarchique alors que les amis constituent en principe un réseau égalitaire. Un objet tangible entre dans le réseau s'il est commun à plusieurs membres de la famille ou amis, le réfrigérateur pour la famille, un compact disque entre amis. Il sera davantage réglementé dans la famille en raison du rapport hiérarchique. Le réseau commercial est lui aussi hiérarchisé. L'emprunt du vélib obéit à certaines conditions. En regardant attentivement, on trouvera des hiérarchies implicites un peu partout. Rares sont les rapports totalement égalitaires où un confiance inconditionnelle laisse le champ libre à l'usage des objets.
Comparons maintenant le réseau familial avec le rapport interpersonnel entre mari et femme. Pour Aristote, l'homme est un être naturellement enclin à former un couple, plus même qu'à former une société politique, dans la mesure où la famille est quelque chose d'antérieur à la cité et de plus nécessaire qu'elle, et la procréation des enfants une chose plus commune aux êtres vivants." L'interpersonnel est ici antérieur au réseau. L'amour mais aussi l'amitié sont premiers. Pour Aristote, sans amis personne ne choisirait de vivre, eut-il les autres biens. Quand les hommes sont amis, il n'y a plus besoin de justice (Ethique à Nicomaque, VIII). L'amitié, la philia grecque, est à prendre en fait ici au sens le plus général de relation interpersonnelle et englobe la figure de l'amour.
Dans l'espèce humaine, continue Aristote, la cohabitation de l'homme et de la femme n'a pas seulement pour objet la reproduction, mais s'étend à tous les besoins de la vie. Les conjoints se portent une aide mutuelle, mettant leurs capacités propres au service de l'oeuvre commune. C'est pour ces raisons que l'utilité et l'agrément semblent se rencontrer à la fois dans l'amour conjugal. Mais cet amour peut aussi être fondé sur la vertu.
Pour qu'il y ait amitié (dont l'amour est ici une des figures) selon Aristote, il faut qu'il y ait bienveillance mutuelle, chacun souhaitant le bien de l'autre, et que cette bienveillance ne reste pas ignorée des intéressés (cette remarque rend caduque l'usage du mot ami pour la collection des liens sur Face book ou My space). Cette bienveillance doit avoir pour cause le bien, l'agréable et l'utile. Ces deux dernières sont accidentelles et cesse quand les amis ne sont plus agréables ou utiles. L'amitié vertueuse est elle essentielle. Elle s'attache à ce qu'est la personne et non ce qu'elle a qui pourrait nous être utile ou agréable (Ethique à Nicomaque, VIII). Aristote analyse ici les relations non pas formellement mais en fonction de leur contenu. Cependant, on peut supposer que l'amitié vertueuse a plus de chance d'être égalitaire que les autres qui peuvent se réduire à un profit ou une exploitation. Ainsi, l'amour conjugal peut être considéré comme un rapport interpersonnel égalitaire, en particulier s'il repose sur la vertu.
Les enfants pour Aristote constituent un trait d'union entre mari et femme, et c'est pourquoi les époux sans enfants se détachent plus rapidement l'un de l'autre : les enfants en effet sont un bien commun aux deux et ce qui est commun maintient l'union (Ethique à Nicomaque, VIII). Si l'utile ou l'agréable sont les seuls causes, le rapport peut aisément devenir hiérarchique, surtout si les intérêts sont asymétriques. D'ailleurs l'intervention de l'enfant comme trait d'union introduit à la fois la relation réticulaire et la hiérarchie.
Voyons pour finir si le rapport interpersonnel favorise le rapport réticulaire ou non. La sociabilité est, selon Putnam, l'élément principal du capital social qu'il considère comme une ressource collective, dont le déclin menace la confiance et fait reculer l'action collective, qui sont les fondements de la démocratie américaine (...). Ainsi plus les rapports interpersonnels sont forts, plus le réseau civique sera solide. La critique la plus synthétique peut être formulée à l'aide de la théorie de la "force des liens faibles" : selon Granovetter plus les réseaux de sociabilité sont denses, plus ils sont étroits et ressemblent à des cliques fermées sur elles-mêmes, imperméables aux relations extérieures. Heran formule une loi générale : la densité des échanges au sein d'un milieu ne repose pas sur la densité des réseaux interpersonnels, mais, tout au contraire, sur leur dilatation. Les deux densités varient en sens inverse" (Pierre Mercklé, Sociologie des réseaux sociaux, 2004). Ont peut dire que la diminution de la relation étroite interpersonnelle, au lieu de nuire aux relations élargies réticulaires, les favorise. Dans ce cas, il faut se demander si les rapports humains dans le cadre technologique favorisent les rapports étroits (sociétés) ou larges (Etat). On sait qu'en un sens la mondialisation par la technologie diminue la sociabilité immédiate mais augmente les réseaux mondiaux. Il faut se demander également si le fétiche, en resserrant les liens interpersonnels, ne nuit pas à la constitution de réseaux. Si les interfaces deviennent plus tangibles, y aura-t-il une augmentation des sociétés étroites au détriment des réseaux ? Ce pourraient-il que nous puissions accroître à la fois les rapports interpersonnels et réticulaires ? Cela est-il même tout à fait souhaitable ? En effet l'individualisme à certes des défauts (Toqueville) mais il a aussi certaines qualités.
