L'activité humaine repose sur la transmission du savoir. Puisqu'aucun savoir ne peut être produit sans signes, le savoir des signes est le savoir des savoirs (avec le savoir de la production).
Prenons un exemple d'usage de signes. La couleur du feu rouge signifie l'ordre d'arrêter de circuler. L'atome de sens est formé d'unités purement esthétiques (points, lignes, couleurs, sons, graphèmes, phonèmes). Nous observons que le sens naît des signes un peu comme la mélodie des notes. Les atomes de sens (p. ex. les mots) composent de plus grandes unités de sens (phrases, textes). Les emboitements linguistiques (lettres, mots, phrases, textes, livres, bibliothèques) sont comparables à ceux du monde physique (atomes, molécules, cellules, organes, organismes, espèces, écosystèmes). Nous pouvons tenter de traduire cet emboitement spatial sur le plan temporel. Comme l'univers contient les atomes, le futur contient les moments présents qui contiennent les moments passés. Ainsi, le monde moderne contient les mondes médiéval, antique et préhistorique. Nous voulons dire que l'étape actuelle ne pourrait pas exister sans la coopération des étapes antérieures, tandis les étapes antérieures se passaient des suivantes pour exister.
Pour revenir aux signes eux-mêmes essayons de les classer. Il y a trois classes de signes. Le signe symbolique possède une relation conventionnelle avec un état de chose (phrase). Le signe iconique possède une relation analogique avec un état de chose (portrait). Le signe indiciel est la trace physique d'un état de chose (empreinte). Nous pouvons ajouter que le produit est aussi un signe puisqu'il possède un sens lié à sa valeur d'usage. L'imperméable signifie la protection contre la pluie. Au sens dénotatif fonctionnel (contre la pluie) peut s'ajouter un sens connotatif social (démodé) plus ouvertement idéologique. La structure des connotations négatives et positives (hiérarchisée autour d'idoles comme dieu, l'homme, la nature, la science, l'argent, la nation, le peuple, le moi) se distingue de l'ensemble apparemment neutre des dénotations.
Nous remarquons que le signe est nécessairement matériel (goût, son, image, texte, objet, action) et suppose un acte perceptif. Le signe est à la surface des choses. Mais la manière de découper la surface des choses est idéologique. Nous aborderons cela bientôt.
Comment le sens vient-il aux signes ? Le sens suppose un acte mental en relation plus ou moins claire avec un état de chose. Le rapport du signe à l'état de chose est enfoui dans l'histoire et la genèse de la dénomination et de l'attribution d'une étiquette à un échantillon.
Comment faire apparaître le sens ? Nous ne pouvons exprimer le sens d'un signe qu'en le traduisant en d'autres signes mieux connus, comme le fait le dictionnaire, ou en le référant à un état de choses.
Comment analyser le signe ? Nous ne pouvons observer les relations de signes qu'à partir d'une juxtaposition synchronique. Pour observer les relations diachroniques, soit nous prélevons une tranche synchronique dans un enchaînement, soit nous projetons l'enchaînement sur un plan (horloge, calendrier).
Quel est le rapport entre le signe et le sens ? Même si le signe et le sens apparaissent simultanément, leur relation de signification est aussi hétérogène que celle entre salaire et travail ou entre prix et marchandise - par contre, la relation de valeur entre les signes eux-mêmes est homogène (deux euros est le double d'un euro, la nuit est le contraire du jour). L'hétérogénéité du rapport entre signe et sens n'empêche pas leur solidarité. Il n'y a pas de signes sans sens et réciproquement, comme il n'y a pas d'endroit sans envers, de montagne sans vallée. Aussi l'articulation des signes est-elle également le découpage du sens. L'articulation des signes détermine le découpage du sens, comme les rides à la surface de l'eau correspondent aux rides à la surface de l'air.
Quel est le rapport entre sens et idéologie ? La connotation idéologique ajoute au niveau dénotatif un second niveau de sens. Le méta-code d'étude ajoute un second niveau de signes aux signes du code-objet. Le but du méta-code est de faire apparaître l'idéologie comme idéologie.
Quelle est le rapport entre le code et l'idéologie ? L'idéologie est l'imaginaire collectif porté par la structure du code. Le code est le système des associations mnésiques latentes. Le poids de l'imaginaire d'une époque pèse lourdement sur l'ensemble de la production et de la consommation du code.
Comment étudie-t-on le code ? L'étude du code isole ses traits pertinents, présents dans un corpus défini, pour les cartographier. Elle vise à déterminer le système de conventions, le code d'un collectif, son cadre de référence et celui du code oppositionnel (p. ex. le discours libéral opposé au discours socialiste). Les corpus sont produits par différentes institutions pour différents publics.
Pourquoi faut-il réunir un corpus pour étudier le code ? La cristallisation du message dans l'écriture facilite l'accès au code, d'où l'intérêt d'étudier le code dans les publications.
Que contient le corpus ? Le corpus de recherche peut contenir des matériaux divers : paroles, images, produits, actions. Dans un corpus hétérogène, nous devons repérer des corpus homogènes. Dans le cinéma, nous trouvons du théâtre, de la musique, de la peinture, du design. L'étude du corpus est celle des messages qu'il véhicule. Le message est la combinaison ponctuelle actualisant le code. Aucun message (performance) n'est possible sans l'utilisation d'un code (compétence). Le message perpétue le code et peut imperceptiblement le modifier. L'invention se caractérise par des figures de transgression de la norme. Le pouvoir d'encodage dépend fortement de groupes de décisions, malgré l'influence possible des individus formant la masse des usagers.
Comment le message est-il reçu par les usagers ?L'encodage de l'émetteur n'est pas identique au décodage du récepteur, d'où des effets de distorsions interprétatives. Le récepteur personnalise sa réception.
Comment se présente le message ? Le message présente un choix syntaxique (répétition, gradation, ellipse, opposition, conjonction, subordination) et lexical (littéralité, métaphore, métonymie, hyperbole, litote, ironie). Mais le choix individuel trouve son centre de gravité dans les stéréotypes communs.
Que révèlent les figures de style produites par le message ? Les figures de style traduisent et trahissent les connotations idéologiques. Le message littéral correspond à l'idéal mathématique de transparence des standards syntaxiques et lexicaux. Moins il y a de signes, plus il y a de norme - mais l'absence est encore un signe. Le code technique est le plus standardisé et monotone. Le code esthétique est le plus polysémique et excédentaire.
Il y aurait donc un code propre à chaque domaine ?
Pour un même domaine, il existe plusieurs codes en fonction des publications. Pour les costumes, il y a les revues de mode, les instructions techniques, les conseils pratiques, etc. Pour l'alimentation, il y a les livres de recette, les articles, les émissions télévisées. Pour étudier le code de l'automobile ou du mobilier, nous pouvons classer, définir et comparer les prototypes et les discours.
Enfin l'étude du code n'est-elle pas trop systématique ? Ne risque-t-elle pas de négliger l'enquête de terrain ? On associe parfois le holisme méthodologique (marxisme, structuralisme) à l'étude du code, pour l'opposer à l'individualisme méthodologique (phénoménologie, pragmatique, interactionnisme) et à l'étude du message. Mais toute discipline théorise le code à partir de messages types.
R. Edelman, Nantes 21/12/2022
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