mardi 23 août 2022

ISLAM & MULTICULTURALISME

    

Lorsque l'on désire photographier quelqu'un, on se contente rarement d'un seul cliché. On en prend plusieurs et l'on sélectionne le meilleur pour conserver un instantané valorisant. Par contre, il vous suffit de retenir le pire d'entre-eux, celui où les yeux sont entrouverts et le bouche tordue, pour fournir une image hideuse. C'est ce pouvoir de sélection qu'ont les grands médias. Il leur suffit de montrer leur sujet sous son plus mauvais profil pour en fournir un portrait exécrable. Si vous appliquez cela à l'image d'une communauté, d'une idéologie ou d'une religion, non seulement vous suscitez la méfiance vis-à-vis d'elle, mais vous incitez cette communauté à se replier sur elle-même, puisqu'elle perçoit également la façon dont on la présente. Depuis les années quatre-vingt et la fin de la guerre froide, une représentation médiatique négative de l'islam est diffusée, exacerbée entre autres par le développement de l'extrême droite d'un côté et le fanatisme religieux de l'autre. Si l'on parle aujourd'hui souvent d'islam, on n'en connaît que très peu de choses. Je voudrais ici rappeler quelques faits historiques et définir brièvement ce qui caractérise cette religion et cette culture, son rapport aux autres religions et sa place dans les démocraties libérales et multiculturelles. 


Mahomet nait vers 570 à La Mecque située dans l'actuelle Arabie Saoudite. D'abord modeste berger, il deviendra ensuite caravanier. En 610 il reçut la révélation de l'archange Gabriel (Jibril). Dieu l'avait choisi comme messager. Mahomet et ses disciples furent d'abord persécutés. Puis il devint peu à peu un chef politique et militaire. L'influence de l'islam s'est étendue grâce aux conquêtes et aux conversions jusqu'en Afrique du Nord et subsaharienne, en Espagne, en Asie centrale, en Inde, en Chine et en Indonésie. L'islam perdit un peu de son influence avec le déclin de l'empire ottoman au début du XXème siècle et l'éveil du nationalisme arabe, du panarabisme et des luttes de décolonisation. Toutefois de nouvelles tendances conservatrices se sont développées dans les années quatre-vingt, avec la révolution iranienne d'un côté et les combattants afghans soutenus par les américains contre les soviétiques de l'autre. Comme dans toutes les religions, nous avons aujourd'hui des courants musulmans divers, allant des plus réactionnaires aux plus progressistes. 

Si l'on compare l'islam avec les autres religions monothéistes, il est frappant de voir qu'elles ont une origine commune. Elles descendent toutes de la tradition d'Abraham qui aurait vécu au niveau de l'actuel Irak vers moins 1200. Jésus lui est né à Bethléem en Palestine. Ainsi les trois grandes figures du monothéisme sont nées sur le même territoire de la péninsule arabique. Parallèlement au développement de l'islam en orient, le christianisme s'est développé en occident, d'abord dans le sillage de l'empire romain, puis dans le monde anglo-saxon, en Europe de l'est et un peu partout ailleurs à la faveur du commerce triangulaire et du colonialisme. Nous voyons donc que l'expansion de ces religions n'est pas uniquement spirituelle et s'accompagne d'une dimension économique et géopolitique. A cela on peut ajouter une dimension philosophique, car la philosophie grecque s'est diffusée dans le monde romain et chrétien mais également dans le monde arabe et musulman. 

Ce qui caractérise l'islam traditionnel sur le plan de la pratique c'est le respect des cinq piliers : foi dans l'unicité de dieu, cinq prières quotidiennes, aumône aux nécessiteux, jeûne du ramadan, un pèlerinage à la Mecque dans sa vie (si on en a les moyens). On peut ajouter d'autres règles comme l'abstinence en matière d'alcool, de porc, la dissimulation des cheveux pour les femmes, le mariage exclusivement entre coreligionnaires, la non mixité des salles de prières etc. Toutefois le respect ou non - et même l'évaluation de la pertinence et de l'authenticité - de quelques unes ou de toutes ces règles dépend des courants, des personnes, des situations. Comme je l'ai dit, il existe des courants aussi bien libéraux et progressistes que rigoristes, conservateurs ou fondamentalistes. 

Si l'on devait dégager l'éthique propre à l'islam on pourrait discerner deux principes : l'humilité et la solidarité. Le premier a souvent été réduit à un principe de soumission absolue et d'abdication de la liberté. Mais on peut l'entendre comme un principe de tempérance et de mesure à la fois dans la pratique et dans la croyance. La condamnation de l'idolâtrie peut s'entendre non pas comme un abandon fanatique à dieu mais comme une forme de refus des idoles et des faux prophètes. Le monothéisme à mon avis a préparé le terrain de l'athéisme en invitant à la méfiance vis-à-vis des croyances envers les idoles. Il suffisait d'étendre le doute à dieu lui-même pour sortir de la religion. Quant au principe de solidarité, il est lié à celui d'humilité, en tant que l'on ne doit pas s'idolâtrer soi-même mais faire preuve d'altruisme. La solidarité s'étend aux autres musulmans mais également aux non musulmans dès lors qu'ils ne leur sont pas hostiles.