IV. Conclusion
Nous avons donc rappelé la faible matérialité des rapports spirituels. Ainsi on ne saurait s'inquiéter en un sens de l'immatérialité des rapports humains. Nous avons cependant montré le rôle important des objets matériels dans la communication, selon leur dimension affective de fétiche et symbolique de totem. Enfin nous avons montré l'existence de relations interpersonnelles ou réticulaire entre les hommes. Le fétiche est certainement lié à l'interpersonnel et le totem au réticulaire. L'idée de réseau tangible, c'est-à-dire de communauté virtuelle réalisée, suppose l'existence de fétiches réticulaires (l'auto familiale a un peu ce statut). La question qui se pose alors est de savoir si ce genre d'objet est susceptible d'entraîner un regain des rapports proches et lointains et même si cela est souhaitable.
Avec le développement des nouveaux moyens de communication, on observe une dématérialisation des relations. La proximité villageoise des sociétés traditionnelles a cédé la place aux réseaux sociaux sur internet. Si certains trouvent moyen de faire coïncider leurs rapports virtuels avec leurs relations réelles, d'autres, entend-on dire, souffriraient d'isolement et perdraient contact avec la réalité. Pour les industriels en quête de nouveaux marchés et pour les usagers qui voudraient améliorer leur mode de communication, la question qui se pose alors est celle des objets tangibles de communication susceptibles d'enraciner davantage les réseaux virtuels dans la réalité. Toutefois, cette volonté, si on la considère attentivement, pose question. N'est ce pas l'essence même de la communication d'être immatérielle ? Un réseau social ne suppose-t-il pas un rapport symbolique entre ses membres et donc une relation immatérielle ? Quel serait donc le rôle exact de l'objet tangible dans nos rapports sociaux ?
I. La communication
On désigne par "virtualisation des rapports humains" le fait que la relation aux autres se fait entre les esprits mais au détriment du corps, de la présence réelle. Un personne qui passe davantage de temps derrière son ordinateur ou devant sa télévision entretient un rapport virtuel avec les hommes et le monde en général. Cette situation conviendrait sans doute aux anges, esprits sans corps, mais non aux hommes dans la mesure où ils sont d'essence aussi bien corporelle que spirituelle.
Cependant, remarquons d'abord que la notions de relation appartient par définition au champ de l'immatériel. Si ma cuillère est à gauche de ma tasse, le fait d'être à gauche n'est pas à proprement parler un objet matériel. C'est une relation. Si je dis "Paul et Virginie s'aiment", la relation d'amour qu'il y a entre Paul et Virginie est un rapport métaphysique entre deux êtres physiques. Ensuite, bien que nos corps se touchent ou se croisent dans l'espace, ce n'est pas ces événements physiques qui constituent la relation humaine proprement dite. La relation en question est une relation spirituelle, que l'on discute de Platon ou de Football. Or cette relation spirituelle n'est pas en principe matérielle.
Quant au concept de virtualité, il n'est pas exactement synonyme d'immatérialité. Le virtuel s'oppose dans l'usage qui en est fait ici au réel. Le monde virtuel des jeux vidéos, par exemple, est un monde fictif, pour de faux, celui de la simulation. Ici, le rapport homme-monde ou homme-homme est discrètement remplacé par celui homme-machine. Il n'est donc pas tout à fait exact de parler de "rapport virtuel" aux autres avec les nouvelles technologies, dans la mesure ou justement il y a bien un rapport réel avec autrui. Je communique réellement au téléphone et sur internet. Seulement, je le fais sur un mode qui n'implique qu'une partie réduite de mon corps. L'autre n'est pas directement en face ou présent. Il l'est partiellement, par la voix ou son texte. On peut alors parler de rapport immatériel.
