lundi 1 août 2022

Qu'est-ce les épidémies nous font ?

 

    Le 16 novembre 2019 à Wuhan est apparu le premier cas de COVID19. Le 11 mars 2020 l'épidémie est qualifiée de pandémie par l'OMS et affecte quasiment l'ensemble de la planète, entrainant un ralentissement de l'économie et des mesures de santé publique inédites dans de nombreux pays. L'ampleur et la rapidité du phénomène sont remarquables dans une économie globalisée comme elle ne l'a jamais été. Il semble introduire une nouvelle ère, où nous devrons vivre avec des vagues de pandémies et sans doute transformer nos sociétés. A ce sujet, nous voulons répondre à quelques questions simples. D'où viennent les épidémies ? Comment les combattre ? Quelles conséquences ont-elles ?


Les micro-organismes sont à l'origine de la vie sur terre mais aussi de la mort, car certains sont pathogènes. Les infections et les contagions font partie des interactions biologiques naturelles. Elles représentent une menace pour l'espèce humaine mais considérées en soi ce ne sont que des processus du vivant. L'épidémie, que le scientifique détaché voit comme un phénomène biologique, constitue pour le reste de la population un véritable fléau, une source de peur et d'angoisse. 

L'humanité semble-t-il a toujours connu des épisodes épidémiques. On en trouve le récit dans l'Ancien Testament, chez Thucidide etc. Les épidémies de peste, de lèpre, de variole, de fièvre jaune, de typhus, de paludisme, de choléra, de tuberculose etc. font partie des maux de ce monde, avec la maladie, la mort, la peur, la souffrance, la destruction individuelle et collective qui les accompagnent. 

L'épidémie est un fait social total qui intéresse aussi bien la biologie et la médecine, que les sciences économiques et politiques, la géographie et l'histoire, la sociologie, la théologie, la philosophie etc. Si les effets des épidémies sont multiples sur la société, les causes anthropiques sont également importantes : agriculture, élevage, déforestation, urbanisation, transports, colonisations, guerres, famines, migrations. En d'autres termes, les épidémies sont dues en grande partie aux déséquilibres écologiques engendrés par la tendance des hommes à développer leur économie. Ainsi, le "progrès" est-il une facteur de déstabilisation autant que de développement instrumental. Dans son rapport à la nature et aux sociétés, l'évolution des sociétés paraît produire autant de problèmes qu'elle en résout. 

Le lien entre déséquilibre environnemental et injustices sociales est visible dans l'épidémie. On dit parfois que les microbes pathogènes ne connaissant pas les frontières de classes. Mais les classes qui ont les moyens de s'alimenter, de se soigner correctement, de se déplacer ou de s'isoler sont moins touchées. Pendant l'épidémie de Covid, les classes sociales défavorisées, moins soignées, moins bien alimentées, forcées de travailler sur le terrain, d'emprunter les transports et ne pouvant travailler à distance furent très exposées. 


Quels sont les moyens de lutter contre l'épidémie ? Ils sont d'ordres médicaux et administratifs. Le concept foucaldien de biopolitique convient parfaitement. La politique sanitaire consiste à traiter la population comme un corps vivant, en prescrivant son régime, ce qui lui est autorisé ou non. Cela suppose des instruments de contrôle et d'action concernant l'hygiène, les flux de personnes et de choses, la santé, l'alimentation, le logement, le travail et les loisirs. L'ambivalence de la modernité est cette croissance générale de l'appareil thérapeutique biopolitique, sa puissance de contrôle, son efficacité, mais aussi son omniprésence et son omnipotence invisibles derrière la démocratie et le libre marché apparents. Foucault a forgé le concept de biopolitique en étudiant la question de la norme, tant sur le plan médical que moral, à travers l'histoire de la sexualité, de la folie et de la criminalité. Il montre que la science et la politique, le savoir et le pouvoir, sont intimement liés dans la manière de gouverner propre à la modernité. 