Ce que l'islam, ou plutôt les islams ! sont est d'autant plus difficile à définir qu'il faut tenir compte de ce qu'ils paraissent, surtout aux yeux des européens. L'Orientalisme d'Edward Saïd offre un vue assez complète des préjugés passés et présents sur l'islam. Ils sont liés à l'ambivalence éprouvée à l'égard du monde arabe - bien qu'évidemment tous les musulmans ne soient pas arabes ni tous les arabes musulmans. Il y a d'un côté la caricature exotique d'un orient sensuel, à l'esthétique colorée et mystérieuse et de l'autre le mépris ou la crainte. Ces stéréotypes ont été fortement réactivés après la guerre froide avec la disparition de l'ennemi soviétique et la désignation d'un nouvel adversaire, notamment à travers la théorie du "choc des civilisations de Huntington" (et aujourd'hui du "grand remplacement"), même si "l'ennemi" sino-russe de la guerre froide est réapparu ces dernières années. Sans vouloir aplanir les différences culturelles entre les peuples, il faut néanmoins rappeler que les mondes arabes et musulmans ne sont pas étrangers à l'Europe et que la proximité et les échanges économiques, religieux, culturels, scientifiques, philosophiques, intellectuels et familiaux existent depuis l'antiquité.  

En plus des tensions orchestrées entre les deux mondes de l'orient et de l'occident, il y a une autre opposition entre l'athéisme et la religion. La religion fournit des principes descriptifs et prescriptifs (mythes de cosmogénèse, d'anthropogénèse et codes moraux). Hors religion, ces principes sont fournis par la science (théorie du big bang, de l'évolution et du droit naturel). Ce qui est créé par dieu pour le religieux, l'est par la nature ou la raison pour l'athée. Ceci est schématique, car il se peut qu'on croie à la fois en dieu et en la science. Il existe de nombreuses stratégies de conciliation. Mais, toujours schématiquement, les athées rationalistes considèrent la religion comme anachronique tandis qu'inversement les religieux voient l'athéisme comme un égarement. En France nous avons connu les guerres de religion entre protestants et catholiques, puis les conflits entre révolutionnaires rationalistes et réactionnaires religieux. Cet héritage de défiance perdure aujourd'hui contre l'islam, lorsqu'il est perçu par certains comme une religion à la fois concurrente du  christianisme et opposée à la laïcité. 

Enfin une tension existe entre république laïque et théocratie. Dans les républiques laïques, la politique et la religion sont séparés, la religion appartenant à la sphère privée. Dans les théocraties, la religion est une religion d'Etat et les lois de la Cité s'inspirent explicitement de la tradition religieuse. S'il va de soi aujourd'hui dans de nombreux pays que la religion doit être séparée de l'Etat, ce ne fut pas le cas par le passé. Les textes religieux contiennent souvent, en plus des principes moraux, des préceptes juridiques. Dans les sociétés traditionnelles, la frontière est souvent floue entre la loi civile et la loi religieuse. On peut d'ailleurs supposer que l'influence de la morale religieuse se prolonge partiellement dans ce qui se donne aujourd'hui comme laïc, ou que les principes juridiques laïcs et religieux relèvent d'un effort analogue de codification de la société.


Nous avons commencé par dresser un historique rapide du développement de l'islam avec quelques parallèles avec les autres monothéismes. Ce qui est frappant, c'est la porosité entre la religion, la politique, l'économie et la culture. On peut voir également pour chaque religion, comme pour n'importe quelle idéologie, qu'il existe des versions plus ou moins tolérantes ou intolérantes, progressistes ou conservatrices, pacifistes ou bellicistes. Il faut encore bien distinguer les textes anciens écrits dans des contextes où les moeurs étaient différents et apparemment plus violents que les nôtres (la violence des paroles peut aussi être uniquement métaphorique) et leur interprétation symbolique. Ceci vaut pour n'importe quelle religion ou idéologie (capitalisme, nationalisme, socialisme etc). Il faut aussi tenir compte de la concurrence entre les religions et les idéologies qui tend toujours à caricaturer la partie adverse (quand chacun ne se caricature pas soi-même).

Pour finir je voudrais caractériser la place de l'islam dans notre société. Pour dresser l'arrière plan historique, disons que le monde moderne est né avec le développement du capitalisme mondialisé et l'érosion des sociétés traditionnelles, ce qui aboutit à une société plus individualiste, avec plus d'autonomie, de liberté, de démocratie mais aussi plus d'anomie, d'individualisme et de nihilisme. Une première réaction, dans le sillage de Marx, a été d'imaginer comme remède une classe générique : le prolétariat international. Mais ce qui se produit en fait, c'est surtout des luttes sectorielles au nom de la dignité, de l'égalité et de la reconnaissance des diversités dans une société multiculturaliste. 

On assiste alors à un retour du "traditionnel" mais quelquefois sur un mode consumériste et folklorique. Ce qui se présente comme la défense des identités n'est parfois que l'adhésion à des stéréotypes abstraits. Les jeunes générations s'identifient bien souvent à des religions, des mouvements politiques, comme elles le feraient pour des modes musicales et vestimentaires. Ce que l'on prend pour des mouvements identitaires ne sont parfois que des tendances. Elles peuvent être intenses mais probablement passagères. Il reste que l'enjeu dans nos sociétés est de favoriser la justice et la coopération plutôt que la compétition entre les personnes et les groupes. Nos sociétés doivent concilier des idéologies diverses comme jamais auparavant. Les rêves d'uniformisation culturelle sont de dangereuses lubies. Il faut donc accepter toutes les expressions mais en même temps dégager un socle commun pour la sécurité, la prospérité et la félicité de tous. 


Raphaël Edelman, Nantes jeudi 18 aout.


Credit photo : https://www.lemonde.fr/culture/article/2021/11/19/arts-de-l-islam-une-exposition-pour-changer-les-regards_6102668_3246.html













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