Cependant, la matérialité n'a pas intégralement disparu. Elle a fortement diminué, réduite à un son, une image ou un texte. On peut donc dire que les nouveaux médias conservent des rapports réels entre les gens mais diminuent leur implication physique. Même si je ressens bien dans tout mon corps la joie, la peine et les émotions que provoquent en moi une bonne ou une mauvaise nouvelle, la perception de l'autre est altérée par l'interface.
Il y a donc une diminution de la relation physique dans les nouvelles communications. L'autre est réduit à un texte sur un écran, une voix au téléphone ou une image sur un écran. Demain peut-être sera-t-il restitué sous forme d'hologramme et pourquoi pas reconstitué ici où là atome par atome. Dans ce cas, on ne parlera plus d'immatérialité mais de transmatérialité. On comprend ici que ce qui interdit la présence globale d'autrui, c'est l'interface. Plus l'autre sera rendu présent, plus l'interface se fera absente. Ceci non pas nécessairement sur le plan technologique, car la machine transmatérielle, qui nous fera voyager instantanément dans l'espace, doit être un instrument complexe, mais invisible, car autrui sera présent en chair et en os. On peut noter que le barrage temporel de l'interface a été résolu, puisqu'on communique en temps réel. La question actuelle alors est celle de dissoudre les limites spaciales à travers l'augmentation de la résolution et de la restitution.
On ne saurait d'ailleurs nier l'ambivalence de nos interfaces, qu'il s'agisse des mots ou mêmes de puissants outils de calcul. Oui elles s'interposent entre vous et moi, entre nous et le réel mais, en même temps, elles autorisent la découverte de l'autre et du monde. Le langage est un artifice qui s'interpose entre nous et le monde mais sans lequel le monde et l'homme ne seraient pas conçus, sans lequel notre intelligence serait strictement animale. Il faut donc d'abord connaître le monde par nos instruments pour ensuite comprendre que ces instruments nous isolent du monde.
On comprend maintenant que nos rapports humains, bien que de nature spirituelle, requièrent une base physique, aussi faible ou lointaine soit-elle. Il est difficile de croire, à moins de parler de transmission de pensée (télépathie), que nos rapports spirituels soient nullement matériels. Car l'usage des signes est nécessaire, bien qu'ils n'aient parfois sur le plan matériel qu'un faible poids, comme celui des mots écrits ou parlés.
Les rapports humains sont des rapports immatériels qui reposent sur une base matérielle. La question qui est ici en jeu est celle d'une dématérialisation croissante des rapports humains. Il semblerait que celle-ci n'ait rien d'inquiétant puisque l'essence de la communication est immatérielle. On peut même dire que plus les rapports sont immatériels, plus on communique. L'e-mail par rapport au courrier postal est moins matériel et plus rapide. Un coup de fil est moins physique qu'un déplacement et également plus rapide. Cette rapidité entraîne une multiplication. J'envoie des informations plus rapidement, donc je peux en envoyer davantage. La sur-information dont on parle aujourd'hui est une conséquence de l'accélération, elle même issue de la dématérialisation de nos échanges.
Comme les livres du moyen âge, les gros ordinateurs nous obligent à rester statiques. Puis les formats réduits de livres ou d'ordinateurs nous ont rendu plus mobiles. L'électronique permet d'aller plus loin dans la mobilité et la miniaturisation. On peut implanter des prothèses directement sur le corps (lunettes, casques). Mais cela nous isole en un sens du monde. Il ne faut pas confondre en tous cas ergonomie et contact avec l'extérieur. Au contraire, certains outils sont si ergonomiques qu'ils nous coupent de l'extérieur. Le confort des voitures, par exemple, représente un danger dans la mesure où nous perdons conscience de la vulnérabilité des piétons ou de la dangerosité de notre conduite.
