Les territoires réels et
virtuels sont des lieux d'échanges libres ou commerciaux. Nous
allons réfléchir rapidement à ces notions à travers les exemples
de la pause déjeuner et du commerce de proximité. Comment
distinguer sur un territoire les réseaux sociaux et les services
commerciaux ? Peuvent-ils se confondre ? Faut-il les distinguer ou
les confondre ?
I. Les territoires
Le territoire est une
étendue de "terre" occupée par un individu ou un groupe.
C'est aussi la zone de vie d'un animal. L'occupation et
l'appropriation du territoire suppose une délimitation active, voire
violente, afin d'interdire l'accès aux éléments non désirés
(ennemis, fléaux, rivaux, etc.) et de sécuriser une zone. Si le
territoire désigne initialement un lieu réel, il peut néanmoins se
rapporter à des espaces virtuels. Par exemple, les colonnes d'un
journal ne sont pas ouvertes à tous. Un comité de rédaction
effectuera un tri pour déterminer ce qui est publiable ou non.
Aujourd'hui, internet offre une impressionnante dimension
complémentaire au monde réel. Les communautés ou les entreprises y
possèdent des territoires, les sites, bien souvent protégés par
des codes d'accès ou des services de paiement en ligne. Si l'on
envisage les thèmes de la pause déjeuner ou du commerce de
proximité à l'aune du concept de territoire, on peut dire que le
restaurateur accueille sur son territoire des clients qui peuvent
être des habitués et se trouver comme chez eux dans le restaurant.
Cette proximité entre les restaurateurs et les clients peut
s'étendre au web (menus en ligne, service de réservation,
information sur les événements, etc.). En ce qui concerne les
commerces de proximité, ils animent la vie du quartier, lequel est
le territoire public le plus immédiat après l'espace privé de la
demeure. Ici aussi il existe une extension sur internet, par exemple
lorsqu'un commerce diffuse ses horaires d'ouverture et son numéro de
téléphone.
II. Les réseaux
Un réseau désigne au
propre un entrelacs de fils ou de voies. Au figuré, il dénote les
rapports humains comme les réseaux d'amis, de clients ou de
militants. Le réseau est un type d'organisation horizontal, organisé
par les interactions plutôt que par la décision d'un chef. Même
s'il existe des réseaux commerciaux, les réseaux sont bien souvent
non lucratifs. Les échanges reposent sur les affects plus que sur la
raison, sur le don plutôt que le calcul, sur les valeurs sociales de
reconnaissance au lieu de rapports économiques de profit. En ce qui
concerne la pause déjeuner, elle permet généralement de rompre les
rapports professionnels et commerciaux, bien qu'on puisse déjeuner
avec des collègues et faire ainsi marcher le petit commerce. Quant
au commerce de proximité, en dépit de son caractère marchand, il
offre davantage en terme d'échanges sociaux. On connaît par exemple
l'importance des commerces de proximité pour les personnes âgées
qui souvent réclament attention et assistance. C'est que le mot
"proximité", en plus de sa dénotation spatiale, possède
une connotation affective.
III. Les services
La notion de service
appartient au domaine du travail plus que du loisir (même si l'on
peut rendre service à un voisin en l'aidant à jardiner). Le concept
de service est plus rigide que celui de réseau, plus vertical et
"opératif". J'emprunte ce dernier terme à JL Weissberg
qui écrit : "Le cyberspace cumule la fonction imaginaire
(ludique, onirique, relationnelle) avec la fonction opérative
(formation, commerce, travail)" (Présence à distance, p
137). La notion de service porte non pas sur le produit mais plus en
amont ou en aval sur l'activité liée au produit (préparation,
conseils, vente, réparation, etc.). Concernant la pause déjeuner,
les services sont ceux "offerts" par les restaurateurs mais
aussi les télécommunications qui permettent de s'organiser pour la
pause (téléphonie, internet). En ce qui concerne les commerces de
proximité, ils sont eux-mêmes des services, même s'ils sont plus
conviviaux que les commerces plus anonymes comme les supermarchés.
Conclusion
Nous voyons donc se
tisser, sur les territoires réel et virtuel, des relations plus ou
moins marchandes ou hiérarchisées. Les territoires eux-mêmes
naissent et se forment grâce à ces échanges. Ils sont bien plus
qu'un cadre abstrait déjà constitué. Ce qui est remarquable, c'est
l'intrication des rapports libres et marchands. On pourrait dire avec
Michel de Certeau que les usagers développent des tactiques plus
humaines à partir du cadre stratégique des échanges réglés.
C'est cette dialectique entre une approche disciplinaire et
conviviale des territoires qu'il faut prendre en compte pour profiter
des possibilités offertes par internet. En effet, l'interactivité
doit pouvoir offrir une plus grande liberté de s'organiser et de se
rencontrer et ne doit pas affadir notre rapport au temps et à
l'espace à travers de nouvelles formes de planifications.
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