L'épidémie du VIH, par exemple, a été vécue à la fois sous un angle médical mais également moral, puisque sa diffusion parmi les homosexuels, les prostitués et les toxicomanes a alimenté les préjugés puritains - même si en réalité toute la population est menacée. La morale ajoute fréquemment une dimension médicale ou naturaliste à ses jugements. De nombreux croyants assortissent les interdits alimentaires ou sexuels de considérations médicales ou biologiques. La science moderne n'a pas remis cela en cause mais a sécularisé nos préjugés. Toutefois, en France en particulier, il semble qu'il y ait eu un certain progrès dans la manière d'agir face au VIH, avec le dépistage anonyme et gratuit, et une relation patient/médecin basée sur la confiance, si l'on compare à l'exclusion des lépreux et au quadrillage des pestiférés au XVII ème siècle. 

Il y a donc deux stratégies face à l'épidémie, l'une autoritaire et l'autre participative - les notions participatives de bons gestes, de bons comportements, d'actes vertueux ou responsables se retrouvent également en matière d'écologie (écogeste) ou de charité (don, bénévolat). Avec le COVID, nous avons renoué avec une stratégie autoritaire (confinement, couvre-feu, vaccination quasi obligatoire), sans doute en raison du mode de diffusion aérien du microbe. Cette stratégie a évidemment suscité des réactions anti-autoritaires parfois à gauche mais aussi à droite. La gauche est plus sensible aux enjeux économiques, comme les profits de l'industrie pharmaceutique, la privatisation des brevets, les choix budgétaires en défaveur des services publics et en faveur des entreprises. Le gouvernement, selon la gauche, a géré la crise selon son modèle libéral-autoritaire habituel. A droite, la revendication portait surtout sur la liberté par rapport au vaccin et au masque (même si la droite sur d'autres questions est largement favorable à l'autorité). Enfin, une épidémie représente un défit pour un gouvernement, qui peut lui rapporter comme lui coûter. Certains l'accusent de négligence, d'autoritarisme ou d'indécision ; d'autres lui sont reconnaissant pour les dispositions prises et pensent qu'on ne pouvait faire beaucoup mieux. Finalement, le président français a été réélu, malgré les critiques, l'abstention et aussi grâce à la menace électorale de l'extrême droite. 

L'épidémie agit comme une cause occasionnelle disruptive qui actualise des tendances latentes. On entend par "disruption" un bouleversement soudain du système économique créateur de nouveaux marchés. L'épidémie a accéléré des licenciements et des restructurations prévisibles. Les entreprises les plus grosses ont bénéficié de la crise tandis que les plus faibles ont été affectées. C'est un phénomène comparable aux crises économiques ou militaires. Lorsque la crise est provoquée ou alimentée à des fins économiques, on parle de stratégie du choc.

Enfin, l'épidémie du COVID fut amplifiée par la mobilité exceptionnelle des populations et en même temps a contribué, à travers le confinement, à la sédentarisation, à l'essor télématique et la dématérialisation des rapports sociaux. L'industrie pharmaceutique n'est pas la seule bénéficiaire de cette crise. Le secteur informatique et les services liés (Amazon, Uber, Netflix) ont été fortement stimulés par cet événement. 


Pour conclure, il apparaît que le phénomène épidémique est amplifié par l'évolution des sociétés et, en retour, accélère ses mutations. Nous disposons d'outils techniques et politiques pour gérer les crises sanitaires, lesquelles se développeront à chaque épisode. Il en résulte un type de société qui interroge par son ambivalence : une grande mobilité internationale favorisant la diffusion des problèmes et des solutions techniques et le développement de modes de vie virtuels et sédentaires. En vérité nomadisme et sédentarité se superposent. L'ordinateur portable fonctionne aussi bien chez soi que dans les transports. On assiste à un dédoublement de mobilité des corps et des informations. Ce nomadisme généralisé est accompagné par une évolution des systèmes de contrôle et une complexité des dispositifs d'accès. Autrement dit, plus il y a de passages plus il y a des frontières. Les frontières naturelles sont peu à peu remplacées par des frontières institutionnelles. Ceci aboutit à une excroissance du politique, avec pour enjeu la démocratisation des décisions contre le risque d'une captation autoritaire du pouvoir à une échelle supranationale. 


Raphaël Edelman, Nantes aout 2022


Crédit photo :  https://www.nationalgeographic.fr/histoire/2020/04/rapide-et-fatale-comment-la-peste-noire-devaste-leurope-au-14e-siecle




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