"L'un des principaux effets de la numérisation, écrit Derrick de Kerckhove, est de rendre liquide tout ce qui est solide (...). Cette flexibilité fait que la matière, jadis perçue comme constituée de substances mutuellement hétérogènes et impénétrables, semble aussi fluide aujourd'hui que la pensée elle-même" (L'Intelligence des réseaux, Odile Jacob, 1997). Le monde est donc en apparence en train de devenir de la pensée. L'opposition entre la matière lourde et pesante et l'esprit subtil et fluide est, semble-t-il, en train de disparaître. Mais, si tout devenait pensée, il n'y aurait plus de monde, plus de réalité. Cela signifierait que nous aurions entièrement remodelé le monde à l'image que nous aurions choisie. Les problèmes environnementaux, médicaux ou sociaux sont là pour nous rappeler que le monde matériel persiste et oppose une résistance à non projections virtuelles. On ne peut nier l'extraordinaire extension dans le monde de nos interfaces cognitives, sensorielles, communicatives, etc. Mais cela ne doit pas nous faire oublier que, comme le rappelle Bernard Stiegler, notre monde soit disant immatériel est en même temps hyper-matériel (Economie de l'hypermatériel, 2008). Car les instruments et les infrastructures qui permettent les échanges immatériels eux sont bien matériels. Certes, nous usons moins de papier avec les ordinateurs. Mais il faut aussi produire des ordinateurs, l'énergie qu'ils consomment et gérer les déchets qu'ils entraînent.
On peut se demander si c'est la matière qui devient davantage esprit ou l'esprit qui devient davantage matière. Il s'agit au fond du problème de la liberté. Lorsque l'homme devient matière, il se comporte de façon machinale, comme les masses des systèmes totalitaires. "Les images de télévision, constate Serge Tisseron, sont de plus en plus façonnées par un collectif dans lequel les intentions de chacun et les initiatives personnelles sont effacées au profit des interrelations entre les différentes instances intervenant dans la fabrication de ces images. Autrement dit, celles-ci sont produites par des dispositifs plus que par des personnes" (Comment l'esprit vient aux objets, 1999). Il y a donc ici une mécanisation de l'homme plus qu'une libération. Une convention implicite lie le réalisateur et son public. On peut même se demander à quel point notre système politico-économique est volontaire. C'est peut être justement le système qui se déploie selon sa propre logique au delà des volontés individuelles.
L'hypothèse selon laquelle la matière devient humaine et se trouve animée par notre volonté et nos choix, ne relève peut-être que du fantastique ou du religieux. "Nous voulons, ajoute Derrick de Kerckhove, que nos machines répondent (...). La réponse est un nouveau miroir, dont nous avons plus besoin que d'autres. C'est le miroir de nos sentiments, de notre intérieur". Mais le monde fut toujours notre miroir, notre projection, même si, effectivement, le miroir cybernétique s'anime. "Toute forme est un visage qui nous regarde" écrit Serge Daney (Persévérance, 1992). Le monde est perçu en même temps que nous nous apercevons en train de rire ou de pleurer. Pourquoi dessinons-nous si spontanément des visages ? Notre visage est en filigrane dans ce que nous voyons, notre voix dans ce que nous entendons, notre humeur dans ce que nous sentons. Je dirais que l'homme est spontanément animiste, qu'il transfère son esprit partout, même si notre éducation matérialiste nous apprend à ne pas confondre les hommes et les choses. Cela réapparaît lorsque par exemple vous parlez à votre ordinateur. L'intelligence artificielle et le monde moderne réactualisent une sorte d'animisme. Nous ne voyons plus des ancêtres dans les pierres, des génies dans le vent, mais les voitures nous désobéissent ou nous menacent, les affiches publicitaires nous séduisent, nos ordinateurs nous attendent à la maison. On pourrait appeler ça l'effet Pinocchio.
II. L'Objet
La joie d'un visage ou l'austérité d'une bâtisse sont des signes ayant une certaine densité matérielle. L'architecture est un langage. Tous les objets, au fond, sont des signes. Les objets sont parfois fonctionnels mais toujours aussi symboliques. Ils ont une utilité mais aussi un sens et expriment un statut. Si je me promène avec un fusil de chasse dans le tramway, on ne se dira pas en priorité "cet homme a là un instrument de chasse". Immédiatement l'objet laissera penser certaines choses à mon propos. Il s'instaurera une relation humaine particulière, méfiante et hostile, entre les voyageurs et moi. Le fusil est perçu comme un signe avant d'être vu comme un outil.
Le design consiste bien souvent non pas à remettre en cause la fonction (une chaise est une chaise) mais la symbolique (une chaise d'écolier ou de notable). Le design, aujourd'hui étendu à tout (au corps, à l'espace, aux images etc.), est avant tout une production symbolique de formes, de styles et de modes. Le design génère aussi de nouveaux usages, qui à leur tour deviennent symboliques. Au début du téléphone portable, les rares personnes à utiliser des mobiles dans la rue se distinguaient des autres par leur statut. Notre manière de parler, de marcher, de vivre n'est pas anodine du point de vue symbolique.
Les objets ont donc deux fonctions, l'une utilitaire et l'autre symbolique. Certes la fonction utilitaire apparaît comme nécessaire et la fonction symbolique accessoire. S'il fait moins quinze dehors et que je me retrouve à la porte de chez moi en pyjama pour une raison ou une autre, je ne vais pas refuser un manteau que l'on me tend sous prétexte qu'il est ringard. Toutefois, la fonction symbolique des objets et des gestes obéit à une certaine nécessité sociale. Il y a des manières de se tenir, de s'habiller et de parler différentes en fonction des situations et disqualifiantes si on ne les respecte pas. Si je faisais mon intervention ici allongé sur le dos, cela ne changerait rien au contenu de ce que je dis mais pourrait me faire perdre ma crédibilité.
Par définition, l'interface, comme l'écran de notre ordinateur, s'interpose entre nous et autrui. Mais d'autres produits, nos vêtements, nos véhicules, nos accessoires nous permettent de communiquer. Ces produits sont même capables de supporter nos affects, comme le doudou, le nounours ou le foulard de l'aimé. Les objets singularisés peuvent devenir fétiches, c'est-à-dire pouvoir accueillir une âme et transmettre une relation émotive. Les objets les plus affectueux sont des objets qui ont comme une personnalité et donc une singularité. Par contre un objet standardisé, comme une petite cuillère, est considéré comme indistinct, massif, c'est de la petite cuillère, comme on dirait c'est de l'eau ou du vent.
Avec la nourriture ou la cigarette, on observe cependant un rapport sinon affectif du moins sensuel. On peut en plus s'attacher à telle marque de cigarette, en fonction de son image ou de sa saveur. On remarque aussi que nous sommes plus sensibles à la palpation et l'audition qu'à la vision qui met les choses à distance. C'est pourquoi les objets ou les matières les plus sensuelles sont celle que l'on touche, que l'on sent, que l'on goûte ou que l'on entend. On peut comparer à nouveau la lettre manuscrite au mail. La lettre est un objet tangible, que l'autre a touché et sur laquelle il a écrit avec sa main. Les jeunes amoureuses laissent parfois une trace de baiser au rouge à lèvre pour accentuer cela. Ainsi, la lettre manuscrite, qui tout à l'heure en tant que symbole était moins rapidement accessible qu'un mail, est plus intense en terme affectif et qualitatif.
L'objet personnel n'est pas l'objet personnalisé du marketing, qui n'est que l'objet spécifique d'une gamme. L'objet fétichisé aura la trace de notre action propre, notre odeur sur un foulard, notre bricolage sur une voiture tuning, notre autocollant sur notre ordinateur. Mais l'objet sorti d'usine, même en série limitée, n'a pas encore eu le temps de se charger d'affect par son frottement avec la vie.
On peut distinguer plus précisément l'objet personnel individuel (oreillette, mouchoir), l'objet interpersonnel (dont la "saleté" est un gage d'intimité, comme le tee-shirt porté par l'aimé), l'objet collectif utilisé individuellement (cabine téléphonique, fauteuil) et l'objet collectif utilisé collectivement (baby foot, wagon, cinéma). Notre transfert affectif est plus difficile sur des objets collectifs utilisés individuellement qui sont alors souvent perçus comme sales, à la différence des objets personnels ou interpersonnels. L'objet collectif utilisé collectivement, par contre, dégoûte un peu moins (le ballon de Rugby, la piscine).
On pourrait opposer l'objet-fétiche affectif, personnel ou interpersonnel, à l'objet-totem symbolique collectif en reprenant la distinction de Frazer rapportée par Freud : "Le totem se distingue du fétiche en ce qu'il n'est jamais un objet unique, comme ce dernier, mais toujours le représentant d'une espèce, animale ou végétale, plus rarement d'une classe d'objets inanimés, et plus rarement encore d'objets artificiellement fabriqués (Totem et tabou, 1913). Le fétiche est davantage le résultat d'une transition affective alors que le totem est le symbole d'une valeur. "Le totémisme, écrit Freud, est un système à la fois religieux et social" (Totem et tabou, 1913). Le totem est un support de réseau en nous attachant à une valeur transcendante qui nous permet de nous fédérer aux autres de manière impersonnelle.
On peut encore assimiler le totem à l'image-objet et le fétiche à l'objet-image, si l'on reprend l'analyse de Serge Tisseron : "Alors que l'image-objet réduit l'image matérielle à la représentation qui orne l'une de ses faces, l'objet-image prend en compte l'ensemble des relations que nous entretenons avec elle. Ces relations engagent sa matière, sa taille, son poids, son épaisseur, le jeu de son recto et de son verso, mais aussi la possibilité de le manipuler et de la transformer (...). Le modèle de notre relation aux images sera de moins en moins le miroir devant lequel nous nous immobilisons, comme devant un tableau, et de plus en plus les premières traces de l'enfant avec lesquelles il établit une relation interactive (...). Autrement dit, dans la relation qu'il a avec ces images, ce n'est pas le regard qui importe, c'est l'interaction entre l'oeil et la main comme moyen d'appropriation psychique des expériences du monde" (Comment l'esprit vient aux objets, 1999). L'objet-image introduit donc rapport intime et affectif aux interfaces. On peut donc postuler que l'invention de nouvelles interfaces, davantage interactives, nous conduit à passer d'un système totémique à un système fétichiste. Ceci est corroboré par le fait que notre société soit plus individualiste et narcissique que les sociétés traditionnelles.
DW Winnicott a introduit le terme d'objets tansitionnels et de phénomènes transitionnels "pour désigner l'aire intermédiaire d'expérience qui se situe entre le pouce et l'ours en peluche, entre l'érotisme oral et la véritable relation d'objet" (Jeu et réalité,1971). L'objet transitionnel est donc dérivé d'un rapport narcissique. C'est un rapport auto-érotique qui se déplace en utilisant l'objet comme intermédiaire. Il ajoute plus loin : "Le bout de couverture (ou n'importe quoi d'autre) est symbolique, c'est vrai, d'un objet partiel, du sein, par exemple. Cependant, ce qui importe n'est pas tant sa valeur symbolique que son existence effective. Que cet objet ne soit pas le sein (ou la mère), bien qu'il soit réel, importe tout autant que le fait qu'il soit à la place du sein (ou de la mère)" (Jeu et réalité,1971). Selon le point de vue affectif, l'objet est antérieur à autrui. Autrui devient, après l'objet, le dernier stade du rapport auto-érotique médiatisé. Lorsque un fétiche porte la trace d'autrui, et non plus la mienne, il s'agit d'un retour tardif à l'objet médiatisé par autrui. En ce sens, la personnification des machines n'est plus nécessairement concevable comme un transfert symbolique d'autrui sur l'objet, mais comme un transfert affectif de soi sur l'objet.
III. Le réseau
L'interaction réelle concerne le rapport homme-homme, quand je discute avec quelqu'un dans la rue par exemple. L'interaction virtuelle (interactivité) concerne le rapport homme-machine, quand je joue aux échec avec mon ordinateur ou commande des billets sur internet. L'interaction immatérielle concerne le rapport homme-machine-homme, lorsque j'échange des mails ou des coup de fils. Le rapport immatériel par les machines est une sophistication du rapport par l'outil (la machine est un outil avec un moteur). Les rapports humains sont médiatisés par l'outil (langage, vêtement, porte manteau, horloge, tableau, arrêt de bus, salle d'attente). Le domaine de la sensualité (parentale ou sexuelle) échappe en partie à l'outil dans la caresse ou la fessée. Mais bien souvent il passe par l'outil : les mots, les cadeaux, le martinet. Autrement dit, le rapport immatériel est un accroissement du rapport ustensile qui est un rapport au fond répandu. Il peut même se substituer utilement au langage. "Lorsque le chef suprême d'Hawaï rencontra, en 1779, le capitaine Cook, il ôta sa cape et enveloppa les épaules du navigateur : c'était lui offrir un présent d'une grande valeur en signe de bienvenue et de respect" (B. Geoffroy-Schneiter, Arts premiers, 1999).
Pouvons-nous interagir avec des services ou des réseaux sociaux, comme on le fait avec les personnes, grâce des dispositifs ou des objets ? Avant de répondre voyons ce qu'est un réseau. "Réseau" vient de rez, filet, et désigne concrètement des lignes croisées, un entrelacs (rets, résille) mais aussi une relation physique (réseau sanguin, téléphonique) ou sociale (réseau d'ami, de collègues), un groupe ou une classe. On peut insister sur l'aspect capteur et paralysant de la toile (B. Stiegler). L'araignée immobilise sa proie sur sa toile pour la dévorer. En un sens, la toile nous vampirise, nous rend contrôlable, classable. En un autre, elle nous rend mobiles, fuyants. Au fond la toile, comme la terre, offre libertés et contraintes, physiques et humaines. On est empêché sur internet par des obstacles techniques, comme des montagnes, et refoulés de frontières ou bloqués par des péages.
"Par le terme de réseau, précise Siegfried Nadel, je ne veux pas seulement indiquer les liens entre les personnes : le terme de relation suffit à cela. Je veux plutôt indiquer qu'il y a liaison entre les liens eux-mêmes" (1957). "La triade, conclut Pierre Mercklé, s'impose donc aux yeux d'un grand nombre de chercheurs spécialisés dans l'analyse des réseaux sociaux comme la figure élémentaire du social, l'unité atomique de son analyse ; il y a entre la dyade et la triade une différence de nature, et pas seulement de nombre. Une triade n'est pas la somme de trois individus, elle n'est pas non plus la somme de trois dyades. La logique n'est plus additive, elle devient combinatoire, ouvrant la possibilité d'étudier les stratégies de coalition, de médiation, la transitivité ses affinités, etc." (Sociologie des réseaux sociaux, 2004). Le réseau est un effet impersonnel des relations et est donc à distinguer de la relation interpersonnelle.
Les relations réticulaires ou interpersonnelles peuvent être égalitaires ou hiérarchiques. Il y a des rapport interpersonnels égalitaires (amoureux) et hiérarchiques (sado-masochistes ou filiaux), comme des rapports réticulaires égalitaires (cercle d'amis, web) ou hiérarchiques (religion, politique, enseignement, santé, famille, médias de masse).
Les objets communicants concernent habituellement la relation interpersonnelle (peluche, bouquet) et non les réseaux qui concernent plus de deux personnes. L'hostie, cependant est un des objets qui permettent la communion sur un mode hiérarchique réticulaire, de l'un au multiple, de la main du curée à la bouche de chaque croyant. Par contre le vin des banquets est davantage réticulaire. Tout le monde trinque avec tout le monde d'égal à égal. La communication tangible de multiple à multiple peut encore se faire lorsque l'on tire au chapeau. Chacun met un papier et chacun en retire un. L'ordinateur est un dispositif qui reçoit lui aussi de multiples sources et émet à des cibles multiples. On a plusieurs mails sur sa boite et on envoie un mail groupé. Mais ce qui manque avec l'ordinateur, c'est la dimension tangible. Si l'on observe les vêtements, on émet avec eux des signes dans la rue à tous et on en reçoit de chacun. Le vêtement est donc un support de réseau plus tangible que l'ordinateur.
La famille est un réseau dès lors que l'on considère la séquence triadique père-mère-enfant. Pour Aristote, les parents chérissent leurs enfants comme étant quelque chose d'eux-mêmes et les enfants leurs parents comme étant quelque chose d'où ils procèdent (Ethique à Nicomaque, VIII). La famille est un réseau hiérarchique alors que les amis constituent en principe un réseau égalitaire. Un objet tangible entre dans le réseau s'il est commun à plusieurs membres de la famille ou amis, le réfrigérateur pour la famille, un compact disque entre amis. Il sera davantage réglementé dans la famille en raison du rapport hiérarchique. Le réseau commercial est lui aussi hiérarchisé. L'emprunt du vélib obéit à certaines conditions. En regardant attentivement, on trouvera des hiérarchies implicites un peu partout. Rares sont les rapports totalement égalitaires où un confiance inconditionnelle laisse le champ libre à l'usage des objets.
Comparons maintenant le réseau familial avec le rapport interpersonnel entre mari et femme. Pour Aristote, l'homme est un être naturellement enclin à former un couple, plus même qu'à former une société politique, dans la mesure où la famille est quelque chose d'antérieur à la cité et de plus nécessaire qu'elle, et la procréation des enfants une chose plus commune aux êtres vivants." L'interpersonnel est ici antérieur au réseau. L'amour mais aussi l'amitié sont premiers. Pour Aristote, sans amis personne ne choisirait de vivre, eut-il les autres biens. Quand les hommes sont amis, il n'y a plus besoin de justice (Ethique à Nicomaque, VIII). L'amitié, la philia grecque, est à prendre en fait ici au sens le plus général de relation interpersonnelle et englobe la figure de l'amour.
Dans l'espèce humaine, continue Aristote, la cohabitation de l'homme et de la femme n'a pas seulement pour objet la reproduction, mais s'étend à tous les besoins de la vie. Les conjoints se portent une aide mutuelle, mettant leurs capacités propres au service de l'oeuvre commune. C'est pour ces raisons que l'utilité et l'agrément semblent se rencontrer à la fois dans l'amour conjugal. Mais cet amour peut aussi être fondé sur la vertu.
Pour qu'il y ait amitié (dont l'amour est ici une des figures) selon Aristote, il faut qu'il y ait bienveillance mutuelle, chacun souhaitant le bien de l'autre, et que cette bienveillance ne reste pas ignorée des intéressés (cette remarque rend caduque l'usage du mot ami pour la collection des liens sur Face book ou My space). Cette bienveillance doit avoir pour cause le bien, l'agréable et l'utile. Ces deux dernières sont accidentelles et cesse quand les amis ne sont plus agréables ou utiles. L'amitié vertueuse est elle essentielle. Elle s'attache à ce qu'est la personne et non ce qu'elle a qui pourrait nous être utile ou agréable (Ethique à Nicomaque, VIII). Aristote analyse ici les relations non pas formellement mais en fonction de leur contenu. Cependant, on peut supposer que l'amitié vertueuse a plus de chance d'être égalitaire que les autres qui peuvent se réduire à un profit ou une exploitation. Ainsi, l'amour conjugal peut être considéré comme un rapport interpersonnel égalitaire, en particulier s'il repose sur la vertu.
Les enfants pour Aristote constituent un trait d'union entre mari et femme, et c'est pourquoi les époux sans enfants se détachent plus rapidement l'un de l'autre : les enfants en effet sont un bien commun aux deux et ce qui est commun maintient l'union (Ethique à Nicomaque, VIII). Si l'utile ou l'agréable sont les seuls causes, le rapport peut aisément devenir hiérarchique, surtout si les intérêts sont asymétriques. D'ailleurs l'intervention de l'enfant comme trait d'union introduit à la fois la relation réticulaire et la hiérarchie.
Voyons pour finir si le rapport interpersonnel favorise le rapport réticulaire ou non. La sociabilité est, selon Putnam, l'élément principal du capital social qu'il considère comme une ressource collective, dont le déclin menace la confiance et fait reculer l'action collective, qui sont les fondements de la démocratie américaine (...). Ainsi plus les rapports interpersonnels sont forts, plus le réseau civique sera solide. La critique la plus synthétique peut être formulée à l'aide de la théorie de la "force des liens faibles" : selon Granovetter plus les réseaux de sociabilité sont denses, plus ils sont étroits et ressemblent à des cliques fermées sur elles-mêmes, imperméables aux relations extérieures. Heran formule une loi générale : la densité des échanges au sein d'un milieu ne repose pas sur la densité des réseaux interpersonnels, mais, tout au contraire, sur leur dilatation. Les deux densités varient en sens inverse" (Pierre Mercklé, Sociologie des réseaux sociaux, 2004). Ont peut dire que la diminution de la relation étroite interpersonnelle, au lieu de nuire aux relations élargies réticulaires, les favorise. Dans ce cas, il faut se demander si les rapports humains dans le cadre technologique favorisent les rapports étroits (sociétés) ou larges (Etat). On sait qu'en un sens la mondialisation par la technologie diminue la sociabilité immédiate mais augmente les réseaux mondiaux. Il faut se demander également si le fétiche, en resserrant les liens interpersonnels, ne nuit pas à la constitution de réseaux. Si les interfaces deviennent plus tangibles, y aura-t-il une augmentation des sociétés étroites au détriment des réseaux ? Ce pourraient-il que nous puissions accroître à la fois les rapports interpersonnels et réticulaires ? Cela est-il même tout à fait souhaitable ? En effet l'individualisme à certes des défauts (Toqueville) mais il a aussi certaines qualités.
IV. Conclusion
Nous avons donc rappelé la faible matérialité des rapports spirituels. Ainsi on ne saurait s'inquiéter en un sens de l'immatérialité des rapports humains. Nous avons cependant montré le rôle important des objets matériels dans la communication, selon leur dimension affective de fétiche et symbolique de totem. Enfin nous avons montré l'existence de relations interpersonnelles ou réticulaire entre les hommes. Le fétiche est certainement lié à l'interpersonnel et le totem au réticulaire. L'idée de réseau tangible, c'est-à-dire de communauté virtuelle réalisée, suppose l'existence de fétiches réticulaires (l'auto familiale a un peu ce statut). La question qui se pose alors est de savoir si ce genre d'objet est susceptible d'entraîner un regain des rapports proches et lointains et même si cela est souhaitable.
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